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Chômage et cohabitation (non déclarée) avec un indépendant

Commentaire de C. trav. Mons, 15 septembre 2010, R.G. 2009/AM/21.598

Mis en ligne le mercredi 23 février 2011


Cour du travail de Mons, 15 septembre 2010, R.G. n° 2009/AM/21.598

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 15 septembre 2010, la Cour du travail de Mons reprend l’enseignement de la Cour de Cassation sur l’application aux sanctions administratives en matière de chômage du principe de l’application de la loi la plus douce.

Les faits

Une Dame H. bénéficie d’allocations de chômage depuis le 19 mars 1979. Cinq ans plus tard, elle déclare par C1 cohabiter avec son époux, menuisier, celui-ci ayant la qualité de salarié. Elle répond par la négative à la question relative à l’exercice par un membre de son ménage d’une profession d’indépendant.

Trois ans plus tard, l’époux salarié devient indépendant et aucune modification de la situation familiale n’est communiquée à l’ONEm.

Ultérieurement, l’ONEm est informé de l’existence de revenus (environ 3000€) repris dans la déclaration fiscale de l’exercice 1990, somme figurant au titre de revenus attribués à l’épouse en qualité de conjoint aidant.

Interrogée, la chômeuse expose ne pas avoir déclaré l’activité d’indépendant de son époux au motif qu’elle ignorait devoir le faire. Elle dit ne jamais avoir apporté d’aide à celui-ci dans l’exercice de sa profession, les tâches de comptabilité et de fiscalité étant effectuées par une société spécialisée.

L’ONEm décide de l’exclure du bénéfice des allocations de chômage pendant une période de deux ans (récupération) et prend deux sanctions de treize semaines, l’une pour absence de déclaration et l’autre pour estampillage indu (utilisation irrégulière de la carte de contrôle).

La position du tribunal

Par jugement du 7 avril 2009, le tribunal du travail de Tournai accueille partiellement le recours. Il constate que l’ONEm n’établit pas que l’intéressée a effectué un travail ou perçu une rémunération pendant la période litigieuse. Il estime cependant qu’elle était en mesure d’apporter une aide appréciable à son époux (téléphone, réception du courrier, rendez-vous, …) et que le remboursement de l’indu est réclamé à bon droit. Il s’agit des allocations perçues pendant la période litigieuse. Il annule partiellement la décision, en ce que la sanction prononcée pour estampillage indû n’est pas motivée dans sa hauteur.

Moyens des parties devant la Cour du travail

La chômeuse conteste avoir été en mesure d’apporter une aide appréciable à son conjoint et demande, de ce fait, réformation du jugement qui a conclu en sens contraire.

L’ONEm interjette appel incident, demandant le rétablissement de la décision administrative.

La position de la Cour du travail

La Cour est saisie de l’examen des dispositions réglant la question dans le cadre de l’arrêté royal du 20 décembre 1963, et ce vu l’ancienneté des faits.

Elle reprend l’évolution des principes en matière de cohabitation non déclarée avec un indépendant. Dans le cadre de l’article 128 § 1er de l’arrêté royal du 20 décembre 1963, dont les principes ont été repris par l’article 50 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, le chômeur qui cohabite avec un travailleur indépendant était tenu de faire la déclaration au moment de l’introduction de la demande. Cependant, lorsqu’il n’était pas en mesure d’apporter une aide appréciable à celui-ci, l’absence de déclaration ne devait pas donner lieu à exclusion, sanction et récupération.

Dans ces situations, la Cour du travail rappelle qu’en l’absence de déclaration de cohabitation avec un travailleur indépendant il existe une présomption de possibilité d’aide appréciable et qu’il appartient au chômeur de la renverser. C’est l’application des principes et elle renvoie à sa propre jurisprudence (C. trav. Mons, 9 septembre 2004, R.G. 15006).

Il faut dès lors préciser ce qu’il y a lieu d’entendre par les termes « aide appréciable ». Peu importe selon la Cour que l’aide soit effective ou non, la seule possibilité d’apporter une telle aide devant être prise en considération. Il ne suffit donc pas que le chômeur établisse qu’ il n’apportait pas une telle aide en fait (la Cour renvoyant ici à la jurisprudence de la Cour de cassation du 6 mai 1996 (J.T.T. 1996, p. 398) : il faut apprécier la possibilité théorique d’apporter une aide appréciable, examen qui passe d’abord par l’activité indépendante elle-même et ensuite par la prise en compte des facultés, des capacités du chômeur (la Cour renvoyant ici à une jurisprudence importante). Il s’agit d’une question de fait et, dès lors, d’espèce.

Examinant les éléments de fait, invoqués par la chômeuse pour renverser la présomption de possibilité d’aide appréciable, la Cour retient que (i) la situation des locaux professionnels n’empêchait pas un tel apport (faible distance par rapport au domicile conjugal qui servait également en partie au développement de l’activité), (ii) que l’activité professionnelle qui avait été exercée par l’intéressée (caissière principale dans une grande surface, formation) permettait l’exécution à la fois des tâches administratives et matérielles et (iii) que ses charges familiales lui laissaient des disponibilités horaires.

La Cour aboutit ainsi à la conclusion de l’irrégularité de la situation de l’intéressée par rapport à la réglementation et passe à l’examen du bien-fondé de la sanction administrative.

Le tribunal a annulé la sanction de treize semaines infligée au motif d’absence de déclaration (article 194 du l’arrêté royal du 20 décembre 1963), et ce sur la base de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs. Pour le tribunal, cette sanction de treize semaines devait être annulée vu que l’ONEm n’en avait pas motivé la hauteur. La Cour constate que l’ONEm fait à bon droit valoir qu’à l’époque, la loi du 29 juillet 1991 n’était pas encore entrée en vigueur (le C29 datant du 5 décembre 1991). Le jugement doit dès lors être réformé sur ce point.

Cependant, la Cour relève que l’article 50 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, qui a remplacé l’article 128 litigieux, a été abrogé par l’arrêté royal du 27 avril 2001. Le chômeur n’était donc plus tenu de déclarer sa cohabitation avec un travailleur indépendant depuis cette abrogation. En conséquence, il n’y a plus lieu à sanction, et ce en application du principe général d’application de la loi la plus douce. La Cour reprend ici l’arrêt de la Cour de cassation du 14 mars 2005 (Cass., 14 mars 2005, R.G. S030061F) qui a rappelé, sur cette question, que la sanction en cause n’est pas une peine au sens de l’article 2, alinéa 2 du Code pénal, cette disposition, de même que les articles 7.1. de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 15.1. du Pacte international relatif aux droits civils et politiques consacrant le principe général du droit de l’application de la loi nouvelle plus douce. Il y a dérogation au principe de la non-rétroactivité de la loi, par ce principe, ce qui permet à la Cour d’appliquer l’arrêté royal du 29 juin 2000, qui a abaissé à une semaine le minimum de la sanction.

La Cour du travail rappelle ainsi que, pour la Cour de cassation, le principe général du droit de l’application de la loi nouvelle plus douce vaut en matière de sanctions administratives prévues dans le cadre de la réglementation chômage, les sanctions en cause n’étant pas des peines au sens de l’article 2, alinéa 2 du Code pénal.

En conclusion, le jugement est confirmé mais pour d’autres motifs.

Intérêt de la décision

Si les faits en cause sont anciens, ils sont l’occasion pour la Cour du travail de rappeler qu’il y a lieu à appliquer, en cas d’évolution des textes, la loi nouvelle plus douce.

La Cour de cassation s’est en effet prononcée sur la question, se référant, pour l’expression du principe de droit en cause, à la fois à la Convention de sauvegarde et au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.


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