Terralaboris asbl

Inconstitutionnalité de la sanction d’exclusion prévue en cas de non respect des engagements souscrits par le chômeur dans le cadre de l’activation

Commentaire de C. trav. Mons, 19 mai 2010, R.G. 21.109

Mis en ligne le mercredi 17 novembre 2010


Cour du travail de Mons, 19 mai 2010, R.G. n° 21.109

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 19 mai 2010, la cour du travail de Mons juge que la mesure d’exclusion prise sur la base de l’article 59quinquies, § 6, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 ne peut s’analyser comme une sanction de caractère pénal. Elle est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’elle ne permet pas la modalisation de la mesure d’exclusion qu’il prévoit mais le juge ne peut combler cette lacune extrinsèque.

Les faits

Mme J. est exclue pendant quatre mois du bénéfice des allocations d’attente au motif qu’elle n’a pas respecté les engagements souscrits lors du contrat signé au cours du premier entretien. Ce respect devait se vérifier en l’espèce au cours d’une période prolongée du fait du suivi d’une formation en logistique, soit la période du 29 mars 2006 au 20 mai 2007.

Mme J. ayant introduit un recours devant le tribunal du travail de Charleroi à l’encontre de cette décision, celui-ci, par un jugement du 14 mars 2008, admet que l’un des engagements prévus dans le contrat, à savoir la présentation spontanée de candidatures auprès de huit entreprises et/ou organisations au moins à raison de deux par mois en joignant les attestations de l’employeur, n’a pas été respecté. Il sursoit à statuer sur la question d’une discrimination éventuelle entre les chômeurs selon qu’ils bénéficient d’allocations d’attente ou d’allocations de chômage.

La position des parties devant la Cour du travail

Mme J. a introduit un recours contre cette décision. Elle soutient avoir respecté de la manière prévue et par équivalent les engagements contractuellement prévus.

L’ONEm invite la Cour du travail à confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a décidé que Mme J. n’avait pas respecté l’entièreté de ses engagements.

L’arrêt du 29 octobre 2009

La Cour du travail estime qu’à défaut d’appel de l’O.N.Em., seul le respect du troisième engagement est en débat ; elle considère qu’elle a le pouvoir de vérifier au regard des obligations de loyauté, de pondération et de collaboration consacré par l’article 1134, alinéa 3, du Code civil, le respect des engagements souscrits.

Elle considère toutefois qu’en l’espèce, Mme J. ne prouve que quatre contacts et qu’elle ne peut prendre en considération la formation en logistique, dès lors que cette formation a permis à Mme J. de bénéficier d’une dispense de l’obligation de recherche active d’emploi.

La Cour du travail déclare en conséquence l’appel non fondé en ce qu’il porte sur l’absence de respect de l’un des engagements prévus par le contrat d’activation.

Elle décide qu’elle ne peut comparer les deux catégories de chômeurs que sont ceux qui bénéficient d’allocations de chômage et ceux qui bénéficient d’allocations d’attente.

Par contre, dans l’optique de l’approche « contractuelle », elle s’interroge sur la nature de l’exclusion prévue par l’article 59quinquies, § 6 ARO, l’adéquation ou la disproportion entre la situation personnelle de Mme J. et la durée fixe de quatre mois d’exclusion et la conformité de cette disposition aux articles 10 et 11 de la Constitution. En cas de non-conformité, elle invite les parties à s’expliquer sur les conséquences à en déduire.

Position des parties après l’arrêt de réouverture des débats

L’ONEm souligne que les articles 59bis et suivants ne constituent que l’application du principe que le chômeur qui ne remplit pas les conditions d’octroi n’est pas indemnisable et n’ont pas une nature pénale. La procédure d’activation dans son ensemble permet de tenir compte de la situation personnelle du chômeur. L’exclusion n’est en rien disproportionnée, compte tenu des phases d’avertissement et du premier entretien.

Pour la chômeuse, l’exclusion est une sanction civile liée à l’exécution du contrat, comparable à une sanction pénale, qui peut donc être réduite par le juge. En outre, la sanction est disproportionnée dès lors qu’elle frappe de la même manière le chômeur qui n’a failli que très partiellement à ses obligations et celui qui n’en a respecté aucune. Elle invite dès lors la Cour du travail à écarter purement et simplement la disposition légale. Subsidiairement, elle demande que lui soit alloué le bénéfice d’un simple avertissement.

L’arrêt du 19 mai 2010

La Cour du travail refuse de reconnaître un caractère pénal à l’exclusion prévue par l’article 59bis quinquies de l’arrêté royal, la mesure ne poursuivant pas l’objectif de réprimer un comportement prescrit et de dissuader le destinataire d’une éventuelle récidive mais, au contraire, de sanctionner le chômeur qui ne réunit plus une des conditions d’octroi pour bénéficier des allocations de chômage. Elle en déduit qu’elle ne peut faire application comme tels des principes généraux du droit pénal sur l’individualisation de la peine (sursis, réduction de la sanction en cas de circonstances atténuantes).

Il faut donc vérifier la légalité de la mesure au regard des articles 10 et 11 de la Constitution d’une éventuelle différence de traitement par rapport à d’autres mesures d’exclusion pouvant être assorties d’un sursis.

La Cour du travail rappelle que la possibilité d’assortir les sanctions prévues aux articles 51 et 153 à 155 de l’A.R.O. d’un sursis ou de se borner à prononcer un avertissement a été essentiellement motivée par la volonté de doter l’O.N.Em. et les juridictions du travail d’un outil permettant l’individualisation des sanctions et la prise en considération de circonstances atténuantes comme en matière pénale (cf. M. Delange : Les mesures d’exclusion en matière de chômage après l’arrêté royal du 29 juin 2000 sur la réforme des sanctions administratives", Chr. Dr. Soc., 2000, pp. 471 à 488).

Pratiquant le test de comparaison, la Cour du travail estime que les plans d’accompagnement des chômeurs (article 51, § 1er, alinéa 2, 6°, A.R.O.) et le programme d’activation poursuivent un objectif identique : « s’assurer du caractère involontaire du chômage des intéressés et favoriser leur entrée ou leur retour sur le marché du travail. Par ailleurs, il est de l’essence même de la notion de sursis (...) d’individualiser la peine infligée du chef de la commission d’une infraction, en appréciant à cet effet l’ensemble du comportement de son auteur, de même que ses possibilités d’amendement ». La situation du chômeur dont le comportement est apprécié sur la base de cet article 51 est donc comparable à celle du chômeur dont le comportement est apprécié sur la base de l’article 59quinquies ARO.

La Cour du travail recherche alors s’il existe un critère objectif et légitime à la différence de traitement, et conclut que l’ONEm. reste en défaut de démontrer le caractère raisonnable de celle-ci.

Quant à la proportionnalité, elle se réfère notamment aux motifs du jugement du tribunal du travail de Bruxelles du 26 septembre 2008, réformé par l’arrêt de la huitième chambre de la Cour du travail de Bruxelles du 20 mai 2010 également commenté qui avait considéré que, vu l’extension des obligations mises à charge des chômeurs par la procédure d’activation, la sanction devait, pour respecter le rapport de proportionnalité, pouvoir être modulée par un sursis qui ne déforcerait en rien, bien au contraire, l’efficacité de la mesure.
La Cour du travail relève également qu’une série de comportements frauduleux peut, en matière de sanction administrative, être assortie d’un sursis ou être l’objet d’un simple avertissement.

Il reste alors à la Cour du travail à examiner les conséquences qu’elle doit tirer du constat de discrimination. Elle décide que l’article 59quinquies, § 6 AR, est entaché d’une lacune extrinsèque. Se référant notamment à l’arrêt de la Cour de cassation du 17 mars 2003 (Pas., I, p. 535), elle décide que la non-application d’un arrêté royal a pour seule conséquence de ne faire naître ni droit ni obligation pour les intéressés et qu’une violation par le Roi du principe constitutionnel d’illégalité n’a pas pour conséquence que le juge deviendrait compétent pour accorder à une catégorie que le Roi n’a pas visée le bénéfice d’une mesure qu’il a illégalement accordée à une autre catégorie. En d’autres termes, l’article 159 de la Constitution n’a pas pour effet de conférer au juge une compétence attribuée au Roi.

Elle estime en conséquence qu’elle ne peut que confirmer la décision administrative d’exclusion.

Intérêt des arrêts des 29 septembre 2009 et 19 mai 2010

A propos du premier arrêt, on observera, quant au caractère comparable des deux catégories de chômeurs que sont ceux qui bénéficient d’allocations de chômage et ceux qui bénéficient d’allocations d’attente, que la Cour de cassation a, par un arrêt du 9 novembre 2009 (J.T.T., 2010, p. 59 ; Chr. D.S., 2010, p. 173, avec les conclusions du ministère public) rejeté le pourvoi formé par l’ONEm contre un arrêt de la Cour du travail de Liège qui avait admis de procéder à un test de comparaison et ordonnait la réouverture des débats sur la question si la différence de traitement est légitime.

L’arrêt du 19 mai 2010 pose tout d’abord la question de la nature de la mesure d’exclusion prise en vertu de l’article 59quinquies, § 6, de l’AR du 25 novembre 1991.

Selon J.F. Neven et E. Derminne (Le contrôle de l’obligation pour les chômeurs de rechercher activement un emploi in Actualités de droit social, CUP, n° 116, p. 132), l’analyse
adoptée par la Cour de cassation, lorsqu’elle a, par exemple, décidé que la mesure prise à l’égard d’un chômeur licencié pour un motif équitable n’était pas une sanction mais une mesure prise à l’égard d’un travailleur qui ne remplit pas les conditions d’octroi des allocations de chômage, n’est pas nécessairement transposable aux sanctions prévues en matière d’activation. Se référant à cette doctrine, la Cour du travail de Liège (section de Namur) a, dans un arrêt du 22 juin 2010 que nous commentons par ailleurs, qualifié la sanction comme étant de nature pénale.

Un autre intérêt essentiel de l’arrêt est d’aborder la délicate question des lacunes législatives.

Pour la Cour du travail, qui se réfère à l’arrêt de la Cour de cassation du 17 mars 2003 (Pas., p. 535) et à deux arrêts de la Cour Constitutionnelle des 8 mars 2005 (n° 56) et 19 avril 2006 (n° 55), la lacune est « extrinsèque », celle-ci se définissant comme l’absence, contraire à la Constitution, pour certains sujets de droit, d’une règle s’appliquant à des sujets de droit se trouvant dans une situation comparable aux premiers, lesquels sont ainsi discriminés (cfr., M. Melchior et C. Courtoy, auxquels se réfère l’arrêt attaqué : L’omission législative ou la lacune dans la jurisprudence constitutionnelle, J.T., 2008, p. 669 et suiv.). Il appartient alors uniquement au législateur de remédier à la lacune constatée. Par contre, le juge qui fait le constat d’une lacune intrinsèque (c’est-à-dire d’une lacune contenue dans la norme contrôlée elle-même qui ne s’applique pas de manière identique à des sujets de droit comparable) pourrait l’effacer lorsque le constat de lacune est exprimé en des termes suffisamment précis que pour pouvoir être appliqués, sans complément normatif, aux situations ou aux personnes discriminées.

Pour la Cour du travail, la lacune est extrinsèque et les juridictions du travail ne peuvent y remédier, en sorte que la confirmation de la décision administrative s’impose.

On observera que l’arrêt du 17 mars 2003 concerne un cas d’espèce différent. La Cour du travail de Gand était en effet invitée à appliquer à une catégorie de travailleurs, les trieurs de poissons, l’article 1er, § 1er, de l’arrêté royal du 8 avril 1989 pris en exécution de l’article 38, § 3bis, al. 3, de la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale, qui exempte de la cotisation de modération salariale prévue par une autre disposition certains travailleurs, dont ceux liés par un contrat d’engagement pour la pèche maritime. Après avoir jugé que cette catégorie était comparable à celle des trieurs de poissons et que le principe d’égalité était violé, la Cour du travail avait estimé ne pas pouvoir dispenser ceux-ci de leurs obligations, décision que n’a pas censuré la Cour de cassation.

Cet arrêt ne résout donc pas la question si la Cour du travail, qui constate qu’une décision administrative est prise sur la base d’une décision réglementaire contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution, doit néanmoins, à peine de violer le principe général du droit de la séparation des pouvoirs, la confirmer. S’il estime ne pas pouvoir remédier à l’inconstitutionnalité en prononçant un avertissement ou en accordant un sursis, le juge chargé de statuer sur le droit du chômeur aux allocations de chômage ne doit-il pas, dans le cadre du contrôle de légalité de tout acte administratif que lui impose l’article 159 de la Constitution, paralyser l’application de la norme en écartant la mesure d’exclusion ?

Le débat est sans doute loin d’être clos sur cette question (voir, sur l’application de l’article 159 de la Constitution, D. de Roy : « L’exception d’illégalité instituée par l’article 159 de la Constitution : de la vision d’apocalypse à la juste mesure ? », R.C.J.B., 2009, pp. 21 et suiv. ; sur cet article 159, cfr. ég., D. Déom : « Le refus d’application », in L’article 159 de la Constitution, pp. 175 et suiv. et J.C. Scholsem : « La Cour d’Arbitrage et les « lacunes législatives » », in Les rapports entre la Cour d’Arbitrage, le pouvoir judiciaire et le Conseil d’Etat, La Charte, 2006, p. 222).


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