Terralaboris asbl

Manquement d’une des parties à ses obligations contractuelles : ceci ne signifie pas nécessairement acte équipollent à rupture

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 11 août 2010, R.G. 2009/AB/51.968

Mis en ligne le vendredi 1er octobre 2010


Cour du travail de Bruxelles, 11 août 2010, R.G. n° 2009/AB/51.968

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 11 août 2010, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que si l’une des parties au contrat de travail manque à ses obligations, ceci ne signifie pas acte équipollent rupture, à défaut de preuve de la volonté de rompre.

Les faits

Une travailleuse entre au service d’une société (de titres service) dans le cadre d’un contrat de formation-insertion en entreprise. Suite à celui-ci elle est engagée pour une durée indéterminée et deviendra même responsable d’agence.

Elle reçoit, en mars 2007, un avertissement à propos de divers dysfonctionnements dans la gestion journalière de cette agence. En réaction, la gérante contacte le directeur de la société, se plaignant de harcèlement moral de la part de la coordinatrice.

Suite à une enquête menée par la direction, un rapport est adressé à l’intéressée, concluant au non-fondement de ses plaintes. Celle-ci est, entre-temps, tombée en incapacité de travail, incapacité qui va se prolonger. Elle reçoit ultérieurement son licenciement avec préavis de trois mois à prester, et ce au motif de la persistance des dysfonctionnements constatés dans la gérance de son agence.

A la fin de la période d’incapacité, elle doit reprendre le travail à la date du 3 juillet. Une altercation intervient, manifestement, lors de celle-ci et l’employée s’absente, sans justification, pendant deux semaines. Le 18 juillet, la société la met en demeure de justifier cette absence.

Le conseil de l’employée va, alors, répondre par courrier du 20 juillet, constatant l’existence d’un acte équipollent à rupture dans le chef de la société au jour de la reprise. Celle-ci va contester, par la voie de son conseil également et annoncer qu’elle réclame une indemnité de rupture à charge de l’employée.

Celle-ci porte le litige devant le tribunal du travail de Nivelles (section Wavre). Il s’avérera ultérieurement que, dès le 3 juillet, l’employée a obtenu l’agrément comme entreprise de services pour effectuer des activités dans ce cadre. Etant, par ailleurs, propriétaire de l’immeuble où s’exerçait l’activité de titres-services de la société, elle exploitera sa propre activité à cette adresse, son ex-employeur ayant quitté les lieux très rapidement, suite à un litige locatif entre parties.

La position du tribunal

Le tribunal du travail a accueilli partiellement la demande de l’intéressée, sur une question de salaire garanti. Elle a cependant été déboutée de sa demande d’indemnité compensatoire de préavis et a elle-même été condamnée à payer une indemnité de rupture. La société ayant introduit, pour sa part, une demande reconventionnelle pour concurrence déloyale, elle en fut déboutée.

La position des parties en appel

En ce qui concerne l’acte équipollent à rupture, l’employée invoque une rupture tacite résultant du manquement de la société à son obligation de fournir le travail convenu, prétendant que lorsqu’elle s’est présentée sur son lieu de travail le jour de la reprise, elle se serait vue interdire l’accès aux locaux. La société fait valoir pour sa part que, si l’employée s’est rendue dans les locaux de l’agence, ce n’était pas pour y reprendre le travail. Elle conteste avoir refusé l’accès au lieu de travail, de même que d’avoir détruit l’attestation de reprise du travail que l’employée remettait.

La position de la Cour

La Cour est dès lors saisie de deux positions divergentes, dans les faits, en ce qui concerne l’imputabilité de la rupture.

Elle rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 12 décembre 1988, Chr. Dr. Soc., 1989, p.129), selon laquelle le manquement d’une partie à ses obligations ne met pas fin en soi au contrat de travail. Il n’entraîne la rupture qu’à la condition d’apporter la preuve de la volonté de rompre, dans le chef de l’auteur du manquement. Or, les éléments de fait ne permettent pas de retenir une telle volonté dans le chef de la société. L’employée s’était en effet fait accompagner d’un huissier de justice mais celui-ci est resté à l’extérieur du bâtiment et il n’a pu que reproduire des déclarations de l’amie de l’employée qui avait accompagné celle-ci à l’intérieur. La Cour retient que, si une altercation ou des propos un peu vifs ont pu être émis par une collègue sur place, ceci ne pouvait engager la société et, surtout, que l’employée n’a pris aucune initiative, après ces événements, aux fins de mettre son employeur en demeure de lui fournir du travail. Elle retient que ce n’est que dix-sept jours plus tard que, par la voie de son conseil, qu’elle a constaté l’acte équipollent à rupture, et ce après la mise en demeure de l’employeur de justifier ses absences. Elle doit, en conséquence, payer une indemnité de rupture à son employeur, indemnité d’un mois de rémunération.

La Cour doit en outre se pencher sur la demande reconventionnelle de la société, maintenue en degré d’appel, dans le cadre de son appel incident. Cette demande porte sur la condamnation de l’employée à un montant fixé ex aequo et bono à 15.000€ au motif qu’elle aurait commis des actes de concurrence déloyale. Il s’agit d’avoir créé sa propre entreprise de titres-services à une première adresse, pendant une brève période de temps, suivi d’un déménagement à l’adresse où la société exploitait auparavant. Il est également question de débauchage de clientèle et de personnel et d’utilisation d’un contrat de prestations identique à celui de la société.

La Cour retient que, si l’employée avait manifesté, durant son occupation au service de la société, sa volonté d’ouvrir sa propre agence de services d’aide-ménagère et de repassage, il n’est pas établi qu’elle a réellement exercé une telle activité concurrente pendant les relations contractuelles.

L’article 17, 3° de la loi du 3 juillet 1978 interdit la divulgation des secrets de fabrication ou d’affaires ainsi que l’exercice d’un acte de concurrence déloyale que ce soit au cours du contrat ou après celui-ci. Et la Cour de rappeler que l’exercice par un ancien employé d’une activité concurrente à celle de son ex-employeur après la cessation du contrat n’est pas déloyal. Celui-ci peut s’installer dans la même branche, démarcher la même clientèle et exercer la même activité, en l’absence de clause de non-concurrence. La limite au principe de la libre concurrence est le respect des usages honnêtes en matière commerciale. Ne franchit pas cette limite l’employé qui indique à des clients de son ex-employeur qu’il poursuit l’activité pour son propre compte ou encore pour le compte d’un nouveau mandant. Il peut, comme le rappelle la Cour, approcher ou tenter d’obtenir la clientèle de son ex-employeur pour autant qu’il n’entretienne pas une confusion avec celui-ci et qu’il ne trompe pas le client sur sa qualité. S’il ne peut utiliser les secrets d’entreprise, rien ne l’empêche de mettre à profit l’expérience qu’il a acquise ou les données qui ne relèvent pas de secrets d’affaires.

En l’espèce, rien de tout ceci n’est établi, non plus que les griefs relatifs au débauchage de membres du personnel, vu l’absence de preuve de manœuvres, c’est-à-dire de pratiques contraires aux usages normaux en matière commerciale.

La Cour déboute en conséquence la société de ce chef de demande, d’autant qu’elle relève qu’aucune justification n’est donnée quant au préjudice subi.

Intérêt de la décision

L’arrêt annoté présente un double intérêt étant de rappeler

  • d’une part qu’il y a lieu d’être très prudent en matière d’acte équipollent à rupture : celui-ci ne peut être dénoncé en cas de manquement à une obligation d’une des parties que si l’on peut déceler dans son comportement sa volonté de mettre un terme aux relations contractuelles,
  • d’autre part que le principe du libre exercice d’une activité commerciale concurrente ne connaît comme limites, en l’absence d’une clause de non-concurrence, que les pratiques honnêtes en matière commerciale.

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