Terralaboris asbl

Refus de répondre à une offre d’emploi et réserves quant à la disponibilité liées au handicap d’un enfant

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 3 décembre 2009, R.G. 2008/AB/51.263

Mis en ligne le mercredi 2 juin 2010


Cour du travail de Bruxelles, 3 décembre 2009, R.G. 2008/AB/51.263

TERRA LABORIS ASBL – Sophie REMOUCHAMPS

Dans un arrêt du 3 décembre 2009, le Cour du travail de Bruxelles est amenée à se prononcer sur des sanctions infligées à une chômeuse qui a refusé de se présenter à une offre d’emploi, en raison de circonstances particulières spécifiques (handicap grave d’un enfant). La Cour confirme le principe de la sanction mais la limite à un avertissement. Quant aux réserves sur la disponibilité liées aux circonstances familiales, elles ne donnent pas lieu à une exclusion.

Les faits

Madame N. bénéfice d’allocations de chômage depuis 1999. En avril 2006, le FOREm lui propose un emploi de coiffeuse, à mi-temps. Cet emploi correspond à la formation professionnelle de l’intéressée. A ce moment, Madame N. est mère de deux enfants, de 8 et 12 ans, dont le cadet est handicapé moteur. Elle refuse de se présenter à l’emploi proposé par le FOREm, couchant sur le formulaire qu’elle ne souhaite plus exercer la profession. Elle est alors entendue en mai 2006 et déclare que la profession de coiffeuse ne peut convenir, vu les horaires (entrainant des prestations jusqu’à 18h00), et ce eu égard aux contraintes familiales. Elle expose en effet qu’en ce qui concerne l’enfant handicapé, elle n’a pas de possibilité de garderie. Elle signale vouloir réorienter sa carrière vers le secrétariat.

A la suite de cette audition, l’ONEm prend deux décisions en date du 7 juin 2006. La première exclut l’intéressée du bénéfice des allocations de chômage à partir de mai 2009 pour une durée de huit semaines, et ce vu le refus de répondre à l’offre présentée comme convenable. La motivation de la décision évoque que les considérations d’ordre familial sont sans incidence sur le caractère convenable de l’emploi. La durée de huit semaines a été fixée eu égard au refus de l’offre d’emploi pour motifs personnels et au fait qu’il s’agissait d’un emploi à temps partiel. La seconde décision exclut l’intéressée du bénéfice des allocations de chômage pour la durée de son indisponibilité, au motif qu’elle a fait état, lors de son audition, de la nécessité d’être présente au retour de l’école et pendant les vacances scolaires. Ceci est considéré comme la manifestation d’une indisponibilité.

L’intéressée introduit un recours auprès du Tribunal du travail, qui annule les deux décisions litigieuses.

Position des parties en appel

L’ONEm interjette appel de la décision soulignant que, en ce qui concerne le refus d’emploi, aucun élément ne démontre le caractère non convenable de l’emploi, le handicap de l’un des enfants ne correspondant pas à la notion d’empêchement grave visée à l’article 32 de l’arrêté ministériel. Il invoque à cet égard qu’il s’agit d’un empêchement temporaire et qui n’est d’ailleurs pas de nature à rendre impossible la mise au travail. Quant à la question de l’indisponibilité, l’ONEm évoque les réserves à la mise au travail émises lors de l’audition, rendant l’intéressée indisponible pour un nombre significatif d’emplois. L’ONEm souligne d’ailleurs que la dispense prévue à l’article 90 de l’arrêté royal n’a pas été sollicitée par elle.

Madame N. fait quant à elle valoir le grave handicap dont est atteint l’un de ses enfants, qui a nécessité une réorientation professionnelle de sa part, celle-ci ayant suivi une formation en travaux de bureau et de secrétariat et cherchant, au titre d’emploi idéal, un emploi de secrétaire au sein d’une école, afin d’aligner ses horaires sur ceux des enfants. Elle conteste par ailleurs le caractère convenable de l’emploi, s’agissant d’un emploi à temps partiel, tandis que l’ONEm ne prouve pas que les revenus procurés étaient suffisants. Elle invoque par ailleurs le handicap de l’enfant, qui constitue à ses yeux un empêchement grave et exceptionnel rendant temporairement la mise au travail impossible. Elle évoque par ailleurs une discrimination fondée sur le sexe, dès lors que la charge de la garde des enfants repose principalement sur les femmes, exposant celles-ci à un risque plus important de sanctions. Enfin, elle conteste la sanction, estimant que celle-ci aurait pu être limitée à un avertissement ou à un sursis, la sanction étant disproportionnée par rapport aux difficultés réelles (absence de structure d’accueil de l’enfant handicapé).

Décision de la Cour

La Cour examine en premier lieu le refus de se présenter à une offre d’emploi, rappelant que, selon la disposition applicable, est considéré comme chômeur par la suite de circonstances dépendant de sa volonté celui qui ne se présente pas, sans justification suffisante, auprès d’un employeur alors qu’il y a été invité par le service de l’emploi compétent. Est également visé le refus d’emploi convenable.

La Cour considère qu’il y a en l’espèce refus de se présenter à une offre d’emploi de coiffeuse, soit un emploi correspondant à la formation et à l’expérience de l’intéressée. Quant aux justifications présentées par celle-ci, la Cour constate que le fait que l’emploi soit à temps partiel n’est pas susceptible de rendre celui-ci non convenable, et ce eu égard aux dispositions de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991, qui définit cette notion. La Cour relève d’ailleurs que, faute de s’être présentée auprès de l’employeur, la rémunération proméritée est inconnue de tous, ce qui rend impossible la vérification du bien-fondé de l’argument invoqué quant à ce. Quant aux considérations d’ordre familial, elles ne peuvent être prises en considération que si elles constituent un empêchement grave, notion définie par l’article 32 de l’arrêté ministériel (événement exceptionnel, indépendant de la volonté du travailleur et qui rend sa mise au travail temporairement impossible). La Cour reconnaît l’existence d’une difficulté certaine vu la présence dans le ménage d’un enfant gravement handicapé, difficulté qui rentre en compte pour l’appréciation du caractère convenable de l’emploi et de la justification du refus de l’emploi convenable. Elle relève cependant que, faute pour l’intéressée de s’être présentée auprès de l’employeur, il est impossible d’apprécier concrètement dans quelle mesure l’emploi est ou non incompatible avec ses contraintes familiales. Pour le surplus, la Cour constate que l’empêchement allégué n’est pas temporaire, puisqu’il est susceptible de durer dans le temps (l’enfant étant né en 1995).

La Cour considère en conséquence que la présence au sein d’une famille biparentale d’un enfant handicapé de naissance ne constitue pas une justification légitime à la non présentation à une offre d’emploi, dès lors que celle-ci correspond au profil de l’intéressée et que l’impossibilité alléguée n’est pas d’ordre temporaire. Quant à l’argument de discrimination, la Cour considère qu’il n’y a, ni dans la réglementation ni dans l’application de celle-ci, une discrimination quelconque.

Elle en conclut que la sanction est justifiée dans son principe. Quant à sa hauteur, elle tient compte des difficultés spécifiques liées à la présence de l’enfant handicapé et limite celle-ci à un simple avertissement.

Par ailleurs, sur la question de l’indisponibilité, la Cour constate que Madame N. a manifesté son désir de trouver un emploi de secrétariat au sein de l’école, tout en ne limitant pas sa disponibilité à cet emploi, qualifié d’idéal. Ce faisant, elle n’a pas limité se recherche d’emploi à ce seul type d’emploi, qui aurait pu la rendre indisponible. Il y a bien disponibilité pour un emploi compatible avec les contraintes familiales, sans émission de réserves rendant l’intéressée indisponible pour le marché de l’emploi. Pour la Cour, les réserves sont liées aux difficultés spécifiques rencontrées, sans cependant qu’il y ait indisponibilité pour l’ensemble des emplois qui pourraient être convenables.

La Cour réforme en conséquence la décision d’exclusion fondée sur l’indisponibilité.

Intérêt de la décision

Cette décision contient une application de règles relatives à l’obligation pour le chômeur de se présenter aux offres d’emploi proposées et à l’incidence des réserves éventuellement exprimées sur le type d’emploi recherché.

Aussi, si les contraintes familiales lourdes pesant sur l’intéressée ne la dispensaient pas de se présenter à cette offre d’emploi, elles justifient cependant la réduction de la sanction à un avertissement et sont également prises en compte dans le cadre de l’examen de la disponibilité sur le marché du travail.

Notons en conséquence que, si l’intéressée s’était présentée à l’emploi aux fins d’en apprécier les contraintes, eu égard à son organisation familiale, la sanction même d’exclusion aurait peut-être pu être rapportée.


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