Terralaboris asbl

Conditions du plan d’embauche non réunies et réclamation ultérieure des cotisations complètes : conséquences d’une faute de l’ONSS

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 1er juin 2011, R.G. 2006/AB/49.091

Mis en ligne le jeudi 15 septembre 2011


Cour du travail de Bruxelles, 1er juin 2011, R.G. 2006/AB/49.091

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 1er juin 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que pour pouvoir mettre en cause la responsabilité de l’ONSS, qui découvre tardivement que les conditions du plan d’embauche n’étaient pas réunies, il faut que soit établi un lien de causalité entre la faute et le dommage subi.

Les faits

Une société engage un ouvrier bénéficiaire d’une carte d’embauche pour huit trimestres. L’ouvrier reste au service de la société après l’expiration de celle-ci.

L’ONSS établit un avis rectificatif de cotisations pour les deux premiers trimestres du début de l’occupation. Le secrétariat social d’une part conseille à la société d’effectuer le paiement afin de ne pas alourdir sa dette (majorations et intérêts) et d’autre part lui communique la raison de la suppression de la réduction : l’engagement a eu lieu trois jours avant la date de validité de la carte d’embauche.

En fin de compte, citation est lancée contre la société en paiement des cotisations, majorations et intérêts.

S’ensuit une procédure, qui va se complexifier : après un jugement par défaut contre la société, opposition est faite, qui va mettre à la cause le secrétariat social. En outre, l’ONSS va lancer trois nouvelles citations pour les périodes ultérieures.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 28 mars 2006, le Tribunal du travail de Bruxelles a considéré que les cotisations étaient dues. Il a cependant fait partiellement droit à la demande reconventionnelle de la société qui voulait obtenir la condamnation de l’ONSS à des dommages et intérêts correspondant à l’accroissement de la dette vu le défaut d’instruction du dossier dans un délai raisonnable. En outre, le secrétariat social a été condamné à garantir la société de la condamnation au paiement à l’ONSS.

Position des parties en appel

L’ONSS interjette appel et demande essentiellement la réformation du jugement en ce qui concerne sa condamnation au paiement de dommages et intérêts.

La société introduit quant à elle un appel incident et – ayant effectué le paiement du principal entretemps – demande que l’ONSS soit condamné à lui payer les montants correspondants, à augmenter des intérêts au taux légal à dater des paiements effectués.

Quant au secrétariat social, il demande que soit déclarée non fondée sa condamnation à garantir la société.

Décision de la cour du travail

Ces demandes croisées amènent la cour du travail à statuer, d’abord, sur le caractère indu des réductions de cotisations sociales et, ensuite, sur les fautes vantées et leur lien de causalité avec le dommage.

En ce qui concerne les réductions, la cour rappelle que des exonérations temporaires des cotisations patronales ont été prévues par une loi-programme du 30 décembre 1988, exonérations (et réductions) remplacées par un nouveau dispositif législatif contenu dans la loi du 21 décembre 1994. Les catégories de demandeurs d’emploi pouvant faire bénéficier l’employeur de ces cotisations ont été déterminées par arrêté royal et le critère de référence était la condition relative à la durée du chômage. En l’occurrence, ces conditions n’ont été remplies qu’après l’engagement. Il en résulte, pour la cour, que les cotisations complètes sont dues.

Cependant, l’ONSS a commis une faute, dans la mesure où il a tardé à se rendre compte que la société n’avait pas droit à ladite réduction de cotisations. La cour renvoie à sa propre jurisprudence (C. trav. Bruxelles, 24 févr. 2010, RG 2008/AB/51568), qui avait considéré tardif un contrôle intervenu quatre ans après l’envoi d’une première déclaration trimestrielle. La cour précise que le fait que l’ONSS agit dans le respect du délai de prescription ne signifie pas qu’il a respecté l’ensemble des obligations générales de prudence et le principe de bonne administration qui s’imposent à lui : le principe du délai raisonnable est une application du principe qui impose à l’administration de ne pas prendre une décision qui défie la raison. La cour rappelle encore un arrêt précédent (C. trav. Bruxelles, 14 déc. 2008, RG 2005/AB/1485), qui a jugé qu’en l’absence de délai réglementaire prescrit l’autorité doit statuer dans un délai raisonnable et que la durée de ce délai doit être appréciée sur la base de la complexité de l’affaire, des recherches nécessaires et de l’urgence.

En l’espèce, il a fallu, comme le relève la cour, plus de trois ans à l’ONSS pour constater que le travailleur ne répondait pas aux conditions requises. Il s’agissait, en réalité, d’une vérification simple à opérer. Pour la cour, l’on pouvait s’attendre à ce que cette anomalie soit détectée pour la fin de l’année en cours au plus tard. Il y a dès lors, à partir du 1er janvier de l’année suivante, faute.

Plus complexe est la question du lien de causalité et de la détermination du dommage. Celui-ci est identifiable dans sa consistance puisqu’il correspond à la partie des cotisations dont la société comptait faire l’économie mais le lien de causalité entre le dommage lui-même et le dépassement du délai raisonnable est beaucoup plus incertain.

La cour rappelle d’abord que le lien de causalité est établi, lorsque, sans la faute, le dommage n’eut pu se produire tel qu’il s’est réalisé. La cour reprend ici la jurisprudence constante de la Cour de cassation (dont Cass., 12 oct. 2005, RG P.05.0262.F). Elle retient qu’il faut s’interroger sur ce qui se serait produit si le fait générateur n’avait pas existé. C’est le critère de la condition sine qua non. En l’occurrence, le dommage trouve sa source dans la loi et non dans la faute de l’ONSS et d’autres éléments du cas d’espèce confirment, pour la cour, l’absence de lien de causalité : impossibilité de régulariser la situation même si le contrôle de l’ONSS était intervenu plus rapidement, maintien du travailleur au service de la société après la date d’expiration de la carte d’embauche, absence de preuve de ce que la société aurait pu pratiquer une politique de prix différente si elle avait été régulièrement informée.

La cour considère en conclusions que vu l’absence de lien de causalité la responsabilité de l’ONSS ne peut être mise en cause.

Reste encore la faute du secrétariat social, faute qui consisterait dans une information incorrecte.

La cour rappelle la nature des relations entre l’employeur et le secrétariat social ainsi que la mission légale de ce dernier, telle que fixée dans la loi du 27 juin 1969 (art. 27), qui permet aux secrétariats sociaux d’intervenir en principe uniquement pour les formalités prévues par ou en vertu de la loi. Des précisions sont encore apportées dans l’arrêté royal d’exécution du 28 novembre 1969 (art. 44), sur la base duquel il est admis que, si le secrétariat social peut être chargé de missions complémentaires dépassant la seule exécution de celles prévues par la loi du 27 juin 1969, ces missions doivent concerner « les formalités légales et réglementaires » auxquelles les employeurs sont tenus. Il faut, dès lors, se référer à la convention d’affiliation afin d’appréhender de manière concrète la portée des engagements pris par le secrétariat social. C’est une question de responsabilité contractuelle, la cour rappelant ici la doctrine autorisée (CAPART R., « La responsabilité civile et pénale du secrétariat social », Sécurité sociale des travailleurs salariés, assujettissement, cotisations, sanctions, Larcier, 2010, p. 569).

En l’espèce, dans la mesure où il n’est pas démontré que la société a pris conseil auprès du secrétariat social avant d’engager l’ouvrier, le secrétariat social n’est pas intervenu et n’aurait d’ailleurs matériellement pas pu le faire, puisque la carte d’embauche n’a été disponible qu’ultérieurement. La cour relève qu’il n’est par ailleurs pas démontré que cette carte d’embauche a été mise en possession du secrétariat social. La cour considère dès lors que la faute n’est pas établie et, à supposer qu’elle le soit, elle constate également que se poserait le même problème par rapport au lien de causalité, sur lequel elle a déjà livré ses conclusions ci-dessus.

En conséquence, la cour accueille également l’appel du secrétariat social.

Intérêt de la décision

Cette décision de la Cour du travail de Bruxelles a le mérite d’attirer l’attention des employeurs sur le maintien des obligations patronales en matière de renseignements à fournir à l’ONSS, même si la société a recours à un secrétariat social. Seule la responsabilité contractuelle de ce dernier peut être mise en cause. Par ailleurs, en ce qui concerne la faute de l’ONSS – reconnue en l’espèce vu le dépassement du délai raisonnable –, elle ouvre le débat du lien de causalité avec le dommage subi. Il est intéressant en l’espèce de noter que, même si la faute est dûment établie, la cour du travail aboutit à la conclusion que, sans cette faute, le dommage se serait de toute façon réalisé tel qu’il s’est produit, c’est-à-dire que les cotisations pleines auraient dû être payées. Ceci suffit à infirmer l’existence d’un lien de causalité suffisant.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be