Terralaboris asbl

Le non paiement des petites pensions est-il conforme au Premier Protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l’Homme et au principe d’égalité et de non discrimination ?

Commentaire de C. trav. Liège, 5 décembre 2006, R.G. 33.911/06

Mis en ligne le vendredi 28 décembre 2007


Cour du Travail de Liège, 5 décembre 2006, R.G. 33.911/06

TERRA LABORIS ASBL – Mireille JOURDAN

Statuant sur renvoi après un arrêt de la Cour de cassation, la cour du travail de Liège a considéré dans un arrêt du 5 décembre 2006, conformément à ce qu’avait décidé la Cour suprême, que ce non paiement est autorisé. Cette décision ne semble toutefois pas régler définitivement tous les aspects du problème.

Les faits

Le 28 février 2001, l’Office National des Pensions a notifié à un travailleur sa décision de lui allouer une pension de retraite pour 1/45e de carrière professionnelle, soit un montant de 69,81 €, montant qui fut légèrement augmenté par une seconde décision du 23 mai 2001, pour être porté à 74,57 €.

L’intéressé contesta les deux décisions, la pension ne lui étant pas liquidée, son montant étant inférieur à 86,32 € (soit le montant actuel équivalent à l’ancien montant de 1.000 anciens francs belges à l’indice 114.20, mesure prise par l’article 5, § 9 de l’arrêté royal du 23 décembre 1996 qui vient exécuter certaines décisions de la loi du 26 juillet 1996 portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux des pensions. Cette disposition a été confirmée par une loi du 13 juin 1997 portant confirmation des arrêtés royaux pris en exécution de deux lois du 26 juillet 1996, dont celle ci-dessus).

La décision du tribunal du travail

Le tribunal confirma la position de l’O.N.P. et constata que la pension ne devait pas être liquidée.

La décision de la cour du travail de Bruxelles du 2 juin 2004

Sur appel du travailleur, la cour réforma le jugement au motif que l’ONP n’établissait pas que cette restriction était nécessaire pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour toute autre raison admise par l’article 1er du Premier Protocole additionnel de la Convention de Sauvegarde.
Pour la cour, cette restriction constitue une violation du principe d’égalité et de non discrimination puisqu’elle prive les personnes concernées d’un droit – fût-il qualifié de politique par une jurisprudence ancienne – et cela sans qu’il y ait une proportion entre le moyen employé (épargne du coût du paiement de la pension) et le but poursuivi par le législateur (garantir la viabilité financière du régime des pensions). Le défaut de proportion entre le moyen utilisé et le but poursuivi par la restriction critiquée est d’autant plus manifeste que le coût des paiements peut être fortement réduit par l’informatisation des opérations administratives et bancaires et que, dans l’évolution actuelle de la gestion administrative telle qu’elle est ou devrait être, la restriction critiquée quant au paiement n’est pas raisonnablement justifiée.

Le pourvoi

Pour l’ONP, les juridictions de l’ordre judiciaire ne peuvent en règle contrôler par voie d’exception la constitutionnalité des normes de valeur législative et notamment contrôler la compatibilité d’une telle norme avec les principes d’égalité et de non discrimination consacrés par les articles 10 et 11 de la Constitution. Ce contrôle appartient à la Cour d’arbitrage, que les cours et tribunaux peuvent interroger par le mécanisme de la question préjudicielle sur la compatibilité d’une norme de valeur législative avec ces principes constitutionnels. Dans la mesure où la disposition litigieuse a été confirmée par une loi, elle a acquis la valeur d’une norme législative. Il en résulte que la cour du travail était sans pouvoir pour vérifier la compatibilité de celle-ci avec les principes d’égalité et de non discrimination.

L’arrêt de la Cour de cassation du 28 février 2005

La Cour accueillit le pourvoi en un bref attendu : les juridictions de l’ordre judiciaire n’ont pas le pouvoir de contrôler la conformité des lois à la Constitution. En procédant à pareil contrôle, l’arrêt méconnaît le principe général du droit relatif à la séparation des pouvoirs et viole l’article 159 de la Constitution

La position des parties après l’arrêt de la Cour de cassation

L’O.N.P. fit encore valoir que la pension n’est pas un droit patrimonial au sens de l’article 1er, al. 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention Européenne des Droits de l’Homme et que les juridictions de l’Ordre judiciaire n’ont pas le pouvoir de contrôler la conformité des lois à la Constitution.

L’intéressé considérait pour sa part que le droit à une allocation sociale constitue effectivement un bien.

L’arrêt de renvoi du 5 décembre 2006

La cour du travail confirma le jugement du tribunal du travail aux motifs retenus par la Cour de cassation, à savoir que la disposition litigieuse avait été confirmée par une loi (loi du 13 juin 1997, art. 5, § 1er) et qu’il ne lui appartenait pas de vérifier la conformité d’une loi à la Constitution.

En ce qui concerne l’article 1er du Protocole additionnel à la Convention de Sauvegarde, qui énonce que ’toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international’, elle donna cependant sa vision des choses : cette disposition ne vise pas le droit à une pension de retraite.

Le droit à une pension de retraite dans le secteur de la sécurité sociale des travailleurs salariés n’est pas une valeur patrimoniale et n’est dès lors pas un bien au sens de la disposition précitée. Dans ce système de répartition des pensions, il n’existe, pour la cour du travail, en effet pas de relation directe entre le montant des cotisations versées et celui de la pension qui sera due. Et la cour de préciser que les cotisations patronales ne sont pas versées au profit d’un travailleur déterminé et il n’y a pas de capitalisation des cotisations versées, celles-ci étant immédiatement distribuées aux bénéficiaires de pensions. A ceci faut-il encore ajouter que le secteur est largement subventionné par l’Etat.

La cour relève en outre que lorsque l’article 5 § 9 de l’arrêté royal du 23 décembre 1996 précise que la pension dont le montant n’atteint pas un certain seuil n’est pas octroyable, il s’agit d’une condition d’octroi et non de paiement.

Intérêt de la décision

Il s’agit à notre sens d’une rare décision sur la question, en tout cas dans la jurisprudence récente. Si la décision de la Cour de cassation doit être approuvée en ce qui concerne les pouvoirs du juge en matière de compatibilité d’un texte légal avec les principes des articles 10 et 11 de la Constitution, il nous semble qu’il n’eut pas été inintéressant d’interroger la Cour d’arbitrage : les arguments repris par la cour du travail pour aboutir à la conclusion que la pension de retraite n’est pas visée par le Premier Protocole additionnel ne nous paraissent pas déterminants et, en outre, si la question ne trouve pas de solution dans le cadre de l’article 1er de celui-ci, reste encore l’examen du respect des principes d’égalité et de non discrimination garantis par la Constitution. Un arrêt de la Cour d’arbitrage serait dès lors le bienvenu.

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