Terralaboris asbl

Application de l’article 63 à un ouvrier à qui le statut d’employé a été accordé conventionnellement

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 18 février 2010, R.G. 2009/AB/51.687

Mis en ligne le vendredi 17 septembre 2010


Cour du travail de Bruxelles, 18 février 2010, R.G. n° 2009/AB/51.687

TERRA LABORIS ASBL - Mireille JOURDAN

Dans un arrêt du 18 février 2010, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que le travailleur affecté à des tâches principalement manuelles (serveur) à qui le statut d’employé a été accordé conventionnellement continue à bénéficier de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978. Elle tranche par ailleurs d’autres contestations, étant le barème applicable ainsi que la valeur d’un reçu attribué au travailleur et dont celui-ci dénie la signature.

Les faits

Monsieur S. a presté en qualité de serveur pour un restaurant exploité par une société X. Un contrat de travail est ensuite signé, postérieurement à l’entrée en service, intitulé « contrat de travail pour employé ».

N’étant pas déclaré à l’ONSS, l’intéressé introduit une plainte auprès de l’inspection des lois sociales et est entendu, dans ce cadre, le 18 février 2005. Il est licencié verbalement le 21 février 2005.

A la suite du licenciement, l’employeur a fait application de la clause d’essai contenue dans le contrat de travail et a donc versé une indemnité calculée sur sept jours.

Monsieur S. a ensuite introduit une action devant le tribunal du travail de Bruxelles, sollicitant la condamnation de la société au paiement d’une indemnité compensatoire de préavis selon le régime « employé » (trois mois), d’arriérés de rémunération, le paiement d’heures complémentaires ainsi que de dommages et intérêts pour licenciement abusif.

Le tribunal du travail fait intégralement droit à sa demande.

Position des parties en degré d’appel

La société fait appel du jugement. Elle conteste le jugement en ce que celui-ci a considéré que le contrat de travail conclu était un contrat de travail d’ouvrier avec reconnaissance conventionnelle du statut d’employé. Elle revendique par ailleurs l’application de la clause d’essai. Sur la régularisation barémique, elle soutient que le salaire devait être fixé au regard des barèmes applicables à la fonction de « serveur au comptoir » et non à celle de « garçon de restaurant classique » comme l’avait retenu le premier juge. Elle conteste encore devoir des arriérés de salaire, invoquant des avances sur salaire, sur la base de documents constituant des reçus. De même, elle conteste être redevable d’heures complémentaires (heures prestées au-delà du régime de travail convenu à temps partiel) et, enfin, conteste la débition de l’indemnité pour licenciement abusif visée par l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 alléguant le statut d’employé de l’intéressé et soutenant que le licenciement serait fondé sur des vols.

Position de la Cour

La Cour tranche tout d’abord la question du statut du travailleur et de la qualité reconnue par le contrat de travail. Elle rappelle qu’en vertu des articles 2 et 3 de la loi du 3 juillet 1978, la qualification donnée par les parties ne lie pas le juge, seule la nature des fonctions exercée étant déterminante et que l’employeur peut accorder conventionnellement la qualité d’employé à un ouvrier, ce qui permet au travailleur de bénéficier des avantages liés au statut d’employé. Cependant, cette reconnaissance du statut d’employé ne peut restreindre les droits accordés au travailleur par la législation, en ce compris ceux contenus dans l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 (licenciement abusif).

Examinant la fonction (serveur), la Cour estime que l’intéressé exerce un travail principalement manuel mais qu’il découle du contrat de travail (titre et durée) ainsi que de l’attestation d’emploi que la société a accordé à l’intéressé le statut d’employé d’une manière conventionnelle, toute conclusion contraire violant à la foi due aux actes.

La Cour en retient dès lors que l’intéressé peut revendiquer les avantages liés au statut d’employé, en ce compris en termes de durée du préavis.

La Cour examine ensuite la validité de la clause d’essai, relevant que les éléments du dossier indiquent que l’entrée en service était antérieure à la signature du contrat de travail, ce qui rend la clause d’essai nulle en application des articles 48 et 67 de la loi du 3 juillet 1978. Le préavis doit donc être fixé à trois mois de rémunération.

Quant à la régularisation barémique, la discussion porte sur la fonction de référence pour l’application du barème, étant soit « serveur au comptoir » ou « garçon restaurant classique », les deux fonctions de référence étant à priori applicables, dès lors que la fonction exercée est celle de serveur. La Cour observe cependant que l’intéressé était seul en salle, la société ne disposant que de deux travailleurs, un cuisinier et un serveur. Elle retient donc qu’il est impossible de limiter sa fonction à celle de serveur au comptoir. Ce sont donc les barèmes applicables aux « garçons restaurant classique » qui doivent être appliqués.

Quant à l’existence d’acomptes allégués par la société, la Cour constate que celle-ci se fonde sur des documents qui ne constituent pas une quittance au sens de l’article 5, alinéa 2 de la loi du 12 avril 1965 et que, en outre, l’intéressé nie que les documents portent sa signature. La Cour rappelle alors qu’un acte sous seing privé désavoué perd toute force probante. C’est la partie qui invoque l’acte qui supporte la charge de la preuve et qui peut recourir à la procédure de vérification d’écriture visée aux articles 883 et ss. du Code judiciaire. La Cour constate donc que la société ne prouve pas avoir été libérée de ses obligations à concurrence du montant des avances alléguées et qu’elle doit les heures complémentaires réclamées, et ce sur la base même d’un document émanant de la société, qui récapitulait les heures exactes de prestations.

Enfin, quant à l’indemnité pour licenciement abusif, la Cour rappelle que l’article 63 est d’application nonobstant la reconnaissance conventionnelle de la qualité d’employé. Dès lors que la qualité objective du travailleur est celle d’ouvrier, les parties ne pouvaient restreindre les droits conférés par la loi en ce compris ceux visés par l’article 63.

La Cour en retient dès lors qu’il appartient à la société de prouver l’existence du motif du licenciement, à savoir le motif lié à la conduite, invoqué par celle-ci. La Cour constate que les vols allégués ne sont nullement établis, la société ne déposant qu’une attestation à laquelle une valeur probante quasi nulle est reconnue par la Cour, laquelle constate encore que la demande d’enquête ne repose pas sur des faits précis et ne peut dès lors être acceptée.

En conséquence, la Cour confirme en tous points le jugement a quo.

Intérêt de la décision

Cette décision reprend les principes importants sur quelques questions, dont deux en particulier :

(1) le maintien du bénéfice de l’article 63 pour le travailleur exerçant une occupation principalement à caractère manuel et qui s’est vu reconnaître le statut d’employé ;

(2) la valeur probante d’un acte sous seing privé dont la signature est déniée par celui à qui on l’oppose. Il n’appartient pas dans ce cas à celui qui conteste sa signature de prouver le faux mais à la partie qui l’invoque d’en établir la véracité, dès lors que l’acte est désavoué.


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