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La Cour constitutionnelle interrogée à propos de la compétence des juridictions du travail pour les accidents du travail survenus aux pompiers volontaires

Commentaire de C. trav. Mons, 15 novembre 2010, R.G. 21.575

Mis en ligne le mercredi 16 mars 2011


Cour du travail de Mons, 15 novembre 2010, R.G. 21.575

TERRA LABORIS A.S.B.L.

Dans un arrêt du 15 novembre 2010, la Cour du travail de Mons interroge la Cour constitutionnelle sur la compétence des juridictions du travail pour reconnaître des accidents du travail survenus aux pompiers volontaires, eu égard à la possibilité d’existence d’une discrimination par rapport aux sapeurs pompiers professionnels.

Les faits

Un membre du corps de sapeurs-pompiers volontaires d’une commune du Hainaut déclare un accident du travail intervenu à l’occasion d’une intervention (incendie). S’étant précipité pour sortir du camion-citerne qu’il conduisait, afin de brancher les lances incendie et éteindre le feu dans un immeuble, l’intéressé avait ressenti un déchirement dans la jambe gauche au niveau du mollet et de la cheville.

L’administration communale refusa son intervention, son assureur (assurance collective accidents couvrant les sapeurs-pompiers volontaires) l’ayant conseillée en ce sens.

L’intéressé lança dès lors une procédure, dans laquelle se retrouvèrent les trois parties.

Le jugement du Tribunal du travail

Par jugement du 1er avril 2009, le Tribunal du travail de Mons débouta le demandeur, tant dans le cadre de la loi du 10 avril 1971 que dans celle du 3 juillet 1967, au motif qu’il était membre du personnel secteur public sans contrat de travail et que la police d’assurance produite aux débats constituait une assurance collective couvrant les accidents corporels, que ce soit des accidents du travail ou des accidents de la vie privée.

Position des parties devant la Cour du travail

Le pompier interjette appel et soutient essentiellement que l’article 579, 1° du Code judiciaire ne restreint pas la compétence des juridictions du travail aux demandes résultant de l’application de la loi du 10 avril 1971 et de celle du 3 juillet 1967. Il considère que cette compétence doit concerner la réparation des dommages résultant des accidents du travail survenant à toutes les personnes relevant du champ d’application de la loi du 3 juillet 1967, en ce compris les membres du personnel qui ne bénéficient pas d’un contrat de travail et sont occupés par des personnes morales de droit public.

La nature du statut est sans incidence, en ce qui concerne le droit à la réparation des séquelles d’un accident, celui-ci étant survenu en service commandé dans le corps des sapeurs-pompiers volontaires de la commune concernée. Dès lors qu’il y a un contrat d’assurance souscrit par la commune, dont les bénéficiaires sont les pompiers volontaires, et qu’ils sont victimes d’un accident survenu dans le cours ou par le fait de l’exécution de leurs prestations, ce contrat doit sortir ses effets, si les conditions de l’accident sont remplies. Peu importe qu’il y ait ou non obligation dans le chef de la commune d’indemniser les conséquences d’un accident du travail.

Il fait encore valoir que l’on peut considérer qu’il était engagé dans les liens d’un contrat de travail, au moment de la prestation, chaque intervention constituant un contrat de travail à la tâche ou à la prestation, moyennant versement d’une rémunération variable qui dépendait de la durée et de la fréquence des interventions.

En ce qui concerne le fond, l’administration communale et la compagnie d’assurances font d’abord grief au demandeur originaire de ne pas prouver la matérialité de l’accident. Toutes deux considèrent également que l’intéressé n’établit pas de manière précise la nature exacte de son statut dans le cadre de ses prestations pour la Commune et qu’il n’est nullement acquis qu’il ait été victime d’un accident et, a fortiori, d’un accident du travail.

Position de la Cour

La Cour se livre tout d’abord à un examen du « statut » des pompiers volontaires, qui ne relèvent pas de la catégorie des membres du personnel visés à l’article 1er de la loi du 3 juillet 1967. N’étant pas membres du personnel communal, ils ne peuvent dès lors bénéficier du régime protectionnel contre les accidents du travail garanti par cette loi et son arrêté d’exécution. En outre, la Cour relève que l’arrêté royal du 28 novembre 1969 pris en exécution de la loi du 27 juin 1969 soustrait les pompiers volontaires à l’application de la sécurité sociale lorsqu’ils font partie d’un service incendie, pour autant que la rémunération qu’ils perçoivent n’excède pas la somme de 785,95 € par trimestre – montant indexé (article 17quater de l’arrêté royal du 28 novembre 1969).

Cependant, la Cour relève que la nécessité de protéger les sapeurs-pompiers volontaires contre les risques d’accident du travail a amené le Roi à imposer aux communes l’obligation de souscrire, auprès d’une société agréée pour l’assurance accident du travail, une police de droit commun qui garantit à ceux-ci une couverture au moins équivalente à celle prévue par loi du 3 juillet 1967 (arrêté royal du 6 mai 1971 fixant les types de règlements communaux relatifs à l’organisation des services communaux d’incendie – modifié par l’arrêté royal du 3 juin 1999).

En l’espèce, la Cour relève à partir des éléments du dossier que la rémunération mensuelle allouée au pompier n’a pas été soumise aux prélèvements sociaux, hors l’indemnité de départ qui lui a été allouée en fin de contrat, conformément au régime organique du service communal d’incendie.

La Cour ne va cependant pas aborder la question de l’existence de l’accident du travail, considérant devoir d’abord se pencher sur le champ d’application de l’article 579, 1° du Code judiciaire. Elle reprend la jurisprudence de la Cour de cassation, dont un arrêt du 19 décembre 1988 (Cass., 19 décembre 1988, Pas., 1989, I, p. 436) qui avait cassé un arrêt de la Cour du travail de Gand, celle-ci s’étant déclarée compétente pour connaître d’une telle demande. Son enseignement a été rappelé dans un deuxième arrêt du 5 novembre 2001 (Cass., 5 novembre 2001, Pas., 2001, n° 596) concernant une police d’assurance de droit commun conclue par l’ONEm pour couvrir les stagiaires en formation professionnelle (avec les mêmes avantages que ceux mis à charge de l’assureur-loi par la loi du 10 avril 1971).

La Cour reprend longuement les termes de ce second arrêt et rappelle, ensuite, une autre jurisprudence de la Cour de cassation relative aux stagiaires en formation professionnelle dépendant de l’Arrêté de l’Exécutif flamand du 21 décembre 1988, qui avait amené la Cour suprême à interroger la Cour constitutionnelle. Celle-ci s’était prononcée le 4 juin 2009 (arrêt n° 94/2009) et ces questions ainsi examinées avaient amené le législateur à modifier l’article 579 du Code judiciaire en ajoutant un 5°, en vertu duquel les juridictions du travail sont compétentes pour ce type d’assurances. Ce point est cependant limité aux stagiaires en formation professionnelle, ce que relève la Cour du travail.

La position de la Cour de cassation, suite à l’arrêt de la Cour constitutionnelle, a fait l’objet d’un arrêt du 30 novembre 2009 (Cass., 30 novembre 2009, S.04.134.N) et a été réitérée dans un nouvel arrêt du 29 mars 2010 (Cass., 29 mars 2010, S.09.0083.N). Pour la Cour de Cassation, le sort des demandes en réparation des dommages causés par des accidents du travail doit être réglé de manière identique, que la demande émane de stagiaires (que l’employeur est tenu d’assurer aux mêmes conditions que s’ils avaient été des travailleurs salariés) ou de ces travailleurs salariés eux-mêmes ou personnes assimilées en vertu de la loi du 10 avril 1971.

La Cour du travail relève cependant que cette jurisprudence vise du personnel occupé au sein d’une même entreprise. Or, pour respecter les conditions du test préalable de comparabilité, la Cour doit constater que l’on se situe ici au sein d’un centre de secours géré par une commune, dans lequel figurent exclusivement des sapeurs-pompiers volontaires et où ne coexistent pas ensemble deux groupes distincts de pompiers, étant des volontaires et des professionnels. Il faut dès lors, pour la Cour, comparer la situation des pompiers volontaires d’un centre C à celle des centres qui sont composés quant à eux exclusivement de professionnels, à savoir les centres X.

Relevant ici une différence dans la situation entre les pompiers volontaires et les pompiers professionnels, sur le plan de la rétribution et de l’assujettissement à la sécurité sociale, la Cour insiste cependant sur le fait que les deux catégories de personnes sont exposées aux mêmes risques d’accident dans le cadre de l’exercice de leur activité professionnelle. S’il fallait considérer que les juridictions du travail sont, en application de l’article 579, 1°, compétentes uniquement pour les accidents du travail pour lesquels une assurance légale est rendue obligatoire en vertu de la loi du 10 avril 1971 ou de celle du 3 juillet 1967, le droit de saisir les juridictions du travail serait dénié aux membres du groupe des sapeurs-pompiers volontaires.

La Cour pose dès lors à la Cour constitutionnelle une question préjudicielle portant sur sa compétence, dans la mesure où les deux groupes de pompiers se trouvent incontestablement dans une situation comparable, dès lors qu’ils sont exposés aux mêmes risques d’accident, et ce même si une différence notable les oppose sur le plan de la sécurité sociale et de la rémunération.

Intérêt de la décision

L’intérêt de cet arrêt est évident, puisqu’il est l’occasion de rappeler l’évolution de la jurisprudence relative à la compétence matérielle des juridictions du travail pour les polices d’assurances conclues en faveur de personnes prestant des situations qui ne sont pas un contrat de travail mais dans lesquelles elles sont exposées à des risques d’accident. Les stagiaires en formation professionnelle (Exécutif flamand) ont fait constater la nécessité d’un ajout dans le code judiciaire (article 579, 5°). C’est dans le cadre de l’article 579, 1° que raisonne ici la Cour du travail de Mons, posant une question de discrimination dans l’accès aux juridictions du travail, à partir du moment où deux groupes de personnes se trouvent dans une situation qui peut être considérée comme comparable, face au même risque.


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