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Dispensateurs de soins de santé : illégalité des deux arrêtés royaux du 4 avril 2003 relatifs à la réduction des interventions de l’INAMI

Commentaire de C. trav. Mons, 13 avril 2011, R.G. 2009/AM/21.687

Mis en ligne le mercredi 6 juillet 2011


Cour du travail de Mons, 13 avril 2011, R.G. n° 2009/AM/21.687

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 13 avril 2011, la Cour du travail de Mons, saisie de la question de la légalité des deux arrêtés royaux du 4 avril 2003 relatifs au montant des interventions de l’INAMI en fonction des catégories de dépendance de pensionnaires d’institutions dispensatrices de soins, conclut à l’illégalité et annule, en conséquence, des décisions administratives prises en application de ceux-ci.

Les faits

Une maison de repos est informée, en février 2007, de ce qu’elle fait partie d’une première sélection d’institutions, ayant été choisies au hasard, susceptibles de recevoir la visite d’un collège local de médecins-conseils, et ce dans le cadre des dispositions d’un arrêté royal du 4 avril 2003 destiné à vérifier la bonne application des instruments d’évaluation prévus pour les dispensateurs à l’article 37 de la loi coordonnée, en vue de fixer l’intervention de l’assurance maladie pour les bénéficiaires. Il s’agit de vérifier la catégorie de dépendance des pensionnaires.

Le contrôle a lieu et, à l’issue de celui-ci, le collège local des médecins-conseils décide d’adapter les catégories de dépendance de onze des pensionnaires contrôlés. Une décision est prise et est notifiée le 1er juillet 2007. Elle prévoit que la partie A1 de l’allocation forfaitaire octroyée pour l’année de facturation fera l’objet d’une diminution de 18,48% pour le second semestre.

L’INAMI prend également une décision suite à celle-ci.

La procédure devant le tribunal du travail

La société gérant la maison de repos introduit deux procédures devant le tribunal du travail, l’une contre la décision du collège local et la seconde contre la décision de l’INAMI.

Le tribunal joint les causes et va conclure qu’il n’y a pas lieu d’appliquer l’arrêté royal du 4 avril 2003 pour cause d’illégalité. Il annule les décisions administratives prises. L’illégalité résulte du défaut d’urgence, l’urgence invoquée qui aurait empêché la consultation normale de la section de législation du Conseil d’Etat n’étant pas justifiée, tenant compte du long délai qui s’était écoulé pour l’élaboration de l’arrêté royal et du fait que les mesures factuelles n’étaient pas assez précises pour permettre un contrôle adéquat de l’urgence.

La position de la cour du travail

La cour du travail est saisie d’un appel de l’INAMI, qui va entraîner un examen approfondi du contrôle de la légalité des deux arrêtés royaux en cause. La cour rappelle que cet examen est, en vertu de l’article 159 de la Constitution, préalable à toute autre question.

Le premier de ces deux arrêtés concerne les modalités de contrôle des déclarations faites par les maisons de repos en ce qui concerne les catégories de dépendance des pensionnaires, le second modifiant les prérogatives du Collège national des médecins-conseil.

La cour relève que le Conseil d’Etat a rendu un avis le 25 mars 2003 dans le cadre de la consultation de la section de la législation prévue à l’article 3 des lois coordonnées du 12 janvier 1973. La cour reprend les principes relatifs à cette consultation (dont le caractère de formalité substantielle en ce qui concerne les arrêtés réglementaires) et rappelle que cette formalité touche à l’ordre public, ce qui figure de manière constante dans la jurisprudence du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation. En ce qui concerne l’objet du contrôle, si l’urgence est invoquée, il doit porter à la fois sur les événements qui ont précédé et ceux qui ont suivi la déclaration d’urgence. L’invocation de l’urgence doit être pertinente et précise et celle-ci elle-même doit être réelle. Il ne peut s’agir de motiver l’urgence en se limitant à une justification de l’opportunité de l’acte. La cour rappelle que, si la section de législation du Conseil d’Etat a accepté de rendre un avis dans les trois jours ou si elle n’a émis aucune observation sur la motivation de l’urgence, ceci n’hypothèque nullement le devoir des cours et tribunaux de procéder a posteriori à ce contrôle, conformément à l’article 159 de la Constitution.

En l’espèce, la cour du travail constate que l’urgence a été motivée par l’exigence que les dispositions nouvelles soient prises aussitôt que possible afin de mettre en œuvre rapidement les mesures prévues, celles-ci étant susceptibles d’avoir un impact sur les objectifs budgétaires de l’assurance soins de santé pour l’année 2003.

A propos des mêmes arrêtés, le Tribunal du travail de Huy avait considéré (Trib. trav. Huy, 3 juin 2009, RG 63/366 et 63/457) que la justification de la réalité de l’urgence était insuffisante, dans la mesure où les mesures étaient présentées comme n’étant que « susceptibles d’avoir un impact sur le budget » et qu’elles avaient trait à une disposition normative du mois d’août 2002, alors que l’entrée en vigueur de ces dispositions ne devait intervenir que pratiquement un an plus tard.

La cour déclare faire sienne cette conclusion, pertinente, adéquate et exhaustive. Elle insiste par ailleurs sur l’absence de précisions quelconques données quant à l’objectif visé, le respect du budget fixé touchant naturellement l’ensemble des actes réglementaires. En l’absence de considérations concrètes d’ordre budgétaire et en l’absence d’explications permettant de comprendre pourquoi seule la procédure accélérée pouvait être suivie, la cour retient que les motifs invoqués dans le préambule des arrêtés royaux ne sont pas précis et pertinents et que, au contraire – et surabondamment -, l’urgence est démentie par le processus d’élaboration, d’adoption, de publication et d’entrée en vigueur des arrêtés litigieux. En effet, pris dans l’urgence, ils n’ont été publiés que plus de deux mois après leur adoption et leur entrée en vigueur a encore été différée.

En conséquence, l’illégalité est prononcée, ce qui entraîne l’absence de base légale aux décisions administratives querellées.

La cour poursuit qu’elle ne dispose pas d’un pouvoir de substitution, lui permettant de statuer sur les catégories de dépendance des pensionnaires et qu’il est dès lors impossible de pallier l’absence de base légale des décisions litigieuses.

En ce qui concerne la réparation, la société a demandé qu’il soit fait injonction aux organismes assureurs de lui procurer les moyens financiers pour verser des sommes importantes, couvrant le coût des soins dispensés. La cour retient cependant qu’il s’agit d’une demande formée dans le cadre de la responsabilité aquilienne et que, en vertu de la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 21 décembre 2007, RG C.06.0457.F), l’autorité administrative qui applique un règlement ou une loi n’ayant pas fait l’objet d’un constat d’illégalité ou d’inconstitutionnalité ne peut engager sa responsabilité. L’illégalité n’est, par ailleurs, pas la conséquence d’une attitude fautive de l’INAMI mais bien de l’Etat belge et celui-ci n’est pas à la cause.

La cour retiendra une faute, cependant, dans le chef de l’INAMI, faute indépendante de l’illégalité en cause, car il s’est abstenu de répondre à des observations valablement formulées et a, au contraire, aussitôt notifié une décision d’adaptation de l’allocation forfaitaire. Il y a, pour ceci, condamnation à un dommage moral fixé en équité à 5.000€.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Mons, très motivé, reprend les règles en matière de contrôle a posteriori de la légalité d’un acte réglementaire, pour lequel l’avis de la section de législation du Conseil d’Etat a été demandé en urgence, alors que celle-ci n’était pas régulièrement motivée. Il précise en outre que s’agissant, dans ce cas, d’une faute de l’Etat belge, l’institution administrative qui avait appliqué l’arrêté royal en cause, n’a, de ce fait, pas pu engager sa responsabilité.


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