Terralaboris asbl

Protection contre le licenciement de la femme enceinte : cas d’espèce

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 11 août 2010, R.G. 2009/AB/51.960

Mis en ligne le vendredi 5 novembre 2010


Cour du travail de Bruxelles, 11 août 2010, R.G. 2009/AB/51.960

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 11 août 2010, la Cour du travail de Bruxelles est amenée à se prononcer sur une demande d’indemnité de protection de la femme enceinte, l’employeur soutenant un motif lié à un manque de productivité et divers griefs. L’absence de preuve ainsi que le caractère vague des griefs conduit la Cour à retenir l’absence de renversement de la présomption. Elle apporte par ailleurs quelques précisions sur le plan des principes.

Les faits

Madame D. est occupée comme « account executive » dans une société, dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée ayant pris cours le 25 avril 2005.

Le 10 avril 2006, l’intéressée avise son employeur de son état de grossesse.

Rapidement après cette annonce, l’employeur adresse, le 2 juin 2006, un premier avertissement, reprochant à l’intéressée un départ prématuré de son bureau ainsi qu’une absence de rapport entre le salaire versé et le « return » de la travailleuse. Ces griefs seront contestés par l’intéressée par courrier du 9 juin 2006, à laquelle l’employeur ne répondra pas.

Concomitamment, l’intéressée est contrainte de déposer une plainte auprès du SPF Emploi, Travail et Concertation sociale, et ce en raison du non-respect de la réglementation relative à l’interdiction du tabac sur les lieux de travail. La descente opérée par l’Inspection confirme les griefs de l’intéressée.

Le 20 septembre 2006, celle-ci informe l’employeur du début du congé de maternité et réitère ses demandes concernant l’interdiction de fumer sur les lieux de travail.

Le 11 octobre 2006, elle reçoit un second avertissement, contenant une série de griefs, pour la plupart vagues et imprécis. Cet avertissement fait l’objet d’une réponse circonstanciée de la part du conseil de Madame D., et ce par lettre du 24 octobre 2006.

Elle est alors licenciée par courrier du 25 octobre 2006, moyennant le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis de 3 mois.

L’intéressée conteste alors tant la durée du préavis notifié que l’absence de paiement de l’indemnité de protection. Elle sollicite par ailleurs la délivrance des documents sociaux.

Ceux-ci n’étant toujours pas délivrés début décembre, elle est amenée à déposer une plainte concernant ceux-ci auprès de l’Inspection sociale. Seule cette démarche permettra la délivrance desdits documents sociaux.

Vu l’absence de conciliation, une procédure est engagée par la travailleuse, visant la condamnation de la société au paiement d’un mois d’indemnité compensatoire de préavis complémentaire, de l’indemnité de protection visée par l’article 40 de la loi du 16 mars 1971, de salaires impayés, de frais de déplacement, ainsi que d’une somme forfaitaire de 500 € au titre d’indemnisation pour les dommages et désagréments créés par la délivrance tardive des documents sociaux.

Position du Tribunal

Le Tribunal ne fait que très partiellement droit à la demande, rejetant l’indemnité complémentaire de préavis ainsi que la demande relative à l’indemnité de protection, et ce, pour cette dernière indemnité, au motif d’une mésentente entre le gérant et la travailleuse. Par contre, il accède à la demande de dommages et intérêts pour délivrance tardive des documents sociaux et alloue à ce titre 250 €.

Position de la Cour

Les deux parties ont interjeté appel du jugement, de sorte que la Cour se trouve saisie de l’intégralité du litige.

Elle statue en premier lieu sur le complément d’indemnité de préavis, rappelant à cet égard que les éléments de l’évaluation sont ceux susceptibles d’influencer les chances de reclassement, de sorte que le comportement de l’employé ne peut être pris en considération. En l’espèce, eu égard à la faible ancienneté de l’intéressée (1 an et 6 mois), son âge (31 ans) ainsi qu’à la fonction et à la rémunération, la Cour estime que le préavis notifié (3 mois) est suffisant, et ce d’autant plus que les restrictions invoquées par l’intéressée ne sont pas établies. Celle-ci invoquait en effet le fait qu’être licenciée alors qu’elle venait d’accoucher était une difficulté spécifique de reclassement. La Cour refuse de prendre en considération cet élément, estimant qu’il ne s’agit pas d’un motif suffisant pour accorder un complément d’indemnité.

Quant à l’indemnité de protection de la maternité, la Cour rappelle les principes applicables, à savoir qu’il appartient à l’employeur d’apporter la preuve des motifs étrangers à l’état physique qui résulte de la grossesse ou de l’accouchement. Si l’employeur répond à la demande de précision du motif, il n’est alors plus admissible à invoquer d’autres motifs, étant donc lié par ceux annoncés dans la phase préjudiciaire. Sur le plan de l’objet de la preuve, la Cour rappelle que l’employeur doit prouver l’existence de faits objectifs démontrant que le licenciement intervient pour des motifs étrangers à l’état de grossesse ou d’accouchement, ainsi que la sincérité de ces motifs et le lien causal entre les faits invoqués (étrangers) et le licenciement.

La Cour examine dès lors le motif avancé, tel que repris sur le formulaire C4, ainsi que les avertissements qui ont été adressés à l’intéressée avant la rupture. Elle constate que l’employeur reste en défaut de prouver la plupart des allégations invoquées dans ces avertissements, qui apparaissent suspects au vu de la chronologie des faits. La Cour relève par ailleurs qu’une série de griefs sont des accusations formulées en termes généraux, empêchant la travailleuse de faire valoir sa défense.

Eu égard au dossier, la Cour estime en conséquence que la preuve d’un motif étranger à l’état physique n’est pas établie à suffisance et condamne ainsi la société au paiement de l’indemnité de protection.

Enfin, sur les dommages et intérêts pour remise tardive des documents sociaux, elle constate que l’employeur ne conteste pas avoir remis tardivement ceux-ci et confirme la conclusion du premier juge. Elle relève l’importance desdits documents pour l’octroi des prestations de sécurité sociale, et plus spécialement des allocations de chômage, ainsi que le fait que l’intéressée a dû effectuer une série de démarches (en ce compris la plainte auprès de l’Inspection sociale) dans un moment sensible de son existence, à savoir l’accouchement. Ces éléments, combinés à la mauvaise volonté dont a fait montre l’employeur, permettent à la Cour de considérer qu’il y a eu préjudice moral distinct de celui couvert par l’indemnité de rupture.

Intérêt de la décision

Cette décision rappelle les principes applicables en matière de renversement de la présomption contenue dans l’article 40 de la loi du 16 mars 1971. La Cour du travail confirme ainsi l’objet de la preuve à rapporter par l’employeur mais également le fait que celui-ci est tenu par les motifs qui ont été précisés à la demande de la travailleuse, ainsi que la règlementation le prévoit.

Relevons encore que la Cour a été amenée à se prononcer sur l’incidence de l’état d’accouchement de la travailleuse au moment de la rupture du contrat de travail, et ce au regard de l’évaluation du préavis convenable. La Cour considère qu’il s’agit d’un élément qui n’entre pas en considération pour allouer un mois supplémentaire, sans motiver au-delà sa position. Or, étant licenciée au moment où elle venait d’accoucher, la recherche d’emploi n’était pas possible dans l’immédiat, et ce au regard de la réglementation relative à la protection de la maternité. Sur le plan des principes, il n’apparaît pas que cette circonstance ne soit susceptible de jouer aucun rôle, dès lors que la Cour de cassation précise elle-même que le délai suffisant doit être évalué en fonction des difficultés pour le travailleur à retrouver un emploi équivalent.


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