Terralaboris asbl

Notion de catégorie déterminée de personnel

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 3 juin 2010, R.G. 2008/AB/330

Mis en ligne le mardi 8 mars 2011


Cour du travail de Bruxelles, 3 juin 2010, R.G. 2008/AB/330

TERRA LABORIS A.S.B.L.

Dans un arrêt du 3 juin 2010, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que les motifs économiques permettant de licencier des travailleurs protégés (loi 1991) doivent être contrôlés de manière stricte.

Les faits

Une employée, engagée dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée, travaille au département clientèle d’une grande société de télécommunications. Elle bénéficie du statut visé par la loi du 19 mars 1991, étant membre élue (suppléante) des deux organes de l’entreprise.

Au sein du groupe dont la société fait partie, est lancé un programme de rationalisation des processus administratifs et opérationnels. Il s’agit d’une politique de réduction des coûts, et ce au travers de la centralisation de certaines activités, regroupées dans des pays tiers. Il en résulte notamment la disparition du département « Back Office » auquel l’intéressée est affectée, ceci étant de nature à supprimer des postes de travail en Belgique. La représentante du personnel se trouve ainsi visée et une demande est introduite par son employeur auprès de la commission paritaire (218). Celle-ci constate l’absence d’unanimité au sein de ses membres pour la reconnaissance de ces motifs.

La société saisit alors le Tribunal du travail et invoque à titre principal la fermeture d’une division de l’entreprise (hypothèse dans laquelle la saisine préalable du Tribunal ne serait pas requise) et, à titre subsidiaire, le licenciement d’une catégorie déterminée de personnel.

D’un commun accord entre les parties, les prestations de travail sont suspendues pendant la procédure, avec maintien de la rémunération.

Décision du Tribunal du travail

Le Tribunal du travail rend un jugement le 23 mars 2010 et déboute la société, au motif de l’inexistence des motifs invoqués. Le Tribunal considère qu’il n’y a pas division de l’entreprise, les tâches exécutées dans le département concerné étant en interaction permanente avec les autres services (services comptable, commercial et technique), l’ensemble de ces départements concourant à la fourniture d’un seul service, étant les télécommunications.

Position des parties devant la Cour du travail

La société, appelante, demande à la Cour de reconnaître l’existence des raisons d’ordre économique et technique, plaidant à la fois la fermeture d’une division de l’entreprise et le licenciement d’une catégorie déterminée de personnel.

L’employée demande confirmation du jugement, les motifs invoqués n’étant pas établis, dans aucune des deux hypothèses.

Décision de la Cour du travail

La Cour du travail rappelle la procédure obligatoire, dans ce type d’hypothèses, étant qu’à défaut d’unanimité au sein de la commission paritaire, l’employeur ne peut licencier qu’en cas de fermeture de l’entreprise ou d’une division de l’entreprise, ou encore de licenciement d’une catégorie déterminée du personnel. Dans cette troisième hypothèse, il est tenu d’obtenir préalablement l’autorisation des juridictions du travail. La Cour précise que, lorsque l’une de ces hypothèses est retenue (dont la preuve incombe à l’employeur), elle doit en outre vérifier le respect du principe de non-discrimination inscrit à l’article 3, § 2 de la loi.

La Cour va ensuite aborder successivement les notions de division de l’entreprise, de fermeture et de catégorie déterminée du personnel.

En ce qui concerne la notion de division d’entreprise, la Cour rappelle que les juridictions de fond se réfèrent généralement aux critères définis par la Cour de cassation dans le cadre de la loi relative aux fermetures d’entreprise (Cass., 4 février 2002, J.T.T., 2002, p. 473), étant une partie d’entreprise qui présente une certaine cohérence et qui se distingue du reste de l’entreprise par une indépendance technique propre et par une activité différenciée durable à laquelle est affecté un groupe de personnes.

La Cour considère qu’un « Back Office » ne correspond pas à cette définition, n’ayant pas d’autonomie dans la mesure où il fait partie d’un département plus large et dépend d’autres services dans la réalisation de ses tâches. En outre, la nature du travail effectué démontre l’absence d’activité propre : il s’agit de tâches administratives de même nature que celles accomplies dans les autres services du même département. Des membres du personnel de ce service ont en l’espèce été appelés à remplir d’autres fonctions dans d’autres équipes, selon les nécessités de la société.

La Cour relève encore d’autres éléments de fait, qui contribuent à conclure à l’absence d’autonomie dudit département. Elle rejoint dès lors l’appréciation du Premier Juge, selon laquelle les travailleurs de ce département étaient en interaction permanente avec les autres services de l’entreprise.

Surabondamment, elle aborde la question de la fermeture, qui doit être une cessation définitive de l’activité principale de l’entreprise ou d’une division de celle-ci et relève que, en jurisprudence, l’on retient la possibilité d’assimiler certains événements à une fermeture d’entreprise (déplacement du siège d’exploitation en un lieu suffisamment éloigné pour qu’il y ait rupture des contrats, par exemple), mais la Cour déclare ne pas être convaincue qu’une telle situation réponde à la définition légale. Il s’agit en effet d’une cessation qui doit avoir un caractère définitif et la loi est d’ordre public, ce qui empêche une interprétation extensive. Examinant les éléments de fait, qui sont loin d’établir une cessation d’activité, la Cour constate qu’il y a transfert d’une des activités à l’étranger et que ceci ne constitue pas une fermeture d’une division de l’entreprise au sens de la loi.

Sur le deuxième motif invoqué par la société, étant qu’il s’agirait du licenciement d’une catégorie déterminée du personnel, la Cour rappelle encore ici qu’il faut des critères précis, objectifs et vérifiables permettant de déterminer de quelle catégorie il s’agit et elle renvoie à un arrêt de la même Cour du 19 juillet 2002 (C. trav. Bruxelles, 19 juillet 2002, J.T.T., 2003, p. 116), qui a proposé comme définition un ensemble de travailleurs dans une entreprise qui se distinguent d’autres travailleurs de celle-ci par référence ou sur la base d’un ou de plusieurs critères précis, objectifs et vérifiables. En outre, le licenciement d’une catégorie déterminée du personnel implique le licenciement de tout le personnel, sous peine de tomber dans un risque de discrimination.

Elle retient enfin que les critères qui permettent de déterminer ladite catégorie du personnel à licencier doivent être en rapport avec les raisons d’ordre économique ou technique invoquées et que l’employeur doit établir.

Elle applique alors ces principes en l’espèce et constate que la société a donné de nouveaux critères, dans le cours de l’instruction du dossier. Or, l’employeur ne peut changer en cours de procédure les critères permettant de déterminer la catégorie de travailleurs visée par la mesure de licenciement. Ceci reviendrait, pour la Cour, à rendre inopérant le contrôle juridictionnel préalable prévu par la loi.

Elle fait enfin grief aux critères avancés par l’employeur de manquer de précision et d’objectivité, l’employeur ayant précisé que sont proposés au licenciement les travailleurs dont la fonction ne requiert pas une « interaction importante avec les équipes internes au pays et des contacts suivis avec la clientèle ». Ceux-ci, qui constituent dans la thèse de l’employeur une nouvelle définition de la catégorie de personnel déterminée (vu qu’elle se fait actuellement par référence aux contacts avec la clientèle et au suivi sur le terrain), ne sont pas pertinents.

La Cour confirme dès lors le jugement et rejette la demande.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle la procédure obligatoire en cas de licenciement d’un travailleur protégé au sens de la loi du 19 mars 1991, au motif de raisons d’ordre économique ou technique. L’arrêt aborde à la fois les deux principales hypothèses auxquelles l’employeur peut se référer, relevant en outre la difficulté d’être à la fois dans une situation de fermeture d’une division (qui implique une cessation définitive de l’activité et non un simple transfert ailleurs) et le licenciement d’une catégorie bien déterminée du personnel (dans laquelle cette catégorie doit être identifiée en fonction de critères objectifs).


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be