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Contrôle du licenciement de l’ouvrier pour un motif lié à sa conduite : un arrêt décisif de la Cour de cassation

Commentaire de Cass., 22 novembre 2010, R.G. S.09.0092.N

Mis en ligne le lundi 7 mars 2011


Cour de cassation, 22 novembre 2010, S.09.0092.N

TERRA LABORIS A.S.B.L.

Par arrêt du 22 novembre 2010, la Cour de cassation déclare sans fondement légal la thèse selon laquelle le contrôle judiciaire serait inexistant, dès lors que l’employeur invoquerait un motif de licenciement tiré de la conduite du travailleur.

L’arrêt de fond

L’arrêt attaqué est un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 31 mars 2008.

L’arrêt avait relevé que l’intéressé avait reçu deux avertissements, pour refus de conduire le véhicule de l’entreprise en vue du transport du personnel et du matériel. Ces faits dataient de 2 à 3 ans avant le licenciement, intervenu en mars 2006. La Cour du travail avait considéré que l’employeur n’établissait pas que ceux-ci étaient la cause du licenciement. Après avoir constaté que l’intéressé avait chaque fois réagi à ces avertissements et qu’il les avait contestés, la Cour en avait déduit que l’employeur avait manifestement voulu conserver après ceux-ci un travailleur de qualité. Des discussions avaient également été tenues au Conseil d’entreprise en ce qui concerne la question des véhicules de firme et la Cour avait retenu que la conduite passagère de l’ouvrier était vraisemblablement liée aux problèmes présentés par ces véhicules.

Figurait également au dossier un avertissement de février 2006, étant que l’intéressé avait refusé de travailler à l’extérieur dans la neige et sans gants adaptés. La Cour avait signalé que ce refus était proportionné au fait vu que lesdits gants étaient attendus depuis longtemps. Elle avait également noté que, après discussion, l’intéressé avait entamé le travail mais qu’il dut en postposer la poursuite. La question des gants avait par ailleurs été soulevée au Conseil d’entreprise plusieurs mois auparavant, l’employeur s’engageant, ainsi qu’il ressortait du procès-verbal de la réunion, à en fournir, de meilleure qualité. La Cour en avait déduit qu’il devait s’agir d’un licenciement en représailles, suite au refus justifié et proportionné d’effectuer ledit travail dans la neige.

D’autres éléments tirés de la conduite étaient produits, à savoir l’absence d’avertissement par le travailleur d’une incapacité de travail un an et demi auparavant (fait que la Cour avait rejeté comme étant trop ancien) et une nouvelle absence, toujours en février 2006, pour laquelle la société fut avertie le même jour et qui fut justifiée par certificat médical, quoique tardivement. L’employeur ayant, à cette occasion, adressé un avertissement précisant qu’il espérait que la situation ne se reproduise pas à l’avenir et faisant état d’« avertissements ultérieurs », la Cour avait sur ce point également conclu qu’il ne fallait pas y voir le motif du licenciement.

Reprenant ces faits, la société invoquait en outre que le licenciement est fondé sur les nécessités d’un bon fonctionnement de l’entreprise. La Cour répondit à cet argument qu’un refus justifié de travail et une seule absence d’avertissement d’une prolongation d’incapacité ne pouvaient pas être présentés comme mettant en péril le bon fonctionnement d’une entreprise, vu les circonstances relevées ci-dessus.

Enfin, sur un rapport d’un supérieur produit par la société relatif aux prestations de l’intéressé, la Cour en avait relevé le caractère vague et imprécis, ainsi que des inexactitudes, et avait refusé une audition de témoins.

Elle avait, en conséquence, alloué l’indemnité pour licenciement abusif.

Les moyens du pourvoi

Le pourvoi fait essentiellement valoir qu’un refus de travail est indiscutablement lié à la conduite d’un travailleur. Il soutient, ensuite, qu’aux termes de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978, le licenciement d’un travailleur lié à un refus de travail n’est pas abusif, même si le refus de celui-ci est légitime et proportionné.

L’arrêt de la Cour de cassation

La Cour de cassation rappelle, en premier lieu, les termes de l’article 63 de la loi et donne une définition du licenciement abusif, étant qu’il ressort de la construction du mécanisme légal que cette disposition contient l’interdiction du licenciement manifestement déraisonnable.

Pour la cour suprême, il en découle qu’un licenciement pour un motif en lien avec l’aptitude ou la conduite du travailleur est abusif lorsque le motif invoqué a ce caractère de manifestement déraisonnable.

Il appartient au juge du fond de décider si la conduite ou l’aptitude du travailleur en lien avec le licenciement constitue un motif de rupture légitime. La Cour précise qu’elle doit quant à elle seulement vérifier si le juge du fond n’a pas méconnu la notion de licenciement abusif, dans l’examen de l’espèce qui lui est soumise.

Elle précise encore que manque en droit le moyen qui considère que, dès que le licenciement d’un travailleur est en lien avec sa conduite – et indépendamment de la nature de celle-ci –, il ne peut y avoir licenciement abusif au sens de l’article 63 et que le juge serait sans pouvoir pour apprécier si la conduite vantée constitue un motif valable de licenciement.

Elle rejette dès lors le pourvoi.

Importance de la décision

Cet arrêt de la Cour de cassation est d’une importance extrême. Il constitue, en effet, une décision très attendue, qui définit les pouvoirs du juge du fond dans l’appréciation du caractère abusif du licenciement de l’ouvrier.

La protection garantie par le mécanisme légal était, en effet, ébranlée par un courant jurisprudentiel et doctrinal, selon lequel le juge du fond n’avait aucun pouvoir d’appréciation, en la matière, l’employeur étant souverain juge de la conduite du travailleur. Dans des décisions récentes, cette thèse s’étendait même au motif lié à l’aptitude du travailleur.

La cour suprême rend, dès lors, ici une décision capitale, puisqu’elle consacre à la fois la notion du contrôle du motif manifestement déraisonnable et celle de comportement légitime et valable.

Elle revient, ainsi, aux règles fondamentales en la matière, étant qu’il s’agit d’une application affinée de la théorie de l’abus de droit.

Cette décision va confirmer, au niveau des juridictions de fond, que le contrôle judiciaire en la matière est souverain et large.


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