Terralaboris asbl

Constitutionnalité de l’article 36, al. 1er des lois coordonnées du 3 juin 1970 ?

Commentaire de C. trav. Liège, 18 janvier 2010, R.G. 35.519/08

Mis en ligne le mardi 25 mai 2010


Cour du travail de Liège, 18 janvier 2010, R.G. n° 35.519/08

TERRA LABORIS ASBL – Mireille JOURDAN

Dans un arrêt du 18 janvier 2010, la Cour du travail de Liège pose une question à la Cour constitutionnelle à titre préjudiciel en ce qui concerne la constitutionnalité de l’article 36, alinéa 1er des lois coordonnées en matière de maladies professionnelles, texte résultant d’une modification introduite par la loi du 13 juillet 2006.

Les faits

M. X., atteint d’une maladie ostéo-articulaire dorsale (provoquée par des vibrations mécaniques) est indemnisé dans le cadre des maladies de la liste (code 1.605.01) depuis 1992. Lorsqu’il arrive à l’âge de 65 ans, une revision intervient en 1999 et le taux d’incapacité est fixé à 22%. Ayant introduit une demande de revision en 2007, l’intéressé reçoit une décision du FMP du 6 aout 2007 fixant le taux global à 23% étant l’incapacité physique (22%) majorée du taux supplémentaire de 1% (prévu par l’article 35bis des lois coordonnées). Il conteste cette décision, faisant valoir que l’incapacité physique s’est aggravée et que le taux ne peut être inférieur à 40%.

Décision du Tribunal du travail

Le Tribunal du travail de Liège rend un jugement le 28 février 2008 désignant un expert avec la mission habituelle en cas de demande de revision, étant de donner son avis sur l’aggravation de l’incapacité entre 1999 et 2007, ainsi que son évaluation.

Position des parties en appel

Le Fonds des Maladies Professionnelles interjette appel se fondant sur l’article 36, alinéa 1er des lois coordonnées et sur l’arrêté royal d’exécution du 25 février relatif aux droits des victimes atteintes d’affections dorsales résultant d’une exposition à des vibrations mécaniques). Il demande à la Cour de faire application de ces textes et, en conséquence, de débouter l’intéressé de sa demande.

Celui-ci sollicite, pour sa part, la confirmation du jugement.

Position de la Cour

La Cour commence par rappeler que la problématique des vibrations mécaniques transmises au rachis lombaire par le siège est complexe, d’autant qu’elle se couple avec un phénomène dégénératif naturel, qui est la présence d’arthrose à la colonne.

Elle rappelle que depuis 1974 jusqu’ 2002, les lésions arthrosiques d’origine professionnelle étaient toujours indemnisées. La réglementation a été modifiée, d’abord par l’arrêté royal du 2 août 2002, qui a remplacé le code 1.605.01 redéfinissant la maladie et prévoyant expressément le phénomène de précocité de lésions dégénératives, ce qui avait manifestement pour but d’éviter l’indemnisation de lésions imputables au seul processus de dégénérescence naturelle (liée à l’âge).

La référence au critère d’âge a été abondamment critiquée, puisqu’elle pouvait aboutir au refus d’indemnisation du travailleur qui, après l’âge prévu, était victime de lésions dégénératives d’origine professionnelle. La Cour rappelle la jurisprudence qui s’est alors développée sur la notion de précocité.

Ultérieurement, est intervenu un arrêté royal en date du 27 décembre 2004, qui a modifié le code 1.605.12 par le code 1.605.03. La Cour souligne la complexité de son libellé, qui reprend une succession d’alternatives et retient toujours la condition de précocité. Pour la Cour, il y a un risque que ce nouveau libellé aboutisse à multiplier les cas où les conditions légales ne seront pas réunies alors que les lésions dont est effectivement atteint le travailleur ont bien été provoquées par les vibrations mécaniques d’origine professionnelle.

En ce qui concerne l’indemnisation en cas d’aggravation (ou en cas de décès), il peut y avoir revision des indemnités acquises et, vu l’évolution des conditions légales (glissement du code 1.605.01 au code 1.605.12), des décisions judiciaires ont confirmé l’existence d’une aggravation, même s’il devait s’avérer qu’au moment de l’introduction de la demande de revision (le code 1.605.12 étant applicable à ce moment) le travailleur, bénéficiant d’une indemnisation sur la base d’une maladie reconnue sur le code 1.605.01, ne répondait pas aux conditions nouvelles.

Pour la Cour, qui rappelle la jurisprudence rendue à cet égard (voir C. trav. Liège, 16 janvier 2006, R.G. 33.305), l’indemnisation d’une aggravation n’est subordonnée à aucune autre condition que l’aggravation de l’incapacité permanente de travail issue de la maladie professionnelle en cause. Pour la Cour, cette jurisprudence pouvait également être fondée sur un souci de respecter l’égalité de traitement entre tous les demandeurs de revision, quelle que soit la maladie.

La Cour reprend alors les modifications intervenues du fait de l’article 29 de la loi du 13 juillet 2006 et va s’interroger sur la conformité à la Constitution de la disposition ainsi introduite dans les lois coordonnées, étant le libellé actuel de l’article 36, alinéa 1er. La Cour rappelle qu’il formule dans sa première phrase, une garantie des droits, étant qu’en cas de suspension de l’inscription d’une maladie de la liste ou de la modification du libellé de cette inscription, la personne atteinte de la maladie conserve ses droits à la réparation acquise, sans préjudice de toute autre disposition concernant la réparation des dommages résultant des maladies professionnelles.

La seconde phrase contient cependant une habilitation au Roi à adopter un régime particulier si l’incapacité permanente s’est aggravée (ou en cas de décès du à la maladie professionnelle) lorsque l’inscription de la maladie a été supprimée ou lorsque son libellé a été modifié.

La Cour relève que la loi parait ainsi contenir en elle-même le principe d’une différence de traitement, à mettre en œuvre par le Roi. Elle semble, ainsi, distinguer le droit à l’indemnisation de l’aggravation à la seule condition d’établir celle-ci et le droit à l’indemnisation d’une maladie dont il est avéré qu’elle s’est aggravée dans l’hypothèse où cette maladie n’est plus inscrite sur la liste ou lorsqu’une condition supplémentaire est posée relative à la nouvelle description de la maladie, son libellé ayant été modifié. La Cour relève une différence de traitement similaire lorsqu’il y a décès.

Pour la Cour, se pose la question de la constitutionnalité de cette différence de traitement, étant d’abord qu’elle doit se fonder sur un critère objectif et être raisonnablement justifiée. Pour la Cour, les travaux préparatoires de la loi du 13 juillet 2006 ne donnent aucune justification précise de la mesure nouvelle, ceux-ci contenant seulement des considérations relatives à la modification de la liste des maladies professionnelles mais non au refus d’indemniser une aggravation. Relevant par ailleurs que la loi du 13 juillet 2006 a comme objectif d’améliorer la prévention des maladies professionnelles, la Cour considère que la question peut se poser de savoir si le principe de l’inégalité de traitement, constatée en l’espèce, est raisonnablement justifié ou non.

Une question est dès lors posée sur la question de savoir s’il y a violation des articles 10 et 11 de la Constitution par le pouvoir conféré au Roi de décider qu’il n’y a pas lieu à octroi des allocations de décès ou à revision des indemnités lorsque l’inscription de la maladie sur la liste a été supprimée ou lorsque le libellé en a été modifié, et ce eu égard au fait que toute personne atteinte d’une maladie professionnelle a droit à l’indemnisation de l’aggravation à la seule condition de démontrer celle-ci (et de même en cas de décès).

Intérêt de la décision

L’arrêt annoté est important dans la problématique de l’indemnisation de l’aggravation de maladies ostéo-articulaires provoquées par les vibrations mécaniques, puisque la réglementation actuelle autorise à ne pas réparer si sont réalisées des conditions supplémentaires par rapport aux autres maladies : suppression de la liste ou modification du libellé de la maladie.

Affaire à suivre, donc.


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