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Activité complémentaire mais non identique à celle exercée dans le cadre d’un contrat de travail : assujettissement à la sécurité sociale des travailleurs salariés ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 3 mars 2010, R.G. 2007/AB/50.295

Mis en ligne le lundi 7 juin 2010


Cour du travail de Bruxelles, 3 mars 2010, R.G. n° 2007/AB/50.295

TERRA LABORIS ASBL – Sophie REMOUCHAMPS

Dans un arrêt du 3 mars 2010, la Cour du travail de Bruxelles est saisie de l’interprétation de la notion de « exercice d’activités similaires », au sens de l’article 5bis de la loi du 3 juillet 1978.

Les faits

Une société commerciale, titulaire d’un label musical (société de disques) contacte en 1991 un sieur X, à l’époque indépendant, en vue d’exercer pour son compte une activité de représentation commerciale. Celui-ci propose ladite activité au travers d’une sprl dont il est gérant depuis quelques années. La société cherchant également quelqu’un pour une activité de promotion de ses disques, l’intéressé accepte également cette fonction mais dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée.

En 1999, il est entendu par l’inspection de l’ONSS à propos du cumul de ces deux activités.

Il expose dans le cadre de cette enquête en quoi consiste la promotion des disques labellisés et ce qui est également couvert par la représentation commerciale.

Il définit la profession comme l’accompagnement des artistes vendus par le label (radios, chaînes de disquaires, organisateurs de foires, etc.). Il distingue le travail de représentation de celui de promotion, les deux ne se faisant pas en même temps ni avec les mêmes personnes. Il donne des explications circonstanciées sur les modalités d’exercice des deux fonctions.

Les explications de l’intéressé sont confirmées par la direction d’une société étrangère, chapeautant la société belge.

L’ONSS décide, cependant, de l’assujettissement en ce qui concerne les commissions versées à la sprl dans le cadre du contrat de représentation commerciale.

De très importants montants sont ainsi réclamés.

La décision du Tribunal

Par jugement du 3 septembre 2007, le tribunal du travail va condamner la société au paiement d’un montant de l’ordre de 90.000€ en principal, à majorer d’environ 70.000€ d’intérêts, l’assujettissement remontant au 6 octobre 2000.

Pour le Tribunal, l’absence d’identité entre les parties aux deux contrats étant d’une part une personne physique et d’autre part une personne morale n’est pas déterminante, l’interposition d’une personne morale entre un travailleur et l’employeur n’empêchant pas que l’on puisse considérer qu’il y a contrat de travail.

Par ailleurs, en ce qui concerne l’article 5bis, le premier juge considère que celui-ci n’exige pas une identité des activités comparées mais qu’il suffit qu’elles soient suffisamment semblables.

La décision de la Cour du travail

La Cour du travail, saisie de l’appel de la société, rappelle la disposition légale, qui prévoit que des prestations de service complémentaires exécutées en application d’un contrat d’entreprise sont présumées l’être en application d’un contrat de travail lorsque le prestataire des services et le bénéficiaire sont liés par un contrat de travail pour l’exercice d’activités similaires. Il s’agit d’une présomption irréfragable, dont la Cour rappelle que son introduction (par la loi du 10 juin 1993 transposant certaines dispositions de l’accord interprofessionnel du 9 décembre 1992) tend à éviter que, sous prétexte que ces prestations soient exécutées dans le cadre théorique ou fictif d’une activité d’indépendant, il y ait soustraction à l’application du régime de sécurité sociale des travailleurs salariés (Doc. Parl., ch., sess. 1992-1993, Rapport, n°945/6, p.6). Cette présomption peut être, comme le rappelle la Cour, invoquée par l’ONSS.

Examinant le texte, la Cour considère ne pas pouvoir suivre la position du premier juge, au motif que l’exigence d’identité entre les activités exercées ne figurent pas dans le texte et que, en l’occurrence, les activités sont certes complémentaires quant à leur finalité mais elles sont néanmoins distinctes, visant des interlocuteurs différents et ayant des objets clairement distincts. La Cour rappelle également que la très petite taille de la société et l’étroitesse du marché sur lequel elle se meut (musique classique) expliquent que les activités n’aient pas pu être confiées à des personnes différentes, voire à des services distincts.

Par ailleurs, la Cour ne suit pas la position de l’ONSS dans le reste de son argumentation. Ainsi, elle rejette l’existence de confusion entre les frais exposés dans le cadre d’une activité et dans l’autre, cette confusion n’étant pas établie. De même est indifférente la disparité entre la rémunération de salarié et les commissions versées à la société, celle-ci s’expliquant logiquement vu la progression de l’activité de représentation. Cette circonstance contribue encore à conforter la justesse de la formule pour laquelle les parties ont opté, étant que l’activité indépendante n’est nullement accessoire en l’espèce mais au contraire est devenue l’activité principale.

Enfin, sur le fait d’avoir contracté avec une personne morale, la Cour relève d’abord que l’article 5bis ne vise que le contrat d’entreprise signé par une personne physique et non l’hypothèse du contrat liant deux personnes morales. Par ailleurs, en ce qui concerne l’interposition d’une personne morale entre une personne physique et son commettant, elle rappelle que celle-ci peut être écartée mais uniquement si l’interposition est simulée. Elle rappelle à cet égard un arrêt de sa jurisprudence du 26 septembre 2008 (C. trav. Bruxelles, 26 septembre 2008, J.T.T., 2008, p. 468) ainsi qu’un jugement du tribunal du travail de Bruges du 28 décembre 1994 (Trib. Trav. Bruges, 28 décembre 1994, J.T.T., 1995, p.305), celui-ci rendu dans une espèce où il était clair que les parties n’acceptaient pas toutes les conséquences du choix de collaborer au travers d’une société, la réalité démontrant la persistance d’une relation contractuelle directe entre la personne physique et la société.

Rappelant encore les principes généraux en matière de simulation, la Cour conclut que celle-ci ne peut être invoquée si les parties acceptent toutes les conséquences des opérations qu’elles concluent, étant que celles-ci représentent l’expression de leur volonté.

Intérêt de la décision

L’intérêt de la décision commentée est triple, puisqu’elle définit la notion d’activité similaire au sens de l’article 5bis de la loi sur les contrats de travail, qu’elle en définit le champ d’application (contrat d’entreprise signé par une personne physique et non une personne morale) et, enfin, qu’elle réaffirme que l’expression de la volonté réelle des parties doit être retenue, lorsque celles-ci acceptent toutes les conséquences des opérations qu’elles concluent (écartant ainsi l’hypothèse d’une simulation).


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