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Le CPAS ne peut refuser son aide au motif que le demandeur aurait pu continuer à vivre chez ses beaux-parents

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 14 avril 2010, R.G. 2008/AB/50.568

Mis en ligne le mardi 21 septembre 2010


Cour du travail de Bruxelles, 14 avril 2010, R.G. n° 2008/AB/50.568

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Dans un arrêt du 14 avril 2010, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que le CPAS ne peut renvoyer un demandeur qu’à ses ascendants ou descendants du premier degré. Et ce n’est là qu’une faculté, dont le CPAS ne peut user qu’après avoir évalué les ressources du débiteur auquel il envisage de renvoyer le demandeur et l’incidence de ce renvoi sur la qualité des relations familiales.

Les faits

Monsieur R. est né en Tunisie le 1er août 1976. Le 23 juillet 2005, il a épousé Madame B., qui est belge. Il possède une carte d’identité d’étranger depuis le 6 mars 2006.

Le 1er avril 2007, il prend un appartement en location à Schaerbeek et, le 3 avril 2007, il demande le RIS au CPAS de cette commune.

Le 4 juin 2007, le CPAS le lui refuse. Motivation : « pas d’éléments suffisants pour évaluer l’état de besoin ».

Le 16 octobre 2007, l’épouse du requérant est inscrite à son domicile.

Position du tribunal

Le tribunal a fait droit au recours le 3 décembre 2007. Il a invité le centre à revoir le dossier en vue de tenir compte de l’arrivée de Madame B. dans le ménage, ce qui implique qu’il vérifie les droits de celle-ci au revenu d’intégration..

Position des parties en appel

Le CPAS considère que l’intimé aurait pu faire appel à ses beaux-parents ou continuer à habiter avec son épouse chez eux. Il lui reproche aussi de ne pas avoir trouvé de cours de français. Il demande à la Cour de réformer le jugement, de confirmer le refus de RIS pour Monsieur R. et de le refuser pour son épouse. Il demande la restitution des sommes versées en suite de jugement.

L’intimé n’a pas comparu, ni conclu.

Position de la Cour

Vu la composition de ménage modifiée le 16 octobre 2007, la Cour distingue le période du 3 avril au 16 octobre 2007 – la seule sur laquelle elle statuera ici – de la période ultérieure – pour laquelle elle rouvrira les débats.

En ce qui concerne le renvoi aux beaux-parents, la Cour rappelle l’art. 4, § 1er, de la loi, qui prévoit que le CPAS peut imposer à son usager de faire valoir ses droits à l’égard de son conjoint au ex-conjoint, ainsi que de ses ascendants (ou adoptants) et descendants (ou adoptés) du premier degré.

Ce renvoi, insiste d’abord la Cour, ne peut avoir lieu que vers ces débiteurs limitativement énumérés. Or, les beaux-parents ne figurent pas parmi eux.

Il ne s’agit, ensuite, que d’une faculté laissée au CPAS. Et la Cour de citer M. MORMONT et J. MARTENS, « Renvoi vers les débiteurs alimentaires : motif de refus ou de réduction du revenu d’intégration ou de l’aide sociale » in L’aide sociale entre solidarité étatique et solidarité familiale, Kluwer, Etudes pratiques de droit social, 2010/1, p. 37) : selon ces auteurs, si le renvoi vers les débiteurs d’aliments n’a pas été voulu obligatoire, c’est afin d’éviter que son utilisation automatique ait des conséquences négatives sur les liens familiaux existants.

Le renvoi vers les débiteurs alimentaires doit donc en principe, rappelle la Cour, être précédé d’une enquête sociale sur leur capacité contributive et sur ses répercussions familiales (la Cour citant C. trav. Mons, 26 juillet 2007, R.G. n° 19 886 ; C. trav. Liège, 23 mars 2005, R.G. n° 2461/2004).

En l’espèce, la Cour conclut que, même s’ils avaient été débiteurs alimentaires, les beaux-parents de l’intimé auraient dû faire l’objet d’une enquête sur leur capacité contributive – laquelle n’a nullement été menée par le CPAS.

En ce qui concerne la disposition de l’intimé au travail, la Cour relève trois démarches de recherche d’emploi avant la demande de RIS et, après celle-ci, une candidature chez Colruyt, une réinscription auprès d’Actiris et des visites à Bruxelles Formation pour se renseigner sur les formations de maçon et de carreleur. De plusieurs offres d’emploi publiées par Actiris entre mai et octobre 2007 et versées au dossier de l’intimé, la Cour déduit qu’il s’est présenté régulièrement chez ACTIRIS, même si rien ne prouve qu’il y a répondu en envoyant des candidatures.

Pour la Cour, la disposition au travail est ainsi suffisamment établie, d’autant que dans ses démarches l’intimé n’a pas reçu l’aide et les conseils qu’il pouvait attendre du CPAS (souligné dans l’arrêt) – pas plus que dans la recherche d’un cours de français, que le centre lui reproche de ne pas avoir trouvé.

Enfin, la Cour déduit l’absence de ressources, au cours de la première période litigieuse, d’un endettement important à l’égard de six créanciers, dont le bailleur pour 5 loyers mensuels.

Le jugement dont appel est confirmé (droit au RIS au taux isolé) pour cette première période litigieuse, un complément d’information étant demandé aux parties en ce qui concerne la seconde.

Intérêt de la décision

La Cour du travail de Bruxelles rappelle d’abord le caractère limitatif de la liste des débiteurs alimentaires énumérés à l’art. 4, § 1er, de la loi du 26 mai 2002. Aucun parent au second degré n’y figure : seules les relations familiales au premier degré peuvent être prises en considération.

Même si cette limitation aurait suffi, en l’espèce, pour débouter l’appelant sur cet aspect de son argumentation, la Cour rappelle aussi le caractère facultatif du renvoi au débiteur alimentaire, lequel ne peut se faire qu’après une étude d’incidence à la fois quantitative (impact sur les ressources du débiteur alimentaire) et qualitative (impact sur les liens familiaux existants).

Si le demandeur prouve plusieurs initiatives de recherche active d’emploi ou de formation avant la demande d’aide et après celle-ci, la production d’offres d’emploi publiées par Actiris accrédite sa disposition au travail, même s’il ne démontre pas y avoir donné suite en envoyant effectivement sa candidature.

Notons enfin que la Cour n’exclut pas de condamner le centre, dans un second temps, à payer des arriérés d’aide sociale à l’épouse de l’intimé.


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