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Allocations aux personnes handicapées – contours de l’exigence du préalable administratif

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Liège, 10 mai 2010, R.G. 2009/AL/36.470

Mis en ligne le mardi 5 octobre 2010


Cour du travail de Liège, 10 mai 2010, R.G. n° 2009/AL/36.470

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 10 mai 2010, la Cour du travail de Liège rappelle l’exigence du préalable administratif en la matière, avec la réserve que tous les éléments soumis au juge ne doivent pas avoir été préalablement examinés par l’institution de sécurité sociale.

Les faits

Une dame H., bénéficiant d’allocations pour personnes handicapées, fait l’objet d’une révision administrative, suite à un changement de composition de ménage. S’étant vue désigner un administrateur provisoire, celui-ci renvoie le document sans joindre le formulaire 102 (qui a été envoyé à un établissement où l’intéressée a séjourné), le document n’ayant pas été retourné. Il sollicite également une demande de révision médicale, qui avait été omise lors de la demande de révision administrative. Il sera procédé à la révision administrative mais aucun examen médical n’aura lieu.

Le Service va lors revoir la situation de l’intéressée, suite à sa mise en ménage et maintiendra l’allocation d’intégration en 2e catégorie. C’est sur celle-ci que porte le recours.

La position du tribunal du travail

L’avis de l’auditeur du travail reprend la modification législative intervenue, ainsi que les arrêts rendus par la Cour de cassation sur la question du préalable administratif et de la limite de la saisine du juge. En l’espèce, cependant il considère que le certificat médical permet de conclure à une aggravation au moment de l’introduction de la demande de reconnaissance de celle-ci.

Le tribunal ordonne la réouverture des débats afin de permettre aux parties de prendre position sur la limite de sa saisine, s’agissant de savoir si l’intéressée peut bénéficier de l’allocation d’intégration en catégorie 3 à partir du 1er février 2006, ainsi que repris dans le recours ou s’il y a lieu de tenir compte de la date d’introduction de la demande de reconnaissance d’aggravation.

La position des parties en appel

Le Service interjette appel et considère que le recours doit être déclaré irrecevable, les principes de bonne administration et de la séparation des pouvoirs étant violés lorsque le juge se prononce sans que l’administration ait été préalablement saisie.

La position de la Cour

Cette espèce est l’occasion pour la Cour du travail de rappeler les principes, étant que les pouvoirs du Judiciaire sont circonscrits à l’article 144 de la Constitution, qui dispose que le juge est compétent pour les contestations qui ont pour objet des droits civils.

En ce qui concerne le principe de bonne administration, qui est un principe général de droit, la Cour rappelle que celui-ci doit céder devant le principe de légalité : il ne peut être invoqué s’il aboutit à une politique contraire aux dispositions légales, de même pour celui de la légitime confiance, qui ne peut contrevenir à une règle de droit. Lorsqu’un principe général de droit est invoqué, il faut encore vérifier s’il a ou non un caractère supplétif et la Cour rappelle la doctrine de J.-Fr. ROMAIN, selon qui dans les domaines touchant aux relations entre les justiciables et les administrations, les principes généraux sont généralement impératifs ou d’ordre public.

Le préalable administratif est considéré comme un effet du principe général de la séparation des pouvoirs, principe ayant valeur constitutionnelle. Par préalable administratif, il faut entendre l’obligation incombant au justiciable de se soumettre à la procédure administrative prévue par la loi, dans les cas qu’elle détermine, et ce préalablement à l’intentement d’une action judiciaire. Le corollaire de cette obligation est que le juge déclarera irrecevable une demande judiciaire non précédée de la phase administrative (la Cour rappelant des décisions de jurisprudence, dont C. trav. Liège, 1er mars 2010, R.G. n° 34.054/06 en matière de maladie professionnelle).

Si une demande d’octroi de prestations de sécurité sociale ne peut être portée devant le juge sans l’avoir été préalablement devant l’administration , une fois que celle-ci a été saisie ou qu’elle s’est saisie d’office d’une demande et qu’elle a statué, l’assuré social dispose d’un droit de recours. Ce droit englobe tout ce sur quoi porte la décision, aucune composante de celle-ci n’échappant au pouvoir judiciaire. Il en découle, pour la Cour, que le pouvoir judiciaire est investi de la compétence dont dispose l’administration pour statuer à son tour sur la contestation, et ce même si elle n’a pas examiné tous les aspects de la question.

Plus particulièrement en matière d’allocations aux personnes handicapées, ce préalable est prévu par la loi du 27 février 1987 relative aux allocations (art. 8 et 8bis). La Cour rappelle alors l’évolution de la question, vu la rédaction antérieure de l’article 582, 1° du Code judiciaire, les arrêts de la Cour de cassation et de la Cour d’arbitrage, qui ont abouti à une modification du texte de l’article 582, 1°. Celui-ci prévoit actuellement que les juridictions du travail sont compétentes en ce qui concerne les contestations relatives aux droits en matière d’allocations aux handicapés. Cette formulation rejoint celle utilisée dans les autres branches de la sécurité sociale au sens large.

Suite à cette modification légale (survenue en 1999), la Cour de cassation est intervenue dans divers arrêts (dont Cass., 8 sept. 2003, Chron. Dr. Soc., 2004, p. 243), dans lesquels elle a jugé que l’article 582, 1° actuel du Code judiciaire a rompu le lien entre le traitement administratif et judiciaire de la demande. Ceci vaut tant pour les allocations que pour avantages sociaux et fiscaux.

La Cour relève ainsi que c’est le législateur qui a autorisé les parties à saisir le juge d’une demande qui ne concerne pas uniquement ce qui a fait l’objet du préalable administratif mais toute demande, en ce compris ce qui n’a pas été examiné d’initiative par l’institution et même ce qu’elle n’aurait pu examiner, vu l’incidence d’événements postérieurs.

La Cour ne suit dès lors pas le Service, concluant qu’il ne s’agit pas d’une appropriation par le pouvoir judiciaire de pouvoirs dévolus à l’Exécutif mais de l’attribution par le pouvoir législatif d’une mission au pouvoir judiciaire : celle de trancher la contestation en ce compris en ce qu’elle porte sur des éléments dont l’institution n’a pas eu connaissance ou à propos desquels elle n’a pas statué. Ceci n’enlève rien au principe de la séparation des pouvoirs.

La Cour rappelle encore que, si le Service a pris une décision de révision administrative la juridiction du travail est compétente même pour connaître de faits qu’elle n’a pas pu prendre en considération, ainsi une modification de l’état de santé. Le juge peut, dans le respect de l’article 807 du Code judiciaire, prendre connaissance d’une demande fondée sur des faits ultérieurs à la décision administrative ou d’une demande nouvelle ou complémentaire.

Appliquant ces principes en l’espèce, la Cour va constater qu’est alléguée une aggravation du degré d’autonomie avant la date de la décision et même avant celle à laquelle la demande de révision médicale a été faite. La Cour constate que la demande de reconnaissance d’aggravation a été irrégulière mais qu’elle aurait dû être suivie d’une information donnée par le Service invitant l’administrateur provisoire à introduire une demande (avec effet à la même date) auprès de l’administration communale, ce qui n’a pas été fait.

La Cour désigne dès lors un expert qui examinera la perte d’autonomie, ainsi que les éléments médicaux ouvrant le droit aux avantages sociaux et fiscaux.

Intérêt de la décision

La décision annotée est très motivée en droit, sur la question délicate du préalable administratif. Elle aborde également, outre les conditions de l’extension de la demande, la compétence des juridictions et la portée de celle-ci, selon qu’il s’agit de compétence portant sur les décisions prises par l’institution de sécurité sociale et sur celles portant sur les contestations relatives aux droits de l’assuré social.


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