Terralaboris asbl

Malgré une interruption, des contrats de travail à durée déterminée successifs peuvent constituer un contrat à durée indéterminée

Commentaire de C. trav. Mons, 13 avril 2011, R.G. 2007/AM/20.751 et 2007/AM/20.752

Mis en ligne le lundi 1er août 2011


Cour du travail de Mons, 13 avril 2011, R.G. n° 2007/AM/20.751 et 2007/AM/20.752

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 13 avril 2011, la Cour du travail de Mons rappelle que l’interruption entre divers contrats de travail à durée déterminée successifs peut malgré tout emporter l’application des articles 10 et 10bis de la loi du 3 juillet 1978. Dans cet arrêt, la Cour du travail statue également sur les conditions de requalification d’un contrat de travail entre un travailleur et un utilisateur.

Les faits

Entre le 22 mai 1995 et le 24 janvier 2003, plusieurs contrats de travail sont signés entre un employé et une société. Il s’agit de contrats successifs, hors pour le dernier, qui est conclu après une interruption de 15 jours. Par ailleurs, certains d’entr’eux constituent en réalité une succession de contrats de travail intérimaire conclus, soit avec la société elle-même, soit avec une autre, venue aux droits de la première.

Après la rupture, citation est lancée contre les deux sociétés, aux fins d’obtenir leur condamnation solidaire (et subsidiairement in solidum) à une indemnité compensatoire de préavis de 10 mois de rémunération.

Position du Tribunal

Le Tribunal du travail de Charleroi déclare la demande irrecevable, pour partie, au motif de prescription et non fondée pour la partie non prescrite. Les périodes visées par le jugement sont distinctes pour chacune des deux sociétés.

Position de la Cour

La Cour du travail de Mons rend un premier arrêt le 23 juin 2010 et y ordonne une réouverture des débats aux fins d’être éclairée notamment sur les motifs du recours au travail intérimaire et sur l’incidence des contrats de travail intérimaire quant à l’application des articles 10 et 10bis de la loi.

La Cour du travail va d’abord rappeler de manière très circonstanciée les principes en matière de contrats de travail intérimaire et, notamment, les conditions de la requalification du contrat d’une part entre le travailleur et l’agence de travail intérimaire (conditions fixées à l’article 8 de la loi du 24 juillet 1987 sur le travail temporaire, le travail intérimaire et la mise de travailleurs à la disposition d’utilisateurs) et d’autre part entre le travailleur et l’utilisateur (articles 1er de la même loi et 9 de la convention collective de travail n° 58 du CNT du 7 juillet 1994).

Sur cette première question de requalification, la Cour rappelle que, dans son premier arrêt, elle avait déjà abouti à la conclusion de l’existence d’un certain flou en ce qui concerne l’occupation du travailleur intérimaire pour l’exécution d’un travail qui ne serait pas temporaire au sens de l’article 1er de la loi (condition mise par l’article 20) et que l’accord de la délégation syndicale n’aurait pas été obtenu préalablement à cet engagement.

La Cour constate ici, après avoir tenté d’obtenir des renseignements précis, que les éléments déposés ne lui permettent pas d’être dûment éclairée quant aux motifs avérés du recours au travail intérimaire, ni le remplacement pour suspension de contrat, ni le surcroît de travail temporaire n’étant étayé par aucun élément du dossier. Le contrat est donc disqualifié, pour la période concernée, en un contrat de travail à durée indéterminée, vu l’absence de preuve de l’une des causes prévues par la loi du 24 juillet 1987 permettant le recours au travail intérimaire.

Mais c’est surtout sur la question des contrats à durée déterminée successifs que l’enseignement de cet arrêt de la Cour du travail de Mons est important.

Rappelant que la loi ne définit pas la notion de contrats successifs, la Cour reprend le principe généralement admis en jurisprudence selon lequel il s’agit de contrats qui doivent se suivre mais qui ne doivent pas se suivre immédiatement. Si les interruptions sont de courte durée, les contrats peuvent néanmoins être considérés comme des contrats successifs.

En l’espèce, il y une période d’interruption plus longue (près de 7 mois), mais la Cour constate qu’il faut, pendant cette période où le travailleur a été occupé pour la première société dans le cadre de contrats de travail intérimaire, appliquer cependant l’article 10 de la loi du 3 juillet 1978, dans la mesure où il est établi qu’il y a eu fraude à la loi pendant cette interruption. Les autres interruptions très courtes (entre 4 et 12 jours) ne permettent pas davantage de remettre en cause le caractère successif des contrats. La Cour rappelle ici que ces interruptions ont coà¯ncidé ou ont été en relation avec des périodes de congés annuels. Elle retient encore un autre type d’interruption, étant une période de 61 jours correspondant en réalité à 44 jours ouvrables. Celle-ci ne permet pas davantage pour la Cour de remettre en cause le caractère successif des contrats, et ce au regard des circonstances de la cause. La Cour prend en compte la durée totale de la collaboration professionnelle (8 années) et souligne qu’il n’est en outre pas démontré que les interruptions de travail auraient trouvé leur cause dans le chef du travailleur.

Rappelant enfin la Directive européenne 1997/70/CE du 28 juin 1999 visant à mettre en œuvre l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée du 18 mars 1999, elle cite l’arrêt de la Cour européenne (C.J.U.C.E., 7 septembre 2006, Chron.D.S., 2007, p. 60), qui a admis que de telles interruptions n’étaient pas de nature à remettre en cause le caractère successif des contrats.

L’employeur restant donc en défaut de prouver que ceux-ci étaient justifiés par la nature du travail ou par d’autres raisons légitimes, il faut considérer qu’il y a eu contrat de travail à durée indéterminée.

Enfin, sur la prescription, la Cour rappelle la doctrine (A. VERMOTE, La prescription en droit du travail, Ed. Kluwer, 2009, p. 82), qui a rappelé que, dans le cadre de contrats de travail intérimaire successifs, chaque fin de contrat fait démarrer un délai de prescription d’un an qui lui est propre. Il n’est dès lors pas question d’un délai de prescription global d’un an qui vaudrait pour les différents contrats, sauf (et la Cour souligne) lorsqu’en raison d’irrégularités, les différents contrats peuvent être requalifiés en contrat à durée indéterminée. Il s’agit notamment de l’hypothèse où, dans les conditions fixées aux articles 10 et 10bis de la loi du 3 juillet 1978, les différents contrats peuvent être requalifiés en contrat à durée indéterminée. Le dernier contrat étant venu à terme le 24 janvier 2003, la Cour conclut que la citation, signifiée dans l’année, n’est pas prescrite.

En conséquence, une indemnité compensatoire de préavis est due. La Cour rappelle encore ici que, pour les employés dits « supérieurs », la fixation du délai de préavis doit s’opérer de manière strictement individuelle, excluant tout automatisme lié à l’usage de formules types.

Intérêt de la décision

C’est sur deux points importants que cet arrêt de la Cour du travail de Mons contient un enseignement de premier plan, étant d’une part sur les conditions de requalification d’un contrat de travail intérimaire (conditions différentes s’il s’agit de la relation travailleur / agence de travail intérimaire ou de celle travailleur / utilisateur) et d’autre part sur le caractère successif au sens de la loi du 3 juillet 1978 de contrats à durée déterminée, permettant – comme en l’espèce, malgré plusieurs interruptions et malgré le recours au travail intérimaire – de les considérer comme un contrat de travail à durée indéterminée.


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