Terralaboris asbl

Obligation de solliciter l’autorisation du médecin conseil en vue de la reprise d’une activité et force majeure – cas d’espèce.

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 5 mars 2007, R.G. 49.245

Mis en ligne le vendredi 28 décembre 2007


Cour du travail de Bruxelles, 5 mars 2007, R.G. n° 49.245

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 5 mars 2007, la Cour du travail de Bruxelles a retenu l’existence d’une force majeure, dans le chef d’un travailleur indépendant, l’ayant empêché de solliciter l’autorisation du médecin conseil avant la reprise d’une activité pendant une période où il a bénéficié d’indemnités de mutuelle.

Les faits

Un travailleur indépendant, gérant d’une firme de transports, fut victime d’un grave accident fin décembre 2003. Un mois après celui-ci, il était encore aux soins intensifs, dans l’impossibilité de parler et de bouger, et même de signer.

La faillite de son entreprise intervint quelques semaines plus tard. Un administrateur provisoire fut désigné, qui demanda, le 28 janvier 2004, le bénéfice des soins de santé et indemnités. L’assimilation fut reconnue à partir du 1er janvier.

L’épouse, très gravement blessée suite à l’accident, fut placée en institution.

Il apparut que l’intéressé aurait repris le travail le 20 avril 2004, et ce sans autorisation du médecin conseil. La mutuelle considéra, ainsi, qu’il y avait indu pour la période du 20 avril au 31 octobre 2004, date jusqu’à laquelle les indemnités furent payées, et ce pour un montant de 3.836,26 €.

Elle introduisit une action devant le tribunal du travail de Louvain, le 19 août 2005, en remboursement de cet indu, sur la base de l’article 164 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, et ce au motif qu’il y avait reprise du travail sans autorisation du médecin conseil et que de ce fait aucune indemnité ne pouvait plus être perçue, conformément à l’article 103 § 1, 1° de la même loi.

La position du tribunal

Le tribunal rejeta la demande de la mutuelle, considérant qu’il y avait force majeure et que l’intéressé ne pouvait être considéré comme ayant repris un travail sans autorisation.

La position des parties devant la Cour

La mutuelle, appelante, considérait qu’il y avait reprise du travail sans autorisation. Il s’agissait, pour elle, d’une donnée de fait incontournable : la reprise du travail était intervenue sans autorisation.

L’intéressé sollicitait la confirmation du jugement et s’opposait, par ailleurs, aux retenues mensuelles auxquelles la mutuelle avait procédé sur ses indemnités après le prononcé du jugement.

La position de la Cour

La Cour va rejeter l’appel de la mutuelle. Elle examine l’arrêté royal du 20 juillet 1971 (instituant une assurance indemnités et une assurance maternité en faveur des travailleurs indépendants et des conjoints aidants). En ses articles 23 et 23bis, celui-ci prévoit que le travailleur indépendant qui est en incapacité de travail peut reprendre une activité professionnelle en vue de son reclassement à la condition d’avoir, préalablement à ceci, obtenu l’accord du médecin conseil. En vertu de l’article 23ter, du même arrêté, le titulaire reconnu incapable de travailler, qui a effectué un travail sans l’autorisation préalable du médecin conseil et dont la capacité est restée réduite d’au moins 50% sur le plan médical, n’est tenu de rembourser les indemnités qu’il a perçues que pour les jours ou la période durant lesquels il a accompli le travail non autorisé.

La Cour relève que, en l’espèce, un administrateur provisoire a été désigné, aux fins de gérer les affaires de l’intéressé jusqu’au mois d’octobre 2004 et que les indemnités d’incapacité lui furent payées. C’est lui d’ailleurs qui s’occupa de la déclaration et de la demande d’indemnités. Après qu’il eut quitté l’hôpital, l’intéressé fut pris en charge par le CPAS de Bierbeek et celui-ci fit une demande d’autorisation de la part du médecin conseil de la mutuelle en vue de la reprise du travail à mi-temps en tant que chauffeur de bus. Cette demande ayant été égarée, le CPAS fit une deuxième demande, à laquelle il fut répondu téléphoniquement en juin 2004.

Aucune décision de refus ne fut portée à la connaissance de l’intéressé.

Par ailleurs, la Cour relève qu’aucune preuve n’est apportée au dossier d’une reprise effective du travail. Seule est établie la tentative par l’indépendant d’exercer une activité de chauffeur de bus, tentative qui échoua vu les difficultés qu’il connaissait sur le plan psychique et physique.

La Cour en déduit que sont établis

  • l’impossibilité de l’intéressé de gérer ses biens vu son état de santé physique et psychique, consécutif au grave accident dont il a été victime ;
  • la faillite de son commerce, qui a conduit à la vente de tous ses biens, en ce compris de sa maison ;
  • une incapacité de travail de longue durée suite aux séquelles consécutives à l’accident ;
  • la dépendance totale de l’intéressé, après qu’il eut quitté l’hôpital, du CPAS (qui lui accorda une aide sociale et financière) et de son administrateur provisoire ;
  • le fait qu’il ignorait lui-même pendant cette période qu’il avait droit aux indemnités d’incapacité, vu qu’il bénéficia de l’aide sociale et que, lorsque les indemnités furent payées, à partir de mai 2004, elles le furent non pas à lui-même mais à son administrateur provisoire ;
  • le fait que la mutuelle a égaré une demande écrite qui lui a été adressée par le CPAS et n’a pas répondu à une deuxième demande avec le même objet.

Il en résulte, pour la Cour, que c’est pour des raisons tout à fait indépendantes de sa volonté que l’intéressé s’est trouvé dans l’impossibilité absolue de solliciter l’avis du médecin conseil avant sa tentative de reprise du travail. La Cour confirme qu’il y a ici, comme l’avait relevé le premier juge, force majeure.

Enfin, en ce qui concerne les retenues auxquelles la mutuelle a procédé après le jugement, à raison des 10% autorisés par l’article 1410 § 4 du Code judiciaire, la Cour relève que, dès lors que les indemnités litigieuses n’avaient pas été versées à tort, la mutuelle est sans titre ni droit pour procéder à celles-ci.

Elle rappelle qu’en vertu de l’article 1494 du Code judiciaire, l’on ne peut procéder à une saisie-exécution (mobilière ou immobilière) qu’en vertu d’un titre exécutoire et pour des choses liquides et certaines et que cette question est de la compétence du juge des saisies (l’intéressé n’ayant pas formé de demande explicite à cet égard, devant la Cour).

Intérêt de la décision

Dans cette espèce particulièrement dramatique, où une demande d’autorisation de reprise, visée par la réglementation, n’a manifestement pas été introduite, la Cour rappelle que la force majeure, qui est de droit en toute matière, peut être retenue, vu la situation matérielle, ainsi que l’état physique et psychique de l’intéressé.

Les conditions de la force majeure se trouvent, en l’espèce, réunies, étant que c’est pour des raisons totalement indépendantes de sa volonté que celui-ci n’a pu remplir ses obligations légales.

Le recours à la force majeure implique, comme la Cour le retient, une impossibilité absolue, qui constitue une condition supplémentaire pour son admission.


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