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Cotisations dues au FAT en cas d’affiliation d’office pour défaut d’assurance accident du travail : nature pénale de la sanction

Commentaire de C. trav. Mons, 8 décembre 2010, R.G. 2010/AM/47

Mis en ligne le jeudi 24 mars 2011


Cour du travail de Mons, 8 décembre 2010, R.G. n° 2010/AM/47

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 8 décembre 2010, la Cour du travail de Mons répond à une question posée quant à la nature des cotisations d’affiliation d’office en cas de défaut d’assurance accident du travail : il s’agit de sanctions de nature pénale.

Les faits

Le litige porte sur des cotisations d’office réclamées à un employeur en défaut d’assurance, conformément à l’article 59 de l’arrêté royal du 21 décembre 1971. Celui-ci ne conteste pas avoir occupé du personnel sans conclure un contrat d’assurance pendant une période d’un an.

L’employeur considère qu’il s’agit de cotisations de nature pénale et qu’elles sont illégales.

Décision du tribunal

Par jugement du 2 décembre 2009, le tribunal du travail de Charleroi condamne l’employeur au paiement de ces cotisations, considérant qu’il s’agit d’une sanction civile et que, en conséquence, le juge ne dispose d’aucun pouvoir de modération. L’employeur en défaut avait en effet fait valoir que, selon la nature de la cotisation, des conséquences étaient à en tirer sur l’étendue du pouvoir juridictionnel du juge saisi.

Position des parties en appel

L’employeur maintient sa contestation en ce qui concerne la nature pénale de la sanction et considère que celle-ci, ayant été instituée par un arrêté royal, est illégale car prise en violation de l’article 12 de la Constitution, selon lequel toute peine doit être prévue par une loi. Il fait également valoir la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme et de la Cour constitutionnelle en ce qui concerne les critères retenus dans l’hypothèse de sanctions prises dans d’autres secteurs de la sécurité sociale. Enfin, il considère que, vu le caractère pénal de la sanction, il faut appliquer les principes généraux du droit pénal, que le juge peut tenir compte de circonstances atténuantes ou même assortir la mesure d’une suspension ou d’un sursis et qu’il peut, enfin, réduire le montant de la cotisation.

Le Fonds des accidents du travail maintient pour sa part qu’il s’agit d’une sanction de nature civile et que, à supposer qu’il s’agisse d’une sanction pénale, elle trouve son fondement dans la loi du 10 avril 1971 (article 50). Dans cette hypothèse également le contrôle de pleine juridiction du juge ne lui permet pas de faire plus que l’administration et, notamment, de réduire la cotisation en dessous du minimum légal, non plus que de tenir compte d’éventuelles circonstances atténuantes. Pour le FAT, les mesures de sursis et de suspension ne peuvent non plus s’appliquer.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle les dispositions légales, étant les articles 49 et 50 de la loi ainsi que l’article 59 de l’arrêté royal du 21 décembre 1971 portant exécution de certaines dispositions de la loi de base.

La cour examine, dès lors, en premier lieu la nature pénale ou civile de la cotisation d’affiliation d’office. Elle rappelle les critères généralement retenus par la C.E.D.H. pour admettre qu’une mesure puisse être qualifiée de peine. Ces conditions sont au nombre de trois : (i) qualification juridique de l’infraction en droit interne, (ii) nature même de l’infraction et (iii) degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé. La cour du travail rappelle que, selon la C.E.D.H., les deuxième et troisième critères ne sont pas nécessairement cumulatifs mais sont alternatifs. Ceci n’empêche (et la cour cite l’arrêt DUBUS – C.E.D.H., 11 juin 2009) qu’une approche cumulative peut être adoptée si l’analyse séparée de chacun des critères ne permet pas une conclusion claire.

La cour reprend ensuite la jurisprudence interne de la Cour constitutionnelle et de la Cour de cassation, qui se sont prononcées sur des amendes administratives sociales, notamment dans le domaine fiscal. Elle rappelle également que des juridictions du travail ont décidé que les sanctions administratives de l’ONEm ont un caractère pénal (la cour cite notamment C. trav. Liège, 18 déc. 2008, R.G. n° 35.467 et C. trav. Liège, 25 avril 2006, R.G. n° 7.892/05).

Vu l’absence de qualification de sanction pénale en droit interne, la cour examine dès lors les deux autres critères retenus par la Cour européenne. En ce qui concerne la nature de l’infraction elle retient que la cotisation a un caractère mixte (étant qu’elle poursuit un objectif dissuasif et répressif mais présente également un aspect indemnitaire, le payement étant lié au nombre de travailleurs non couverts et à la durée du manquement). Elle retient que la cotisation a un caractère répressif, qu’elle qualifie de prédominant : but de prévention et de sanction des manquements commis par tous les employeurs sans distinction aucune s’ils ne respectent pas l’obligation de souscrire une assurance contre les accidents du travail. La Cour relève que cette sanction est connue à l’avance et qu’elle a pour but d’inciter les employeurs à s’acquitter de cette obligation légale. Cette sanction s’ajoute à la peine qui peut être prononcée par les juridictions répressives sur la base des articles 91quater et 94 de la loi. Enfin, cette cotisation n’est ni une prime d’assurance ni la réparation d’un préjudice.

La cour en conclut que cette cotisation est une sanction de nature pénale.

Elle écarte, ainsi, comme non applicable la jurisprudence vantée par le FAT de la Cour de cassation du 19 novembre 2007 (Cass., 19 nov. 2007, J.M.L.B., 2008/17, p. 758) en matière de majoration de cotisations sociales (en cas d’appel à un cocontractant non enregistré) et rappelle que la Cour constitutionnelle s’était prononcée en sens contraire par arrêt du 20 juin 2007 (C. Const. 20 juin 2007, arrêt n° 86/2007).

Intérêt de la décision

Dans cette affaire, où la cour du travail se prononcera également sur le principe de légalité et de proportionnalité, concluant d’une part que la sanction trouve son fondement dans la loi et d’autre part que la cotisation ne peut être réduite, la Cour du travail de Mons prend position contre la jurisprudence de la Cour de cassation, dont elle relève que, si elle privilégie le caractère indemnitaire et donc civil de la mesure, ceci est contraire aux travaux préparatoires, qui précisaient que la mesure est destinée à prévenir et à réprimer un comportement contraire à la loi.

La cour du travail rappelle également dans cette question controversée qu’il y a lieu de tenir compte d’autres critères, étant d’une part le public incriminé et d’autre part la gravité de la sanction, critères qu’elle considère négligés par la Cour de cassation dans sa position sur cette question.


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