Terralaboris asbl

Les dispositions de la Charte de l’assuré social relatives aux intérêts sont-elles applicables aux héritiers ?

Commentaire de C. trav. Mons, 19 mai 2011, R.G. 2009/AM/21.693 et 21.696

Mis en ligne le mercredi 10 août 2011


Cour du travail de Mons, 19 mai 2011, R.G. n° 2009/AM/21.693 et 21.696

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 19 mai 2011, la Cour du travail de Mons rappelle diverses règles en matière d’intérêts à l’occasion du paiement de prestations sociales effectué à un héritier, suite au décès de l’assuré.

Les faits

Une dame SB introduit deux recours devant le tribunal du travail suite au refus de l’ONP de lui attribuer le revenu garanti aux personnes âgées (1995) et la Grapa (2002).

Suite à son décès, l’instance est reprise par son héritier légal.

Dans le cours de celle-ci, l’ONP revoit sa décision, ayant reconnu à l’intéressée la qualité de travailleur. Un montant de l’ordre de 63.000€ est payé en 2008 au titre d’arriérés en principal.

Dans son jugement, le Tribunal du travail de Charleroi constate que les demandes sont devenues sans objet. Sur la contestation élevée relative aux intérêts, il considère que celle-ci vise l’exécution des nouvelles décisions prises par l’ONP et qu’elles doivent faire l’objet d’une nouvelle action en justice.

Position des parties en appel

La cour du travail est saisie de l’appel de l’héritier, qui concerne essentiellement les intérêts moratoires légaux. Pour les montants dus au titre de revenu garanti aux personnes âgées, il considère que ces intérêts sont dus à dater du dépôt de la requête introductive d’instance (1995) pour les allocations échues à ce moment et à dater de chacune des échéances pour celles échues ultérieurement. Pour la Grapa, il en va de même, les montants étant dus à partir de 2001.

En ce qui concerne le paiement effectué, il demande qu’il soit par priorité imputé sur les intérêts échus et que les intérêts échus sur le solde en capital soient eux-mêmes capitalisés.

L’ONP considère pour sa part que l’article 20 de la Charte de l’assuré social ne s’applique pas aux héritiers de l’assuré social.

Position de la cour du travail

La cour va répondre à trois questions, étant la débition et la prise de cours des intérêts, l’imputation du paiement intervenu en 2008 et la question de la capitalisation des intérêts.

En ce qui concerne la débition et la prise de cours, la cour du travail rappelle que la Charte de l’assuré social – et en l’occurrence son article 20 – est en entrée en vigueur le 1er janvier 1997 et ne peut dès lors s’appliquer aux arriérés de revenu garanti aux personnes âgées, la décision de refus d’octroi datant de 1995. Pour ces prestations, une mise en demeure conforme à l’article 1153 du Code civil était nécessaire pour faire courir les intérêts moratoires.

En ce qui concerne les intérêts judiciaires, ceux-ci ne peuvent courir avant l’exigibilité de sommes dues au principal. Deux conditions sont requises pour leur prise de cours, étant que la dette principale doit être échue et que le créancier doit avoir sommé le débiteur de la payer. La requête introductive d’instance constitue une sommation de payer mais les intérêts dus sur la base de l’article 1153 du Code civil ne peuvent courir qu’à partir du moment où les allocations, comme en l’espèce, sont exigibles. Pour les montants postulés au titre de revenu garanti aux personnes âgées, c’est dès lors la requête introductive d’instance qui est le point de départ pour celles dues avant cette date et, pour celles dues ultérieurement, c’est la date de leur exigibilité.

En ce qui concerne la Grapa, accordée postérieurement à l’entrée en vigueur de la Charte de l’assuré social, la cour rappelle que les prestations portent intérêt de plein droit, en vertu de son article 20 « uniquement pour les bénéficiaires assurés sociaux », à partir de la date de leur exigibilité. La bénéficiaire pouvait dès lors se prévaloir de cet article 20 jusqu’à son décès. Quant à son héritier, la cour considère avec le Ministère Public que, même s’il ne répond pas à la définition d’assuré social, les prestations portent intérêt de plein droit à son profit également, dès lors que le champ d’application de la loi doit être interprété largement (la cour rappelant les travaux préparatoires) ; si en matière de paiement, la mention « uniquement pour les bénéficiaires assurés sociaux » a été prévue, il s’agit d’une modalité de paiement, le législateur ayant voulu éviter le paiement d’intérêts de plein droit lorsqu’il était effectué indirectement par l’intermédiaire d’un organisme de soins de santé. Enfin, l’intéressé est venu aux droits de sa mère, à son décès, en application de l’article 724 du Code civil, qui dispose que les héritiers sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt (sous l’obligation d’acquitter toutes les charges de la succession).

La cour règle, ensuite, brièvement la question de l’imputation du paiement effectué par l’ONP en septembre 2008, en rappelant le dispositif de l’article 1254 du Code civil : le paiement d’une dette qui porte intérêt ou produit des arrérages ne peut être imputé sans le consentement du créancier sur le capital par préférence à ceux-ci. Si le paiement n’est pas intégral, il s’impute d’abord sur les intérêts.

Il en découle, pour la cour, que le paiement intervenu est à imputer sur les intérêts et que le solde du paiement après cette imputation doit ensuite être imputé lui-même sur le capital, dont le solde porte lui-même intérêt jusqu’au parfait paiement.

Enfin, sur la question controversée de la capitalisation des intérêts en sécurité sociale, la cour rappelle le débat tant en doctrine qu’en jurisprudence, confirmant sa propre jurisprudence, qui admet la capitalisation des intérêts (voir notamment C. trav. Mons, 22 juin 2006, RG 19.593, C. trav. Mons, 29 juillet 1999, RG 13.496 et les références citées). La cour s’appuie sur l’arrêt de la Cour de cassation du 16 décembre 2002 (Cass., 16 décembre 2002, Pas. 2002, I, p. 2418). Elle considère, contrairement à la jurisprudence de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 1 avril 2010, RG 36116) qu’elle cite, que le fait que la Charte de l’assuré social prévoie un régime spécifique d’intérêts moratoires n’exclut pas qu’il soit fait application du droit commun pour les questions qu’elle ne règle pas. La cour rappelle avec J.-F. NEVEN (J.-F. NEVEN, « Prestations de sécurité sociale et capitalisation des intérêts », obs. sous C. trav Bruxelles, 16 février 2006, Chron. D.S., 2006, p. 555) qu’il n’a jamais été dans les intentions des auteurs de la Charte de régler toutes les questions posées par l’octroi des prestations de sécurité sociale.

La cour admet dès lors que l’on peut appliquer les règles en matière de capitalisation. Des conclusions ont en effet été déposées valablement en ce sens.

Intérêt de la décision

L’arrêt de la Cour du travail de Mons commenté contient un rappel général des règles en matière d’intérêts sur les prestations de sécurité sociale, ainsi que le rôle de la Charte de l’assuré social dans les règles générales qui gouvernent la matière.


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