Terralaboris asbl

Prescription de l’action en paiement de l’indemnité compensatoire de préavis sur base délictuelle : la Cour constitutionnelle est interrogée

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 28 septembre 2010, R.G. 14.090/08

Mis en ligne le jeudi 28 octobre 2010


Tribunal du travail de Bruxelles, 28 septembre 2010, R.G. 14.090/08

TERRA LABORIS ASBL

Dans un jugement du 28 septembre 2010, le Tribunal du travail de Bruxelles, saisi de l’applicabilité des règles de prescription en matière pénale (action civile née d’une infraction) à l’indemnité compensatoire de préavis, pose une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle. Par ailleurs, le Tribunal tranche la question de la catégorie professionnelle applicable dans le secteur HORECA, traçant la différence entre la fonction de portier et celle de réceptionniste.

Les faits

Monsieur R. est entré au service d’une société exploitant un hôtel deux étoiles à Bruxelles, dans le courant de l’été 2007, la date d’entrée en service étant contestée tandis qu’aucun contrat de travail écrit n’a été signé. A partir du 17 septembre, l’intéressé est en incapacité de travail et le contrat est rompu au 8 octobre 2007.

Se plaignant de divers manquements à la réglementation sociale, notamment en ce qui concerne le barème applicable, l’intéressé dépose une plainte auprès du Contrôle des lois sociales et fait, en août 2008, une déclaration de personne lésée auprès de l’Auditorat du travail.

Il introduit la procédure devant les juridictions du travail en date du 14 octobre 2008, soit plus d’un an après la fin du contrat de travail.

Il réclame des arriérés de rémunération, estimant que le barème applicable à ses prestations est celui de réceptionniste et non celui (appliqué) de portier. Il réclame également une indemnité compensatoire de préavis, de même que le pécule de vacances de sortie.

Position des parties

La société oppose une exception de prescription à la demande de l’intéressé, au motif que l’action a été introduite plus d’un an après la fin du contrat de travail. Le travailleur soutient qu’il y a lieu de faire application de la prescription applicable à l’action civile née d’une infraction, soit de l’article 2262bis du Code civil, qui prévoit un délai de 5 ans. Il souligne ainsi que le non paiement de la rémunération ou des pécules de vacances constitue une infraction et qu’il est en droit, au vu de la modification de la jurisprudence de la Cour de cassation, de réclamer, dans le cadre de cette action ex delicto, la réparation en nature et non uniquement en équivalent. Sur la question de l’action civile née d’une infraction, la société fait valoir qu’il y a doute quant au barème applicable, soit quant à la catégorie professionnelle, ce qui exclut l’élément moral de l’infraction.

Sur la prescription de l’indemnité compensatoire de préavis, l’intéressé fait valoir que la règle de prescription quinquennale est applicable et que, s’il fallait considérer le contraire, il y aurait une différence de traitement entre le travailleur licencié moyennant le paiement de l’indemnité et celui licencié moyennant la prestation d’un préavis, lorsqu’il s’agit de réclamer le paiement de l’indemnité ou de la rémunération.

Position du Tribunal

Le Tribunal commence par examiner la question de la prescription. Il rappelle qu’en ce qui concerne le non paiement de la rémunération et des pécules de vacances, ces faits sont effectivement érigés en infraction par la loi (article 42 de la loi du 12 avril 1965 et article 59 des lois coordonnées du 28 juin 1971). Renvoyant à l’arrêt de la Cour de cassation du 23 octobre 2006 (Chron.D.S., 2007, p. 253), le Tribunal rappelle qu’il est possible de réclamer, dans le cadre d’une action ex delicto, le paiement des arriérés de rémunération plutôt que des dommages et intérêts.

Le Tribunal relève encore, concernant l’élément moral de l’infraction, qu’aucune intention particulière ou dol spécial n’est exigé dans le cadre des infractions invoquées, tandis qu’aucune cause de justification vraisemblable n’est avancée par la société.

Sur ces bases, le Tribunal considère que les arriérés de rémunération et la demande relative au pécule de vacances ne sont pas atteints par la prescription, pour autant que l’élément matériel de l’infraction soit reconnu.

Le Tribunal relève que, concernant l’indemnité de rupture, il est jugé que l’action en paiement de ladite indemnité n’a pas de fondement délictuel, et ce même si l’indemnité constitue une rémunération au sens de la loi du 12 avril 1965, et ce au motif qu’elle n’est pas visée par les dispositions mentionnées dans l’article 42, 1° de la loi du 12 avril 1965.

Il relève cependant qu’une différence de traitement peut effectivement exister entre le travailleur victime du défaut du paiement d’une indemnité compensatoire de préavis et celui victime du non paiement de la rémunération pendant la période de préavis, l’action que pourraient introduire ces deux travailleurs n’étant pas soumise au même délai de prescription. C’est la raison pour laquelle le Tribunal pose une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle, visant la différence de traitement pouvant exister entre le travailleur victime du non paiement de la rémunération pendant la période de préavis prestée et celui victime du non paiement de l’indemnité, licencié moyennant celle-ci.

Par ailleurs, concernant la catégorie professionnelle applicable, le Tribunal est amené à se prononcer sur les différences existant entre la fonction de portier et celle de réceptionniste. Il relève qu’un certain nombre de tâches communes caractérise les deux fonctions, notamment en ce qui concerne l’accueil des clients, la surveillance de l’entrée de l’hôtel et la fourniture d’informations aux clients. Cependant, la fonction de réceptionniste comporte des tâches supplémentaires, non présentes dans la description de fonction de portier, à savoir des tâches liées à la location des chambres, à l’utilisation de la centrale téléphonique et aux instructions à donner à d’autres membres du personnel.

Le Tribunal considère en conséquence que, dans le cas d’un travailleur assurant la « permanence » d’un hôtel pendant la nuit, il y a lieu, pour savoir quelle est la fonction qui doit être retenue, non d’appliquer l’article 6 de la convention collective de travail du 25 juin 1997 mais de déterminer si les tâches spécifiques du réceptionniste sont exercées de manière habituelle et régulière par le travailleur concerné. Dans l’affirmative, c’est la fonction de réceptionniste qui doit être retenue et, dans la négative, celle de portier.

En l’espèce, le Tribunal relève, sur la base des éléments du dossier, que la fonction exercée par l’intéressé était bien celle de réceptionniste, celui-ci étant amené à poser les actes matériels relevant de la fonction.

Intérêt de la décision

Outre les considérations reprises au jugement quant aux conditions d’application de la prescription de l’action civile née d’une infraction, notamment quant à l’objet de la demande et à l’appréciation de l’élément moral, l’intérêt principal de la décision résulte de la question préjudicielle posée à la Cour constitutionnelle. Celle-ci porte sur le fait que le travailleur victime du non paiement d’une indemnité compensatoire de préavis doit agir selon le délai de prescription contractuel (1 an – article 15 de la loi du 3 juillet 1978) alors que les créances de rémunération pourraient être soumises au délai de prescription quinquennal, et ce sur une base délictuelle.

Il y a donc lieu de suivre la question, afin de voir quelle position la Cour constitutionnelle adoptera.

Le jugement présente encore un autre intérêt, s’agissant de la détermination de la catégorie applicable, conditionnant le barème horaire, le jugement contenant une analyse des fonctions de portier et de réceptionniste au sein des hôtels (commission paritaire 302 – HORECA).


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