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Acte équipollent à rupture : conditions

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 5 octobre 2010, R.G. 2009/AB/51.795

Mis en ligne le lundi 6 décembre 2010


Cour du travail de Bruxelles, 5 octobre 2010, R.G. n° 2009/AB/51.795

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 5 octobre 2010, la Cour du travail de Bruxelles rejoint la doctrine récente qui considère artificielle et inopérante la distinction traditionnellement faite dans la théorie de l’acte équipollent à rupture entre la constatation du manquement de l’employeur et l’exigence d’une volonté de rompre dans son chef.

Les faits

Une vendeuse gérante d’une boulangerie est occupée à un point de vente dépendant du siège central du magasin. Quelques jours avant ses vacances annuelles, elle est informée que son employeur change sa dénomination sociale et sa direction. On lui signale également que son point de vente sera définitivement fermé et que le magasin (central) où elle sera affectée fera l’objet de travaux pendant plusieurs mois.

En réponse, l’employée adresse un courrier demandant où elle sera réaffectée à la fin de ses congés.

La nouvelle société lui envoie ultérieurement un courrier l’informant de sa mise provisoire au chômage technique vu la remise à niveau des installations. Elle lui signale qu’elle reprendra contact avec elle dès qu’un avis favorable sur la suite des travaux lui aura été donné.

S’ensuit un échange de correspondance entre la société et le conseil de l’employée, cette dernière restant sans allocations de chômage et sans rémunération. Plusieurs semaines plus tard, la société informe l’employée que le magasin aurait été cédé, mais reste muette quant à l’identification du cessionnaire.

Ayant pu identifier celui-ci, l’employée lui adresse un courrier lui demandant confirmation de la cession et des précisions quant à son contrat de travail.

Après s’être présentée en vain sur le lieu du travail (où elle trouve porte close), étant sans rémunération, sans revenu de remplacement et ignorant le sort réservé à son contrat, elle entame une procédure contre le seul employeur connu, étant la société.

Le cessionnaire (en réalité trois personnes physiques qui avaient projeté d’exploiter ensemble la boulangerie) répond être dans l’ignorance de l’existence de la vendeuse et signale souhaiter qu’une solution amiable intervienne à cette situation inconnue d’elle au moment de la cession.

Le cessionnaire se trouve alors assigné aux côtés de la société.

Position des parties devant le tribunal

La vendeuse demande de constater que l’employeur a manifesté son intention de rompre le contrat de travail, qu’il s’agisse de la société ou des cessionnaires, l’intéressée formant diverses demandes vis-à-vis de chacune des parties.

La société demande condamnation de la vendeuse à lui payer une indemnité compensatoire de préavis et à titre subsidiaire se retourne contre les cessionnaires en garantie des condamnations qui seraient prononcées contre elle.

Pour les cessionnaires, le contrat de travail était déjà rompu avant même la cession du fonds de commerce, de telle sorte qu’elles ne sont pas concernées par le litige.

Position du tribunal

Le tribunal du travail constate la rupture du contrat de travail par la société et condamne celle-ci aux sommes demandées. Il alloue également 500€ de dommage moral aux cessionnaires au titre de réparation.

La Cour du travail est saisie d’un appel de la société qui formule devant elle les mêmes griefs que devant le premier juge. Tout en considérant que les manquements aux obligations contractuelles seraient imputables aux cessionnaires, elle précise qu’en tout état de cause les manquements éventuels de l’employeur aux obligations lui incombant à raison du contrat de travail ne mettent fin à celui-ci que s’ils démontrent la volonté de rompre dans le chef de l’employeur.

La position de la Cour du travail

Sur la persistance du lien contractuel, la Cour relève qu’il avait été confirmé à l’employée, qui prestait sur un magasin séparé du reste de l’entreprise, que son emploi était maintenu malgré la cession du point de vente où elle prestait et qu’elle serait réaffectée. La Cour retient que la société ne peut soutenir valablement que le contrat de travail aurait été repris par les cessionnaires du fonds de commerce du magasin, dès lors qu’au moment où la cession est intervenue l’intéressée n’y était plus affectée. Elle relève également que l’acte de cession ne fait nullement mention du contrat de travail dont les cessionnaires auraient dû poursuivre l’exécution.

Pour la Cour, le magasin ne constitue nullement une entité économique mais seulement un point de vente et il n’y a pas de transfert d’entreprise, les conditions factuelles et juridiques autorisant une telle qualification n’étant pas remplies. Il y a seulement vente d’un fonds de commerce. Il en résulte que la vendeuse est restée l’employée de la société.

En ce qui concerne la non fourniture de travail et l’absence de rémunération, la Cour considère ne pas pouvoir suivre la position de la société selon laquelle les manquements de l’employeur ne mettraient fin au contrat de travail que s’ils démontrent la volonté de rompre dans le chef de celui-ci. Reprenant, en effet, la doctrine récente (DEAR, L., « La théorie de l’acte équipollent à rupture », Le droit du travail dans tous ses secteurs, Cup, Anthemis, 2008, pp. 159-204), la Cour fait sienne la conclusion selon laquelle la distinction entre manquement et modification unilatérale est incohérente, vu qu’il est difficile de distinguer la modification unilatérale d’un élément essentiel du manquement d’une des parties à ses obligations, la modification unilatérale des conditions du contrat étant par excellence un tel manquement.

Pour la Cour (et la doctrine à laquelle elle se réfère), la volonté de rompre – même fictive – n’est pas requise. En outre, la Cour retient qu’en l’espèce cette distinction théorique est inopérante et dès lors sans intérêt vu que les éléments et faits de la cause font apparaître à la fois un manquement contractuel et une volonté manifeste de rompre le contrat. Il y a dès lors acte équipollent à rupture et elle confirme le jugement dans toutes ses dispositions, sauf sur une demande de dommages et intérêts introduite par l’employée pour appel téméraire et vexatoire, la Cour relevant à cet égard que l’accès à la justice – et partant à la juridiction d’appel – constitue une liberté publique garantie par la Constitution et le droit supranational. L’exercice de ce doit ne peut être sanctionné en tant que tel.

Intérêt de la décision

Cette décision suit la doctrine récente en ce qui concerne les composantes de l’acte équipollent à rupture et retient le caractère artificiel et difficilement applicable de la distinction entre modification unilatérale et volonté de rompre.


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