Terralaboris asbl

Supprimer toute réduction de cotisation de sécurité sociale lorsque l’employeur n’a pas communiqué la carte d’embauche du travailleur à l’O.N.Em. dans les soixante jours suivant la date de l’engagement est disproportionné lorsque les conditions du plan d’embauche sont réunies et que d’autres sanctions moins lourdes auraient permis d’atteindre le but recherché par le législateur et par l’autorité réglementaire

Commentaire de Cass., 13 décembre 2010, n° S.10.0053.F

Mis en ligne le jeudi 4 août 2011


Cassation, 13 décembre 2010, n° S.10.0053.F

TERRA LABORIS ASBL

Supprimer toute réduction de cotisation de sécurité sociale lorsque l’employeur n’a pas communiqué la carte d’embauche du travailleur à l’O.N.Em. dans les soixante jours suivant la date de l’engagement est disproportionné lorsque les conditions du plan d’embauche sont réunies et que d’autres sanctions moins lourdes auraient permis d’atteindre le but rechercher par le législateur et par l’autorité réglementaire.

Les faits de la cause

Le litige concerne le plan d’embauche des articles 60 à 64 de la loi du 21 décembre 1994 portant des dispositions sociales et diverses. Bien que ces dispositions ne soient plus en vigueur, il ne manque pas d’intérêt.

Le 12 avril 1996, l’O.N.Em. a délivré une carte d’embauche établissant que Mme V. remplissait les conditions du plan d’embauche et l’employeur l’a engagée le 23 avril 1996.

L’O.N.Em. déclare ne pas avoir reçu la carte d’embauche et n’a pas transmis à l’O.N.S.S. les données relatives à l’engagement de Mme V.

Celle-ci a travaillé pour l’employeur de 1996 à 1998. Celui-ci a payé les cotisations sociales réduites. Le 28 février 2001, la dispense de cotisations sociales a été refusée par l’O.N.S.S. qui a cité l’employeur en remboursement des cotisations sociales pour un montant de 9.573,33 €.

La procédure devant les juridictions de fond

Le tribunal du travail de Bruxelles a débouté l’O.N.S.S. de sa demande par un jugement du 10 mars 2004.

L’O.N.S.S. ayant interjeté appel de ce jugement, la cour du travail, par un premier arrêt du 14 janvier 2009, le tribunal ordonne la réouverture des débats sur les questions de savoir si la chômeuse remplissait les conditions requises pour l’application du plan d’embauche, sur la conformité de l’article 2 de l’arrêté royal du 23 décembre 1994 portant exécution du chapitre II du titre IV de la loi du 2 décembre 1994 portant des dispositions sociales à la loi du 21 décembre 1994 et notamment à son article 63, § 1er, et la Constitution notamment à ses articles 10 et 11 et sur une faute éventuelle de l’O.N.S.S..

La cour du travail rappelle à cet égard que les procédures administratives sont en règle générale conçues en vue de permettre une correcte application de la loi. Dans ce but l’employeur doit rapidement délivrer les informations à l’institution concernée en complétant et renvoyant la carte d’embauche dans les soixante jours de l’engagement ce qui permet de faire vérifier rapidement que le travailleur remplit les conditions requises. L’écoulement du temps a des conséquences importantes sur la dette de cotisations sociales. Si les conditions du plan d’embauche ne sont pas remplies, chaque jour de travail engendre une dette de cotisations à l’insu de l’employeur et la période de dispense expire rapidement après deux ans.

L’employeur n’est plus autorisé à prouver que les conditions sont remplies après soixante jours et ne peut redresser une erreur administrative, l’oubli d’une démarche, d’un courrier, d’une vérification, ni faire valoir des circonstances exceptionnelles.

La cour rappelle que les plans d’embauche ont pour but d’encourager l’embauche et doivent susciter la confiance des employeurs, Ils ne peuvent constituer des pièges à l’emploi pour ceux-ci. Cette sanction la plus lourde est-elle vraiment appropriée et la distinction faite entre les employeurs qui remplissent les conditions pour bénéficier de la mesure, selon qu’ils ont ou non rempli leurs obligations administratives, est-elle suffisamment justifiée ?

La cour du travail ajoute que si la réglementation qui impose de prouver les conditions dans un délai court sous peine de perdre l’avantage dans sa totalité est conforme à la loi du 21 décembre 1994 et à la Constitution, il faudrait alors se demander si l’O.N.S.S. n’a pas tardé fautivement à contrôler les preuves.

Par son arrêt du 6 janvier 2010, la cour du travail décide d’écarter la condition de l’article 2 de l’arrêté royal du 23 décembre 1994, qu’elle juge disproportionnée dès lors que le Roi aurait pu prévoir d’autres sanctions moins lourdes qui auraient permis d’atteindre le but recherché par le législateur (la preuve) et par l’autorité réglementaire (diligenter la procédure, permettre la vérification rapide par l’employeur des conditions de fond, permettre le contrôle rapide et aisé par le demandeur de ces conditions), dans l’objectif général du plan d’embauche (l’embauche et la résorption du chômage, pas le piège pour les employeurs.

Constatant que l’engagement de la dame V. remplissait les conditions requises par l’article 63, § 1er, de la loi du 21 décembre 1994, la cour du travail confirme le jugement entrepris et déboute l’O.N.S.S. de son action.

La procédure devant la Cour de cassation

L’O.N.S.S. soutenait, dans la première branche du moyen unique de cassation, que l’obligation de l’employeur d’envoyer au bureau du chômage la carte d’embauche dûment complétée dans un délai de soixante jours suivant l’engagement n’est pas une règle de pure forme mais bien une règle de fond dont l’objectif est d’accélérer la remise au travail et de vérifier que le travailleur remplit encore les conditions pour une embauche sous le bénéfice de l’article 63, § 1er, de la loi du 21 décembre 1994. Le critère de différenciation de l’employeur selon qu’il envoie ou n’envoie pas à l’O.N.Em. la carte d’embauche dans le délai de soixante jours répond par conséquent à une exigence de fond objective et raisonnablement justifiée en rapport avec la perte de recettes que représente pour l’O.N.S.S. la réduction substantielle des cotisations.

La Cour rejette ce soutènement : l’arrêt attaqué, qui décide que la sanction de l’article 2 de l’arrêté royal du 23 décembre 1994, à savoir la perte de tout droit à la réduction, est disproportionnée lorsque les conditions du plan d’embauche sont réunies et que l’arrêté royal aurait pu prévoir d’autres sanctions moins lourdes qui auraient permis d’atteindre le but rechercher par le législateur (la preuve) et par l’autorité réglementaire (diligenter la procédure, permettre la vérification rapide par l’employeur des conditions de fond, permettre le contrôle rapide et aisé par l’O.N.S.S. de ces conditions) dans le cadre de l’objectif général du plan d’embauche (l’embauche et la résorption du chômage, pas le piège pour les employeurs) a ainsi égard à l’objectif de l’exigence prévue par l’article 2 de l’arrêté royal et justifie légalement sa décision de ne pas appliquer cette disposition.

Intérêt des décisions

Il s’agit d’une application intéressante de la règle de proportionnalité.

On observera que, sur un texte plus ou moins similaire, la Cour constitutionnelle a estimé que l’exigence du court délai dans lequel dans lequel l’attestation doit être obtenue de l’O.N.S.S. était pertinente et que la différence de traitements était raisonnablement justifiée (arrêt n° 80/2009 du 14 mai 2009).

On observera également que, par un arrêt du 9 juin 2010 (R.G. 48.994 et 49.068, publié sur Juridat n° F-20100609-7), la même chambre de la cour du travail autrement composée avait abordé le litige sous l’angle de la violation par l’O.N.S.S. du principe du raisonnable qui impose à l’administration de statuer dans un délai raisonnable. Le contrôle étant simple et l’anomalie fréquente, la cour du travail a estimé qu’un délai de six mois était normal. Or, l’O.N.S.S. a mis quatre ans à contrôler. L’employeur ayant introduit une action reconventionnelle en dommages et intérêts, la cour condamne l’O.N.S.S. à des dommages et intérêts équivalents aux cotisations, majorations et intérêts, dues après le délai de six mois où le contrôle aurait dû être réalisé.

Références

  • L’arrêt du 14 janvier 2009 publié sur Juridat n° F-20100106-7 (avec l’indication erronée qu’il s’agit de l’arrêt du 6 janvier 2010)
  • L’arrêt de la Cour de cassation est publié sur Juridat n° F-20101213-11.

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