Terralaboris asbl

Conditions d’exportabilité des pensions hors Union Européenne

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 17 février 2011, R.G. 2009/AB/52.543

Mis en ligne le mardi 9 août 2011


Cour du travail de Bruxelles, 17 février 2011, R.G. n° 2009/AB/52.543

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 17 février 2011, la Cour du travail de Bruxelles se penche sur l’existence de discriminations possibles en cas de résidence hors Union Européenne, eu égard aux hypothèses de levée de la clause de résidence contenue dans la réglementation.

Les faits

Un citoyen d’origine malgache bénéficie depuis le 1er décembre 1999 d’une pension de retraite de l’ordre de 4.370€ annuelle, eu égard à une carrière de 21 ans de travail salarié en Belgique. A ce montant s’ajoute un complément d’environ 2.400€ annuel octroyé au titre de Grapa.

Envisageant de retourner à Madagascar, l’assuré social s’informe auprès de l’ONP sur l’incidence d’un tel déménagement sur sa pension et sa garantie de revenus.

Il se voit fixé, par diverses réponses données au titre d’information, sur sa situation : d’une part la Grapa n’est pas exportable à l’étranger et d’autre part, il n’y a pas de convention de sécurité sociale entre la Belgique et Madagascar, de telle sorte que la pension de retraite ne l’est pas davantage.

Pour des raisons personnelles, celui-ci quitte la Belgique et le paiement des prestations est suspendu (avec récupération d’un léger indu).

Suite à des régularisations intervenant après des contacts entre parties, reste malgré tout en cause la suspension du paiement de la pension de retraite. Un recours est introduit par l’intéressé, qui rappelle le paiement des cotisations intervenues et soulève la question d’une discrimination éventuelle entre étrangers, certains pouvant percevoir leur pension en dehors du pays et d’autres non.

Un recours est introduit devant le tribunal du travail, qui déclare la demande non fondée.

Position de la Cour

L’intéressé a avec la cour divers contacts épistolaires, indiquant ne pas être en mesure de se rendre à l’audience pour des raisons financières et demandant par ailleurs que l’on désigne un avocat pour défendre ses intérêts.

La cour constate que la contestation est limitée au paiement de la pension de retraite (l’intéressé soulignant avoir versé des cotisations en vue de constituer celle-ci et demandant d’ailleurs à titre subsidiaire le remboursement de ces cotisations), aucune discussion ne semblant être élevée quant à la garantie de revenus aux personnes âgées.

La cour circonscrit donc le débat (par défaut) à l’examen des conditions d’exportabilité de la pension de retraite, c’est-à-dire des hypothèses dans lesquelles la réglementation en matière de pension prévoit des exceptions à la condition de résidence sur le territoire belge.

La cour rappelle d’abord les principes contenus dans l’article 27 de l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967, étant que les prestations sont, pour les personnes de nationalité étrangère, soumises à la condition de résider effectivement en Belgique. Des cas d’assimilation sont prévus, étant les réfugiés reconnus et des exceptions sont admises, étant essentiellement les ouvriers mineurs. La disposition confère au Roi le pouvoir d’une part de déterminer ce qu’il faut entendre par résidence effective et d’autre part de décider de catégories de bénéficiaires de nationalité étrangère, ainsi que de cas spécifiques pour lesquels l’obligation de résidence effective en Belgique n’est pas exigée.

La mesure prise en exécution de cette disposition figure dans l’article 65, § 1er de l’arrêté royal du 21 décembre 1967, qui fixe en son § 1er les exceptions comme suit : ressortissants belges, apatrides et réfugiés reconnus au sens de la loi du 15 décembre 1980, bénéficiaires des prestations prévues à l’arrêté royal n° 50, à la loi du 20 juillet 1990 ou à l’arrêté royal du 23 décembre 1996. A cette première catégorie d’exceptions s’ajoute une autre visant certains étrangers privilégiés, étant les bénéficiaires de ces mêmes prestations, et visés à l’article 4, 2° de l’arrêté royal du 6 décembre 1955 relatif au séjour en Belgique.

Le demandeur ayant appelé dans ses écrits à une interprétation évolutive de la réglementation et ayant exposé sa situation personnelle (âge avancé (76 ans), absence totale de revenus professionnels ou familiaux), la cour décide d’office de rouvrir les débats, sur les discriminations qu’une telle situation est susceptible d’engendrer.

La cour se fonde essentiellement sur la Constitution en ses articles 10 et 11 et/ou sur la Convention européenne des droits de l’homme en son article §1er du premier Protocole additionnel et en son article 14.

C’est en effet ce corps de règles qui pourrait permettre de constater l’existence d’une discrimination, et ce notamment eu égard au caractère de droit patrimonial des prestations sociales protégé par l’article 1er du premier Protocole. La cour rappelle ici une très importante jurisprudence de la Cour européenne, dont ses arrêts Gaygusuz, Koua Poirrez, Stec et autres, ainsi que des affaires plus récentes dont Munoz Diaz du 8 décembre 2009, Moskal du 15 septembre 2009, Zeibek du 9 juillet 2009, Andrejeva du 18 février 2009 et Carson du 16 mars 2010, certains de ces arrêts ayant été rendus par la Grande chambre. Elle cite également la doctrine autorisée, étant A. SIMON, « Les prestations sociales non contributives dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », Rev. Trim. D.H., 2006, p. 647.

L’ensemble de ces décisions a été rendu eu égard aux principes contenus dans l’article 1er du premier Protocole additionnel, qui précise que toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens et que nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Pour la Cour européenne, il y a lieu d’appliquer cette disposition dans le respect du principe de non-discrimination déposé à l’article 14 de la Convention, de telle manière que seules des considérations très fortes peuvent être invoquées pour justifier une différence de traitement dans l’octroi de prestations sociales. La cour se pose dès lors la question de savoir en quoi de telles « considérations très fortes » existeraient dans le cas d’espèce, permettant de d’écarter la jurisprudence ci-dessus.

En l’occurrence, le demandeur ayant vu une possibilité de discrimination dans les dispositions rappelées précédemment, la cour relève encore qu’elle est compétente – et non la Cour constitutionnelle – pour se prononcer en l’occurrence sur la conformité de l’article 27 de l’arrêté royal n° 50 avec les articles 10 et 11 de la Constitution, cet arrêté royal ayant été pris sur la base de l’article 1er, 9°, de l’article 3, alinéa 2 et de l’article 4 de la loi du 31 mars 1967 attribuant certains pouvoirs spéciaux au Roi en vue d’assurer la relance économique, l’accélération de la reconversion régionale et la stabilisation de l’équilibre budgétaire, l’arrêté de pouvoirs spéciaux pris dans ce cadre n’ayant en tant que tel pas été approuvé par le législateur et n’ayant pas ultérieurement été modifié par lui.

La cour ordonne dès lors la réouverture des débats en rappelant un autre enseignement de l’arrêt Andrejeva du 18 février 2009 de la Cour européenne, selon lequel la charge de la preuve sur le terrain de l’article 14 de la Convention implique que, lorsque qu’un requérant établit l’existence d’une différence de traitement, il incombe au gouvernement de démontrer que celle-ci était justifiée.

Intérêt de la décision

Il s’agit un arrêt important, où la cour aborde frontalement la question de l’exportabilité de prestations de sécurité sociale à caractère contributif vers des pays hors Union européenne et avec lesquels la Belgique n’a pas conclu de convention internationale.

Traditionnellement, les pensions ne sont pas payées aux bénéficiaires dans une telle situation, les cotisations ayant été prélevées en pure perte.


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