Terralaboris asbl

L’existence d’un fait fautif ne suffit pas à justifier le licenciement

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 13 juillet 2010, R.G. 2008/AB/51.650

Mis en ligne le vendredi 1er octobre 2010


Cour du travail de Bruxelles, 13 juillet 2010, R.G. n° 2008/AB/51.650

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 13 juillet 2010, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que le licenciement pour motif grave est la sanction ultime d’une faute contractuelle et qu’un fait fautif ne suffit pas à justifier celui-ci.

Les faits

Une dame D. preste, en qualité d’ACS, pour une administration communale et est responsable de l’organisation et de l’accompagnement pédagogique de sorties culturelles d’élèves. Elle est également chargée de participer à des réunions de concertation avec les enseignants et le personnel.

Suite à un incident intervenu sur les lieux du travail, elle est licenciée sur le champ, le Collège lui reprochant une attitude agressive, un manque de respect, des difficultés relationnelles et pointant plus particulièrement la dispute venant d’intervenir.

L’intéressée conteste son licenciement et donne sa version des faits. L’employeur restant sur sa position, le tribunal du travail de Bruxelles est saisi. Il déboute l’employée de sa demande d’indemnité compensatoire de préavis, considérant le motif grave établi.

La position des parties en appel

L’employée conteste essentiellement l’imprécision des reproches qui ont été formulés et demande que, vu celle-ci, ils ne puissent être invoqués ni en eux-mêmes ni comme circonstances à l’appui des faits précisés dans le temps (la dispute). Pour celui-ci, elle admet un échange verbal rude mais conteste les injures qui lui sont attribuées ainsi qu’une agression physique d’une collègue.

L’administration communale maintient, pour sa part, que les faits sont établis. A titre subsidiaire, elle fait valoir que l’intéressée se trouvait dans le cadre d’un contrat à durée déterminée et que l’indemnité doit dès lors être limitée.

La position de la Cour

La Cour constate que le jugement dont appel n’a pas retenu les trois premiers griefs, ceux-ci étant imprécis. Par contre, en ce qui concerne la dispute, située dans le temps, il a admis la réalité des faits et a constaté leur gravité, vu les circonstances.

La Cour confirme pour ces trois premiers griefs, que leur absence de précision empêche le juge d’en vérifier la réalité et la gravité. Elle renvoie par ailleurs à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 2 avril 1965, RDS 1965, p.202) en ce qui concerne la possibilité de prendre en compte ces trois griefs (imprécis) pour l’appréciation du quatrième (précis). La notification du quatrième fait invoqué peut, en principe, être complétée par le renvoi à d’autres éléments mais, précisément selon la Cour de cassation, uniquement pour autant que ceux-ci dans leur ensemble présentent suffisamment de précision et de certitude pour apprécier les motifs qui ont donné lieu au congé. Ce n’est pas le cas en l’espèce et la Cour de rappeler qu’il ne peut être pallié à l’imprécision de griefs en apportant a postériori la preuve de faits qui ne sont pas mentionnés dans la lettre de licenciement. Des rapports qui auraient été adressés plusieurs années auparavant et dont il n’est pas fait état dans les faits à la base du licenciement pour motif grave ne peuvent dès lors intervenir.

Seule est dès lors examinée la dispute intervenue avec un autre membre du personnel. La Cour va retenir, à partir des éléments de fait de celle-ci (démarches faites par l’intéressée auprès de son directeur, absence d’intervention de ce dernier pour calmer les choses, absence de preuve de violence dans le chef de la demanderesse), que le seul fait matériel établi est une injure et un comportement exaspéré envers la collègue. Pour la Cour, ce comportement injurieux et agressif, émanant d’une personne qui a une fonction pédagogique, est fautif. Il justifiait une réaction adaptée de la hiérarchie, la Cour relevant que l’attitude, même exaspérante, d’une collègue n’autorise en effet pas un tel comportement.

Quant à la sanction d’un tel comportement, la Cour rappelle que le licenciement pour motif grave est la sanction ultime d’une faute contractuelle et que l’existence d’un fait fautif ne suffit pas pour justifier le licenciement immédiat, l’employeur devant établir que la faute est, dans les circonstances propres à l’espèce, d’une gravité telle qu’elle rend immédiatement impossible la poursuite des relations contractuelles fût-ce pendant un délai de préavis.

Elle reprendra encore que le contexte plus général du licenciement reste ambigu et que l’intéressée avait fait l’objet de rapports positifs par le passé. Relevant encore que l’incident n’est pas intervenu en public (devant des élèves ou des tiers), elle conclut que l’incident n’était pas suffisamment grave pour justifier une mesure de licenciement immédiat en raison d’un motif pédagogique.

Une indemnité compensatoire de préavis est dès lors due et la Cour ne retient pas la thèse de l’employeur selon laquelle il y aurait lieu de la limiter au contrat à durée déterminée en cours dans la mesure où l’intéressée a été engagée dans le cadre de divers contrats successifs et où la loi applicable est celle du 3 juillet 1978.

La Cour réserve encore quelques considérations à la question des intérêts, rappelant que l’article 82 de la loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d’entreprises dispose qu’il y a lieu de les calculer sur la rémunération brute. Cette modification s’applique à la rémunération dont le droit au paiement nait à partir du 1er juillet 2005. En l’espèce, le licenciement étant antérieur à cette date, les intérêts sont dus sur le montant net de l’indemnité de préavis (et la Cour se réfère ici à l’arrêt de la Cour de cassation du 1er décembre 2008 (S.07.0116.N) et aux conclusions de M. l’avocat général MORTIER avant cet arrêt.

Intérêt de la décision

L’arrêt annoté rappelle deux principes importants en matière de licenciement pour motif grave : d’une part qu’il ne peut être pallié à l’imprécision des griefs contenus dans la lettre de rupture par la preuve de faits non mentionnés dans celle-ci et, d’autre part, qu’un fait fautif ne suffit pas pour justifier le licenciement immédiat.


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