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Abandon d’emploi et privation d’allocations pendant 4 semaines : conditions

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 10 juin 2010, R.G. 2008/AB/51.564

Mis en ligne le vendredi 17 septembre 2010


Cour du travail de Bruxelles, 10 juin 2010, R.G. n° 2008/AB/51.564

TERRA LABORIS ASBL - Mireille JOURDAN

Dans un arrêt du 10 juin 2010, la Cour du travail de Bruxelles a jugé que le fait pour un travailleur de déménager afin de s’installer avec sa campagne est susceptible de rendre l’emploi non convenable s’il entraîne des déplacements de plus de 4 heures par jour.

Les faits

Un Sieur D. déménage aux fins de se mettre en ménage avec une amie. Vu les distances entre son nouveau domicile et son lieu de travail, il quitte celui-ci. Ayant conclu une convention de formation professionnelle, il sollicite le bénéfice des allocations de chômage après avoir travaillé quelques jours comme intérimaire. Celles-ci lui sont refusées, en application de l’article 54, pendant les quatre semaines qui ont suivi sa démission (hors pour la période de quelques jours où il a travaillé comme intérimaire). La décision du bureau régional de Turnhout est basée sur le fait qu’il y a abandon d’emploi convenable au sens de cette disposition.

La procédure

Recours est introduit devant le tribunal du travail de Turnhout qui, par jugement du 17 mars 2006, fait droit à la demande.

Sur appel de l’ONEm, la Cour du travail d’Anvers réforme ce jugement, par arrêt du 11 janvier 2007 et rétablit la décision administrative. Pour la Cour du travail, le fait que l’intéressé ait quitté son emploi, n’ait pas demandé d’allocations de chômage à ce moment et ait presté comme intérimaire (pendant cinq jours), période suite à laquelle il demanda alors les allocations, implique l’application de l’article 54 de l’arrêté royal, étant la privation d’allocations de chômage pendant les quatre semaines suivant l’abandon d’emploi.

Par arrêt du 10 décembre 2007 (S.07.0037.N/1) la Cour de cassation cassa cette décision, au motif qu’il n’y avait pas lieu d’appliquer l’article 54 vu que l’emploi était devenu non convenable, entraînant une absence journalière du domicile de plus de 12 heures et/ou une durée de déplacement de plus de 4 heures.

L’affaire fut renvoyée devant la Cour du travail de Bruxelles.

Arrêt de la Cour du travail de Bruxelles

La Cour constate que le premier juge a fait droit à la demande au motif que le travailleur avait quitté son emploi suite à son déménagement afin d’aller vivre avec son amie et que de ce fait le trajet pour se rendre au travail et en revenir était de plus de 4 heures par jour.

Elle résume l’argumentation de l’ONEm selon laquelle pour l’application de l’article 54 il est sans intérêt que l’emploi abandonné ait ou non été un emploi convenable. Pour l’Office, il faut distinguer l’article 54 des articles 52 et 52bis, ces derniers ayant trait à des situations de chômage volontaire. Pour l’Office, l’application d’une période de carence de quatre semaines est automatique à partir du moment où l’emploi a été quitté, et ce indépendamment du fait de savoir si ceci est dû à une raison légitime.

La Cour du travail va réfuter cette argumentation en rappelant les articles 44, 51 §1er et 51 §2,1° de l’arrêté royal. Plus précisément en ce qui concerne ce dernier, la Cour reprend les éléments de l’arrêté ministériel relatif à la définition de l’emploi non convenable (article 25 § 1er), étant qu’un emploi a ce caractère s’il donne habituellement lieu à une absence journalière de la résidence habituelle de plus de 12 heures ou si la durée journalière des déplacements dépasse habituellement 4 heures. Pour la Cour, il est évident que la privation d’allocations de chômage prévue par l’article 54 vise l’abandon d’un emploi convenable et la Cour précise que la position de l’ONEm, qui voit dans l’article 54 une sanction automatique de 4 semaines ne peut valoir qu’en cas d’abandon d’emploi convenable. Pour la Cour, une autre interprétation ne trouve aucun soutènement dans les textes ni d’ailleurs dans aucun autre document auquel l’ONEm se référerait.

En l’espèce, il n’est pas contesté que la durée de déplacement journalier excède 4 heures, de telle sorte que l’emploi originaire ne répondait plus aux exigences de l’emploi convenable au sens de l’article 54 de l’arrêté royal et l’article 25, § 1er de l’arrêté ministériel.

La Cour relève, en outre, de manière expresse qu’aucune disposition légale ne limite ou ne peut contester le droit d’un travailleur de fonder une famille et de s’établir à un autre lieu de résidence, comme en l’espèce, au domicile de son amie qui y exerce elle-même une activité professionnelle.

Mais la Cour revient également sur l’affaire Bergerman (C.J.C.E. 22 septembre 1988, aff. N° 236/87) rendue dans le cadre de travailleurs frontaliers (une travailleuse ayant transféré sa résidence dans un état autre que l’état d’emploi pour des raisons familiales afin de vivre avec son conjoint et leur enfant), situation dont la conformité était demandée par rapport à l’article 71, § 1er du règlement n° 1408/71. Dans cette affaire il fut décidé qu’une travailleuse qui avait démissionné pour s’installer avec son conjoint dans un autre état que l’état d’emploi ne pouvait être exclue des allocations de chômage.

Pour la Cour du travail il n’y a aucune raison de modifier cette conclusion dans l’hypothèse d’un couple non marié.

Intérêt de la décision

Cette affaire, tranchée par la Cour du travail après l’arrêt de cassation du 10 décembre 2007, vient confirmer la portée de l’article 54 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, étant que la privation d’allocations de chômage de 4 semaines ne peut viser que l’abandon d’un emploi convenable, au sens des articles 25 et suivants de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991.


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