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Infarctus survenu dans l’exercice du travail : reconnaissance d’un accident pour autant qu’un effort ou stress particulier puisse être épinglé

Commentaire de C. trav. Mons, 15 mars 2010, R.G. 2006/AM/20.443

Mis en ligne le lundi 7 février 2011


Cour du travail de Mons, 15 mars 2010, R.G. 2006/AM/20.443

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 15 mars 2010, la Cour du travail de Mons a été appelée à se prononcer sur l’existence d’un accident du travail dans le cas d’un policier, détaché à l’école de police, qui est décédé des suites d’un infarctus alors qu’il participait, en qualité de moniteur, à un exercice de technique d’interpellation. La Cour rejette l’existence de l’événement soudain, et ce à défaut de preuve de l’existence d’un stress particulier ou d’un effort particulier de nature professionnelle. La Cour du travail se prononce par ailleurs sur la qualité d’employeur de la Zone de police, eu égard à ce « détachement » au sein de l’Académie de police, organisé par la province.

Les faits

Monsieur V., policier au service de la Zone de police de Mons – Quévy depuis de nombreuses années décède suite à un malaise cardiaque survenu alors qu’il participait, en qualité de moniteur, à un stage pratique organisé par l’Académie de police de Jurbise.

Le jour des faits, le 4 juin 2003, dans le cadre d’un exercice pratique, l’intéressé joue le rôle d’un « suspect » qui doit faire l’objet d’une interpellation par deux élèves de l’Académie, jouant le rôle des policiers. L’exercice a pour but de simuler une interpellation, avec menottage dudit suspect.

Monsieur V. fut manifestement l’objet d’un malaise lors de l’opération de neutralisation. Le médecin de l’équipe du SMUR envoyée sur place constata décès, celui-ci étant dû à une fibrillation ventriculaire due à un infarctus du myocarde. Il précisa les circonstances comme « malaise et perte de connaissance brutale lors d’un exercice ».

Le réassureur de la Zone de police estima que les faits ne pouvaient être qualifiés d’accident du travail, faute d’un événement soudain particulier établi.

La Zone de police s’est ralliée à cette position de sorte que les ayants droit du policier décédé ont introduit, devant le tribunal du travail, une action à l’encontre de la Zone de police, ayant pour but de faire reconnaître l’existence de l’accident et d’obtenir l’indemnisation prévue par la loi du 3 juillet 1967.

La position du tribunal

Devant le tribunal, la qualité d’employeur de la Zone de police n’est nullement contestée. Celui-ci estime par ailleurs nécessaire de tenir des enquêtes de manière à permettre aux ayants droit de prouver que la victime est décédée à la suite d’un exercice d’entraînement au cours duquel il a été intercepté fermement et menotté par les élèves de l’Académie de police.

A la suite des enquêtes, le tribunal du travail estime l’action recevable et fondée, considérant qu’il y a bien eu accident de travail mortel.

La Zone de police interjette appel de cette décision.

La position des parties en appel

Dans le cadre de son appel, la Zone de police soulève, pour la première fois, qu’elle n’est pas l’employeur de la victime de l’accident au motif que celui-ci effectuait des prestations au sein de l’Académie de police, gérée et représentée par la Province du Hainaut.

Sur l’existence de l’accident du travail, elle fait par ailleurs grief au jugement de s’être fondé, non sur les enquêtes, mais sur un rapport médical.

Les ayants droit de la victime font, quant à eux, valoir que la défense de la Zone de police, sur la recevabilité de la demande originaire, est fautive puisqu’il n’a jamais été question précédemment du fait que la demande ne serait pas dirigée contre la bonne institution de sécurité sociale au sens de la Charte de l’assuré social. Ils considèrent que la Zone de police est bien l’employeur au moment des faits.

Quant à l’accident, ils plaident que l’exercice, même s’il ne peut être qualifié de violent, constitue une réplique des interventions pratiquées dans la réalité et que l’événement soudain pouvait donc constituer dans le fait d’avoir été, sans ménagement particulier, interpellé, menotté et mis au sol. Pour eux, la preuve de ces faits résulte des enquêtes tenues par le premier juge. Ils font encore valoir que le fait épinglé serait un élément particulier, auquel ils ajoutent des circonstances climatiques exceptionnelles (fortes chaleurs) ainsi que le stress de l’exercice.

La position de la Cour

La Cour du travail se prononce premièrement sur le moyen déduit de l’irrecevabilité de la demande originaire, au motif que la personne citée n’est pas l’employeur. La Cour avait, sur ce point, prononcé un premier arrêt en date du 19 novembre 2007, sollicitant de la Zone de police une série de documents, ainsi que de la Province du Hainaut. Seule cette derrière a répondu à la demande de production de documents, exposant qu’il n’y a aucune trace de prestation rémunérée dans le chef de la victime concernant les prestations au sein de l’Académie de police. Quoique la Zone ait finalement abandonné son argument s’en référant à justice sur la question, la Cour examine néanmoins si elle était effectivement l’employeur au moment des faits et passe en revue les dispositions de l’arrêté royal du 30 mars 1991 portant la position juridique du personnel des services de police en ses dispositions « détachement » et « mise à disposition ». Elle examine également la loi du 26 avril 2002 relative aux éléments essentiels du statut des membres du personnel. Elle en conclut que l’employeur est bien la Zone de police, et ce d’autant plus qu’il n’y a eu aucune rémunération versée par la Province elle-même.

Sur l’existence de l’accident du travail, la Cour réserve de longs développements aux principes applicables, relevant que, sur le plan de la preuve, elle doit prendre en compte l’ensemble des circonstances de fait afin de porter un jugement sur la réalité ou l’absence d’événement soudain et de peser le poids respectif des différents éléments favorables ou défavorables à la reconnaissance de l’accident. Elle souligne par ailleurs que la victime doit établir, pour satisfaire à l’obligation de preuve de l’événement soudain, la survenance dans l’exercice de la fonction d’un élément qui a pu produire la lésion, l’événement soudain pouvant être l’impact sur l’organisme de la victime d’un mouvement ou d’un effort accompli s’il est identifié dans le cours de l’exécution de la fonction et susceptible de constituer une cause ou l’une des causes de la lésion. Ce fait précis qui doit être distinct de la lésion doit être démontré par la victime.

En ce qui concerne le cas plus particulier de l’infarctus, la Cour développe une position doctrinale selon laquelle la reconnaissance d’un infarctus dans le cadre d’un accident du travail suppose la démonstration d’un élément particulier, qui peut être un effort, un stress ou un état de sur-fatigue, qui doit cependant être attribuable à des circonstances bien déterminées ou encore résulter de circonstances particulières qui ne découlent pas de l’exécution normale du contrat de travail.

En l’espèce, elle examine les différents témoignages recueillis dans le cadre des enquêtes tenues par le premier juge et constate qu’il ne s’est rien passé de particulier concernant les instructions et que les conditions climatiques ne semblent pas avoir eu une influence quelconque sur la victime, qui, de l’avis général, se portait bien. Plus particulièrement, concernant le caractère habituel des efforts et du stress auxquels a été soumise la victime, la Cour retient l’existence d’un brevet d’instructeur de techniques et tactiques d’intervention remontant à 1988, le fait que l’intéressé avait déjà participé à plusieurs formations en qualité de moniteur et qu’il aspirait à être nommé dans le cadre de ses fonctions, qui étaient d’ailleurs compatibles avec l’état de santé et les recommandations du médecin du travail (qui avait émis des recommandations quant à un travail léger). La Cour est également sensible au fait qu’il s’agit d’un exercice d’interpellation, de sorte que le stress de la réalité de terrain n’est pas présent puisque les agents ne pouvaient craindre des événements imprévisibles, susceptibles d’attenter à leur sécurité. Reprenant les actes précis posés par la victime dans le cadre de l’exercice épinglé au titre d’événement soudain, la Cour n’y voir aucun élément particulier. Enfin, elle considère que le certificat médical ne suffit pas à établir l’existence de l’événement soudain.

Pour ces raisons, la Cour réforme le jugement et invalide l’existence d’un accident du travail.

Intérêt de la décision

Cette décision s’inscrit dans les cas de jurisprudence relatifs à la reconnaissance des infarctus en tant qu’accident du travail. En l’espèce, la Cour se prononce essentiellement sur la condition exigée par la loi que l’événement soudain épinglé doit être susceptible de produire la lésion. L’événement épinglé par la victime, étant précis dans le temps et l’espace, pouvait en effet dans l’absolu constituer un événement soudain. Cependant, il faut encore que celui-ci soit susceptible de causer la lésion et, eu égard au type de lésion particulier (infarctus), il est nécessaire qu’existent des circonstances particulières, ajoutant au stress normal de la fonction ou aux efforts normaux qui doivent être fournis. Ceci faisant défaut, la Cour rejette l’existence de l’événement soudain.


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