Terralaboris asbl

CCT 32bis et création d’une structure nouvelle : conditions d’application

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 9 juin 2010, R.G. 2008/AB/51.617

Mis en ligne le vendredi 17 septembre 2010


Cour du travail de Bruxelles, 9 juin 2010, R.G. n° 2008/AB/51.617

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 9 juin 2010, la Cour du travail de Bruxelles examine les conditions d’application de la CCT 32bis à l’hypothèse de la création d’une structure nouvelle offrant des services élargis par rapport à ceux fournis par une entité amenée de ce fait à disparaître.

Les faits

Le Parlement européen met à la disposition de son personnel un service de crèches. La gestion et l’organisation de celles-ci sont confiées au secteur privé. Il s’agit d’un système d’adjudication dans le cadre d’un marché de services, valant pour une durée déterminée.

Une sprl K. obtient, dans ce cadre, un premier contrat avec le Parlement européen à la date du 1er octobre 1993. Ce contrat sera reconduit à deux reprises, le dernier de ces contrats prenant cours le 1er janvier 2001. Il porte sur une durée de trois ans et contient une clause de tacite reconduction pour une durée maximale de deux ans, à défaut de préavis notifié par voie recommandée au plus tard six mois avant son expiration. Le contrat vient donc à échéance le 31 décembre 2006.

Entre-temps, les capacités d’accueil de la crèche se sont avérées insuffisantes et le Parlement européen a lancé un autre appel d’offre en 2005 pour un autre bâtiment. Ce deuxième projet a un objectif élargi (jardin d’enfants, accueil préscolaire, …). La sprl K., qui avait soumissionné, n’est pas retenue dans le cadre de ce projet, et ce pour divers motifs (capacité d’accueil insuffisante, projet pédagogique inadéquat, méthodologie de gestion non appropriée).

La sprl K. est donc évincée par une asbl R., qui conclut un contrat de prestation de services tacitement reconductible d’année en année avec une durée maximale de cinq ans.

Le Parlement européen renonce, dans ce contexte, à la double structure de crèche, la première étant appelée à fermer ses portes.

Diverses réunions ont lieu en vue d’organiser le transfert progressif des enfants.

Une mise en demeure est adressée en mars 2006 par le conseil de la sprl K. à l’asbl en vue de respecter les dispositions de la convention collective de travail 32bis, en ce qui concerne le transfert du personnel de la sprl. L’asbl conteste l’application des dispositions de la CCT au motif qu’il n’y aurait pas de maintien de l’identité de l’entreprise après l’opération de transfert.

La sprl lance dès lors citation en mai 2006.

Elle tombera en faillite environ un an plus tard.

Position du tribunal

Le tribunal du travail est saisi de la question de l’application de la CCT 32bis et d’une demande de la sprl K., plus précisément, tendant à obtenir que l’asbl R. reprenne son personnel à la date du 1er janvier 2007, sous astreinte de 2500€ par jour de retard par travailleur non repris.

Vu la faillite, le tribunal va considérer que ce chef de demande est sans objet et il statue uniquement sur l’application faite de la CCT 32bis.

Il constate qu’elle ne trouvait pas à s’appliquer, du fait qu’il n’est pas établi qu’il y ait entre les deux entreprises un transfert d’un ensemble organisé d’éléments de nature à assurer, dans le cadre de la deuxième structure, la poursuite des activités de l’ancienne crèche de manière stable. Il se fonde sur les éléments suivants : (i) absence de similitude complète entre les activités (ouverture d’un jardin d’enfants, augmentation considérable de la capacité d’accueil), éléments indiquant une différence de finalité dans les deux entreprises ; (ii) coexistence de deux crèches pendant plusieurs mois ; (iii) reprise très limitée du personnel, soit 7 travailleuses sur 33 ; (iv) transfert limité du nombre d’enfants ; (v) lieux d’installation différents ; (vi) absence de transfert d’actifs corporels et (vii) différences dans les projets pédagogiques.

Position des parties devant la Cour du travail

Suite à l’appel formé par le curateur de la faillite, la Cour du travail est saisie d’une demande modifiée. L’exécution en nature des obligations de reprise du personnel étant devenue impossible, la curatelle maintient certes qu’il y avait lieu d’appliquer la CCT 32bis mais que, en ne reprenant pas le personnel de la sprl K. en faillite, l’asbl R. a provoqué un dommage, dommage qu’elle est tenue de réparer. Le préjudice est fixé à la somme de 320.000€ environ.

La curatelle fait valoir l’existence d’un préjudice grave dans le chef de la sprl K., qui a été confrontée à de lourdes charges sociales et un dépôt de bilan. La faute en est le comportement de l’asbl qui, dans un premier temps, a agi comme s’il s’agissait d’un transfert conventionnel mais, ultérieurement, s’est refusée à assumer ses obligations. La dette sociale engendrée par cette violation constitue le montant ci-dessus (indemnités de rupture et indemnités de fermeture). Le curateur fait notamment valoir que la société avait, pendant treize ans, vu ses contrats avec le Parlement européen régulièrement renouvelés et prolongés et qu’elle ne pouvait mettre en route une procédure de licenciement collectif, d’autant que les termes de l’adjudication ne faisaient pas valoir la suppression de ses activités mais le maintien en activité de deux établissements chargés de l’accueil des enfants.

En ce qui concerne l’asbl R., elle demande de constater l’inapplicabilité de la CCT 32bis et l’absence de faute en relation causale avec le dommage allégué.

Position de la Cour du travail

La Cour du travail commence par le rappel des dispositions de la convention 32 (ainsi que ses modifications successives destinées à intégrer dans le droit social belge les directives européennes) et plus précisément en ce qu’elles visent les cas de reprise de l’actif après faillite. La Cour rappelle également les conditions d’application des articles 1382 et 1383 du Code civil et notamment leur interprétation par la Cour de cassation dans un arrêt du 1er avril 2004 (C010211.F / C010217.F) rendu à propos du lien causal : pour la Cour suprême n’est pas légalement justifiée la décision qui n’exclut pas que sans la faute le dommage n’ait pu se produire tel qu’il s’est réalisé.

Appliquant ces principes au cas d’espèce, la Cour constate que la sprl K. n’établit pas la faute qu’elle impute à l’asbl R. Pour la Cour du travail, la sanction des dispositions visées de la CCT ne consiste pas dans une obligation de faire mais dans une possibilité de condamnation in solidum du cédant et du cessionnaire au paiement des dettes à la date du transfert et résultant des contrats de travail existant à cette date. En vertu de ce mécanisme, si le travailleur est licencié du fait du changement d’employeur, il dispose de deux débiteurs pour obtenir paiement des dettes résultant du contrat de travail qui, à la date du transfert litigieux, le liait au cédant. A supposer, selon la Cour, que la CCT 32bis soit applicable aux faits de la cause, la sprl restait de toute façon tenue envers les membres de son personnel des dettes existant à la date du transfert et devait répondre de celles-ci, l’asbl R., étant, dans le cadre de l’obligation de la dette, codébitrice pour le tout.

La contribution à la dette ne pouvait être réglée entre le cessionnaire (adjudicataire du marché) et le cédant (société évincée) que par une convention entre parties, laquelle est inexistante en l’espèce.

Par ailleurs, sur le lien de causalité, la Cour retient que, même si une faute devait être imputée à l’asbl R., étant une violation de ses obligations de reprise du personnel, le lien de causalité n’est pas établi, du fait des contrats signés entre le cédant et le Parlement européen, qui en tout état de cause, viendraient à terme le 31 décembre 2006. Ayant été avisée plus d’un an avant l’échéance qu’elle n’était pas retenue dans le cadre de l’appel d’offre, la sprl K. était donc dûment informée qu’elle ne pourrait redéployer ses activités au-delà de la date du 31 décembre 2006.

La Cour va, ensuite, reprendre divers éléments de fait, confirmant que la sprl K. était avisée depuis fin octobre 2005 de ce que toute chance était exclue d’obtenir un nouveau contrat de prestation de services et qu’elle n’a pas mis, à ce moment, en route les procédures de licenciement collectif et de fermeture d’entreprise, ce qui est une erreur fautive d’appréciation, ayant engendré le passif social.

En conclusion, non seulement la faute n’est pas établie, non plus que la hauteur du dommage mais encore le lien de causalité.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, la Cour du travail de Bruxelles revient sur les conditions du transfert d’entreprise, dans un cas concret, étant celui d’adjudications pour des contrats de service à durée déterminée. Elle rappelle également l’obligation pour l’employeur de prendre toute disposition, dans le cadre de l’annonce d’une fin de contrat attendue, de mettre en route les procédures de licenciement collectif et de fermeture d’entreprise en temps utile.

Enfin, l’arrêt rappelle également utilement la portée des articles 7 et 8 de la CCT 32bis.


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