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Incidence d’un deuxième mariage sur les droits à une pension de survie

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 17 février 2011, R.G. 2009/AB/52.477

Mis en ligne le jeudi 26 mai 2011


Cour du travail de Bruxelles, 17 février 2011, R.G. n° 2009/AB/52.477

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 17 février 2011, la Cour du travail de Bruxelles examine les effets sur les droits d’une veuve à sa pension de survie d’un second mariage contracté à l’étranger par son époux, travailleur salarié.

Les faits

Madame H. d’origine marocaine, mariée au Maroc, résidant en Belgique depuis 1968 et devenue belge en 2001, bénéficie d’une pension de survie, suite au décès de son mari en 2004.

Celle-ci est réduite, en 2008, par l’ONP suite à la demande de pension introduite par une autre personne qui est la seconde épouse de l’intéressé.

Un recours est introduit devant le tribunal du travail, qui confirme la décision administrative, se référant à la Convention générale sur la sécurité sociale entre le Royaume de Belgique et le Royaume du Maroc du 28 juin 1968 (article 24, § 2). Pour le tribunal, l’ordre public belge n’est pas heurté par un état de polygamie ayant existé au Maroc. Par ailleurs, le mari ayant divorcé de sa seconde épouse en 1996, le tribunal examine ce divorce et considère qu’il ne peut produire d’effet en Belgique.

Position de la cour du travail

Saisie de l’appel de Madame H., la cour du travail doit dire si elle a la qualité de veuve unique, pouvant bénéficier de la pension de survie dans son intégralité. La cour va ainsi devoir se prononcer non seulement sur le divorce de la seconde épouse mais sur une question préalable, développée par Madame H., étant celle des effets du mariage avec la seconde épouse, au regard de l’ordre public international belge.

La cour se livre, ici, à une analyse très rigoureuse des principes applicables, étant, en premier lieu l’article 21 du Code de droit international privé. Celui-ci permet d’écarter un droit étranger (ou une institution de droit étranger) au nom de l’ordre public, et ce dans la mesure où il en résulterait un effet manifestement incompatible avec celui-ci. L’incompatibilité s’apprécie, selon cette disposition légale, en tenant compte notamment de l’intensité du rattachement de la situation avec l’ordre juridique belge et de la gravité de l’effet que produirait l’application de ce droit étranger.

Ceci implique de vérifier quand une loi d’ordre public interne est d’ordre public international et la cour rappelle que ce n’est le cas que si par les dispositions de cette loi le législateur a voulu consacrer un principe qu’il considère comme essentiel à l’ordre moral, politique et économique établi en Belgique et qui, pour ce motif, doit nécessairement exclure l’application en Belgique de toute règle contraire ou différente d’un droit étranger (conclusions de M. le Procureur général VELU avant Cass., 2 avril 1981, Pas., 1981, I, p.835). C’est l’article 24, § 2 de la Convention générale sur la sécurité sociale entre les deux pays qui est ici visé. Cette disposition, qui prévoit que la pension de veuve est éventuellement répartie, également et définitivement, entre les bénéficiaires dans les conditions prévues par le statut personnel de l’assuré, ne signifie pas, pour la cour, que le partage de la pension de survie est justifié dans tous les cas de polygamie. Il n’y a partage que si l’exception d’ordre public international ne s’oppose pas à la reconnaissance de cette situation.

La cour rappelle l’enseignement de la Cour constitutionnelle (C. const., 4 mai 2005, n° 84/2005 et C. const., 4 juin 2009, n° 96/2009), selon lequel le juge doit contrôler in concreto si les effets découlant de mariages contractés à l’étranger conformément au statut personnel des époux ne troublent pas l’ordre public international belge. Il en résulte que même dans les cas d’application de la Convention générale sur la sécurité sociale le mariage polygamique peut être écarté s’il a des conséquences concrètes troublant de manière trop directe l’ordre juridique belge et ce plus spécialement lorsqu’une ou plusieurs parties entretiennent un lien étroit avec la Belgique.

La cour rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 3 décembre 2007 (Cass., 3 déc. 2007, S.06.0088.F), qui avait considéré que l’ordre public international belge s’oppose à la reconnaissance en Belgique des effets d’un mariage validement contracté à l’étranger lorsque l’un des conjoints était au moment de ce mariage déjà engagé dans les liens d’un mariage non encore dissous avec une personne (en l’occurrence belge) dont la loi nationale n’admet pas la polygamie.

C’est, comme le rappelle la cour, la consécration de la doctrine dite de « proximité », qui implique, en vue de l’éviction du droit étranger normalement compétent, de mesurer l’intensité du rattachement au droit du for. Ceci signifie, pour la cour, que plus une partie entretient un lien étroit avec la Belgique, plus elle est en mesure de se prévaloir utilement de l’exception d’ordre public.

Appliquant ces principes à l’espèce, la cour constate devoir examiner essentiellement l’intensité des liens entretenus par Madame H. avec la Belgique.

En l’espèce, elle constate que lorsque la seconde épouse a demandé le partage de la pension de survie, Madame H. avait la nationalité belge et pouvait faire valoir que la seconde union contractée par son mari heurtait l’ordre public international du pays dont elle est la ressortissante et s’opposer à ce que celle-ci produise à son égard des effets, en ce compris en matière de sécurité sociale.

Il faut, pour la cour, se placer à la date de la naissance du droit à la pension de survie, c’est-à-dire au décès du mari, ou peut-être à la date de la demande de la pension introduite par la seconde épouse, pour apprécier les effets du second mariage sur les droits de Madame H.

Pour la cour, la proximité découle donc la nationalité de Madame H. à ce moment mais également d’autres circonstances, notamment qu’elle est domiciliée en Belgique depuis plus de quarante ans et qu’elle y a vécu avec son époux jusqu’à son décès.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles est l’occasion d’aborder la notion d’ordre public international en matière de sécurité sociale, qui a amené la Cour de cassation et la Cour constitutionnelle à rendre diverses décisions importantes. La doctrine (abondamment citée dans l’arrêt) a, en conséquence, développé une notion nouvelle, étant le lien de proximité avec le droit national permettant l’application du droit du for et l’éviction du droit étranger normalement applicable.


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