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Prime payée dans le cadre d’une restructuration : dommage moral ou rémunération ?

Commentaire de Cass., 13 septembre 2010, R.G. S.09.0076.F

Mis en ligne le mercredi 2 mars 2011


Cour de cassation, 13 septembre 2010, (R.G. n° : S.09.0076.F)

TERRA LABORIS

Dans un arrêt du 13 septembre 2010, la Cour de cassation rappelle qu’une indemnité due en raison de l’engagement a un caractère rémunératoire au sens de l’article 2 de la loi du 12 avril 1965 et qu’elle est donc passible de cotisations de sécurité sociale.

L’indemnité payée en plus de l’indemnité de préavis aux travailleurs qui, afin de permettre aux autres travailleurs de conserver leur emploi, ont accepté d’être licenciés dans le cadre d’une restructuration est la conséquence de leur engagement au sens de l’article 2 de la loi du 12 avril 1965.

Les faits de la cause

En avril 1998, la s.a. NORTON PERFORMANCE PLASTICS, devenue depuis la s.a. SAINT-GOBAIN PERFORMANCE PLASTICS, procède à une restructuration impliquant un licenciement collectif. Elle conclut le 20 avril 1998 avec la Centrale générale F.G.T.B. une convention collective d’entreprise réglant cette restructuration, convention selon laquelle la suppression de quatorze emplois se fera, soit par départs en prépension, soit par départs volontaires, lesquels donneront lieu notamment au paiement d’une indemnité compensatoire de préavis et d’une prime variant en raison de l’ancienneté du travailleur dans l’entreprise, représentant à concurrence de 40% une indemnité de dédit et à concurrence de 60% une indemnité de dédommagement moral. La même prime, réduite à 60% de sa valeur, sera octroyée aux travailleurs qui devraient être licenciés si les prépensions et départs volontaires ne permettaient pas d’atteindre la réduction de quatorze emplois.

De juin à septembre 1998, quatorze travailleurs qui s’étaient portés volontaires ont été licenciés par la société dans le cadre de cette restructuration.

Considérant la partie de la prime de départ qualifiée d’indemnité de dédommagement moral comme une rémunération sur la base de laquelle des cotisations devaient être prélevées, l’O.N.S.S. a procédé à une régularisation puis cité l’employeur.

La procédure devant les juridictions de fond

Par un jugement du 26 mars 2007 (1re ch., R.G. n°° 1894/03 et 63/04), le tribunal du travail de Verviers déboute l’O.N.S.S., qui interjette appel de ce jugement.

Par un arrêt du 1er avril 2009, la sixième chambre de la cour du travail de Liège confirme ce jugement (R.G. n° 34.894/07, publié sur Juridat).

Pour la cour du travail, les indemnités versées à titre de réparation du dommage moral aux quatorze travailleurs licenciés ne rentrent pas dans la notion de rémunération au sens de l’article 2 de la loi du 12 avril 1965. Plus particulièrement, il ne s’agit pas d’avantages évaluables en argent auxquels le travailleur a droit à charge de l’employeur en raison de son engagement au sens de cette disposition. Ce n’est pas en raison de leur engagement que les travailleurs ont droit à cette indemnité mais en raison du dommage moral qui leur est causé en raison des circonstances qui entourent leur licenciement.

Il est sans objet de s’interroger sur le point de savoir si ces indemnités appartiennent à l’une des catégories pour lesquelles l’article 19, § 2, 2°, détermine des exceptions à la définition de la rémunération donnée par l’article 2 de la loi du 12 avril 1965, dès lors que ce qui est exclu par cette disposition dérogatoire ne peut être inclus dans le champ d’application de l’article 2 que si cela correspond à la définition qu’il comporte, quod non en l’espèce.

La cour du travail ajoute que l’O.N.S.S., qui supporte la charge de la preuve, n’établit pas l’absence de préjudice moral réparable et qu’au contraire les éléments de fait soumis à son appréciation confirment le bien fondé de la qualification donnée par les parties dans les conventions intervenues entre elles.

Pour la cour du travail, les travailleurs qui se sont portés volontaires pour être licenciés dans le cadre de la restructuration décidée par la société ont consenti au sacrifice de la perte de leur emploi afin de permettre aux autres travailleurs de l’entreprise de conserver le leur et l’indemnité pour dommage moral doit être considérée comme réparant le poids de ce sacrifice, « les travailleurs volontaires devant être considérés comme « victimes sacrificielles » de la restructuration ressentant une souffrance à l’égard des travailleurs conservant leur emploi ».

L’arrêt de la Cour de cassation

La Cour de cassation casse l’arrêt attaqué, considérant que l’indemnité de congé payée au travailleur en raison de son engagement est une rémunération au sens de l’article 2 de la loi du 12 avril 1965 et que l’indemnité qui répare le dommage subi par les travailleurs tel que l’arrêt attaqué le décrit est la conséquence de leur engagement.

Intérêt de la décision

L’arrêt illustre qu’il ne suffit pas aux parties de qualifier de « dommage moral » une indemnité accordée à des travailleurs licenciés en plus de toutes les indemnités prévues par la loi du 3 juillet 1978 (ou éventuellement par d’autres dispositions de droit social ou par une convention collective de travail) pour que cette indemnité ne soit pas passible des cotisations de sécurité sociale.

Ainsi que le souligne W. van Eeckhoutte (« Vergoedingen toegekend bij het einde van de arbeidsovereenkomst en socialezekerheidsbijdragen », R.D.S., 1997, p. 126), l’on peut considérer comme une véritable indemnité de dommage moral l’indemnité que l’employeur paie au travailleur sur la base de la méconnaissance d’une obligation légale, plus particulièrement l’obligation de bonne foi dans l’exécution des obligations contractuelles [art. 1134, alinéa 2, du Code civil]).

Encore faut-il alors que le juge constate que l’employeur a manqué à ses obligations légales, contractuelles ou statutaires au sens de l’article 19, § 2, 2°, de l’arrêté royal du 28 novembre 1969. Or, dans l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation du 13 septembre 2010 ici commenté, la cour du travail de Liège avait précisément exclu cette hypothèse, relevant que la société avait « respecté toutes ses obligations tant légales que contractuelles ». Elle avait donc estimé qu’il était sans intérêt de vérifier si cette indemnité rentrait dans les hypothèses restreignant la notion de rémunération de l’article 19 de l’arrêté royal du 28 novembre 1969.

Relevons également l’arrêt rendu par la chambre de la Cour de cassation le 1er février 2010 (S.09.0065.N-Justel F. 20100201-4), qui casse un arrêt rendu par la cour du travail d’Anvers le 18 septembre 2008. Celui-ci avait décidé que n’était pas passible des cotisations de sécurité sociale l’indemnité unique au paiement de laquelle une société s’était engagée par une convention collective d’entreprise à payer aux travailleurs licenciés pour cause de fermeture de la division chaudières de l’entreprise, au motif que cette indemnité était sans lien avec les prestations de travail fournies et constituait une rétribution pour le maintien de la paix sociale et non la contrepartie des prestations de travail. En outre, elle a été accordée sous la contrainte au titre de réparation du dommage moral résultant de la perte du travail. Pour la Cour Suprême, la notion de rémunération pour le calcul des cotisations de sécurité sociale est plus large que celle visée à la loi du 3 juillet 1978 dès lors qu’elle comprend également les avantages évaluables en argent auxquels le travailleur à droit à charge de son employeur en raison de son engagement


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