Terralaboris asbl

Présomption d’occupation à temps partiel à défaut de respect des mesures de publicité : applicabilité au rapport travailleur / employeur

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 22 avril 2010, R.G. 10.822/07

Mis en ligne le lundi 7 février 2011


Tribunal du travail de Bruxelles, 22 avril 2010, R.G. n° 10.822/07

TERRA LABORIS ASBL

Dans un jugement du 22 avril 2010, le tribunal du travail de Bruxelles applique la présomption d’occupation à temps plein pour un travailleur engagé à temps partiel et pour lequel les mesures de publicité n’ont pas été respectées. L’employeur ne démontrant pas que l’occupation s’est déroulée effectivement à temps partiel, il est fait droit aux demandes d’arriérés. Le tribunal se prononce par ailleurs sur d’autres chefs de demande, à savoir une indemnité de préavis (contestation du motif grave) ainsi qu’une indemnité de licenciement abusif et des dommages et intérêts pour harcèlement moral.

Les faits

Monsieur M. est engagé le 2 février 2002 par une entreprise du secteur Horeca, à temps partiel, en qualité de « aide atelier ». Le contrat de travail fixe la durée du travail hebdomadaire à 24 heures, sans fixer un horaire de travail, faisant valoir une occupation 6 jours / semaine à concurrence de 4 heures par jour.

En mai 2006, l’intéressé porte plainte auprès de l’inspection des lois sociales, notamment eu égard au régime de travail qui lui est imposé, dépassant largement le temps plein. A la suite de cette plainte, l’inspection annonce à l’employeur une visite le 15 juin, et ce par courrier du 1er. Le 2 juin, Monsieur M. porte également plainte pour harcèlement moral auprès du SPF Emploi.

Le 15 juin a lieu la visite de l’inspection sociale et, précédemment, l’employeur a fait signer une série de documents au travailleur. L’inspecteur constate cependant l’absence de publicité de l’horaire et, en sa présence, est signé un avenant au contrat, fixant l’horaire de travail d’une manière fixe (de 8hrs30 à 13hrs avec une demi-heure de pause).

Après le départ de l’inspecteur, l’intéressé relate qu’il a fait l’objet de menaces, insultes et violences eu égard aux déclarations tenues devant l’inspecteur.

Les deux jours qui suivent, l’intéressé suit le nouvel horaire de travail, conformément aux instructions de l’inspecteur. Il relate qu’à l’occasion de ces prestations, il a fait l’objet de nouvelles violences verbales, insultes et menaces. Le 17, suite à une altercation relative à la signature d’un document, l’intéressé a dû faire appel à la police.

Le même jour, l’employeur dépose plainte pour coups et blessures à l’encontre du travailleur. Il met également fin au contrat par un courrier du 18 juin 2006, et ce pour motif grave, invoquant des coups et blessures qui auraient été donnés par le travailleur au gérant de la société.

Dans le cadre de l’information ouverte suite à la plainte de l’employeur, l’intéressé nie avoir porté le moindre coup à qui que ce soit, et ce d’autant qu’il avait pour sa part déposé une plainte auprès de l’inspection des lois sociales le 19 juin pour violences physiques de la part de l’employeur.

Il introduit ensuite une procédure judiciaire, visant des arriérés de salaire, de sursalaire et de primes de fin d’année pour l’ensemble de la période d’occupation, se fondant sur la présomption prévue par l’article 171 de la loi programme du 22 décembre 1989, qui sanctionne le non-respect des mesures de publicité prescrites par cette disposition. Il sollicite par ailleurs le paiement de l’indemnité compensatoire de préavis, contestant le motif grave, ainsi qu’une indemnité pour licenciement abusif et encore des dommages et intérêts pour harcèlement moral.

La position du tribunal

Le tribunal est donc appelé, sur la question des arriérés de salaire et de primes de fin d’année, à sa prononcer sur l’applicabilité de l’article 171 de la loi programme du 22 décembre 1989 aux relations travailleur / employeur.

Il rappelle que, en vertu de l’article 159 de cette loi, une série de mesures de publicité des horaires de travail à temps partiel sont prescrites et que, en vertu de l’article 171, une sanction une prévue en cas de non-respect de ces mesures de publicité, à savoir que « les travailleurs sont présumés avoir effectué leurs prestations à temps plein ».

Le tribunal relève par ailleurs l’existence d’une discussion en doctrine quant à la possibilité pour le travailleur d’invoquer cette présomption à l’encontre de l’employeur, relevant deux tendances, l’une concluant à l’applicabilité de la présomption et l’autre rejetant celle-ci.

Le tribunal se rallie pour sa part à la première thèse, et ce notamment sur la base des travaux préparatoires de la loi du 26 juillet 1996, ayant modifié pour la seconde fois le texte de l’article 171, duquel il ressort que la présomption trouve à s’appliquer également dans les rapports travailleur / employeur.

Le tribunal retient en conséquence qu’il appartient à l’employeur, à défaut de respect des mesures de publicité, de prouver que les prestations de travail n’étaient pas fournies à temps plein. Examinant les éléments du dossier, le tribunal considère que la société reste en défaut d’établir que l’occupation s’est effectuée à temps partiel, comme soutenu. Elle fait dès lors droit aux demandes liées aux arriérés de rémunération pour la période d’occupation. Le tribunal rejette cependant la thèse du travailleur, qui soutenait pour sa part une prestation à concurrence de 78 hrs par semaine, soit bien au-delà d’un temps plein lui-même.

En ce qui concerne l’indemnité compensatoire de préavis, le tribunal relève que les parties sont contraires en fait (chacune imputant à l’autre des coups et blessures) et que le dossier répressif ne fait pas état d’autre chose que de ces déclarations contradictoires. En conséquence et dès lors que l’employeur supporte la charge la preuve du motif notifié, le tribunal fait droit à la demande d’indemnité compensatoire de préavis.

Quant à l’indemnité pour licenciement abusif, le tribunal relève, sur le plan des principes, que le licenciement opéré en représailles vis-à-vis d’un travailleur qui souhaitait faire valoir ses droits ou émettait une revendication légitime est abusif au regard de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978, dès lors que cette mesure a pur effet d’empêcher le travailleur d’exercer un droit manifeste.

En l’espèce, le tribunal constate que le licenciement intervient deux jours après la visite de l’inspection des lois sociales, opérée à l’intervention du travailleur, ainsi que suite à des altercations quant aux conditions de travail et à l’horaire.

Sur la plan de la preuve, le tribunal constate une nouvelle fois que l’existence de motif en lien avec l’attitude, la conduite ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise n’est pas rapporté par la société, de sorte qu’il fait droit à la demande d’indemnité pour licenciement abusif.

Le tribunal rejette cependant les dommages et intérêts fondés sur le harcèlement moral, du fait d’une part de l’absence de preuve, dans le chef de l’intéressé, de l’existence de faits de harcèlement et d’autre part des motifs qui sont étrangers à cette plainte-là (pour harcèlement). Le tribunal souligne également que la plainte date du 19 juin, alors que le licenciement a été opéré le 18. Notons cependant que, dans son exposé des faits, le tribunal a fait état d’une plainte pour harcèlement opérée le 2 juin et d’une nouvelle plainte réalisée le 19, suite à l’altercation qui s’est déroulée le 17.

Intérêt de la décision

Cette décision présent un intérêt manifeste en ce qu’elle se prononce sur l’applicabilité de la présomption de travail à temps plein prévue par l’article 171 de la loi du 22 décembre 1989 au rapport travailleur / employeur. L’on sait en effet que la doctrine et la jurisprudence sont très partagées sur le sujet. L’on pourrait encore lire avec intérêt, dans le sens de l’applicabilité de la présomption, l’arrêt de la Cour du travail de Mons du 19 septembre 2006, disponible sur le site Juridat (R.G. 19.912 et 20.112) qui contient une analyse fouillée de la question.

Le deuxième intérêt du jugement est de retenir le caractère abusif du licenciement au sens de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978, lorsque celui-ci est opéré en représailles à des revendications légitimes.


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