Terralaboris asbl

Détermination du préavis convenable et manquements allégués du travailleur.

Commentaire de C. trav. Mons, 2 mai 2011, R.G. 2010/AM/127

Mis en ligne le jeudi 15 septembre 2011


Cour du travail de Mons, 2 mai 2011, R.G. 2010/AM/127

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 2 mai 2011, la Cour du travail de Mons rappelle que les prétendus manquements invoqués dans le chef du travailleur sont sans incidence sur la détermination du préavis convenable. Elle a également l’occasion de préciser que la citation originaire n’a pas d’effet interruptif sur une demande reconventionnelle qu’introduirait l’employeur.

Les faits

Un employé gérant de magasin, engagé en 1998, est licencié fin 2006. L’indemnité compensatoire de préavis est fixée à six mois.

L’intéressé demande un complément de quatre mois, estimant pouvoir revendiquer une indemnité globale de 10 mois de rémunération.

La procédure

Citation est lancée devant le tribunal du travail. Dans le cadre de la procédure, l’employeur introduit une demande reconventionnelle relative à un préjudice matériel.

Le tribunal du travail fait partiellement droit à la demande de complément d’indemnité, se référant aux critères habituels d’appréciation, tout en relevant que c’est le comportement de l’intéressé dans la gestion de la succursale dont il était gérant qui avait été à l’origine de la mesure de licenciement.

Le tribunal considère également que la demande de l’employeur en vue d’obtenir le remboursement d’un montant de l’ordre de 11.000€ correspondant au produit des ventes non rétrocédé n’est pas prescrite - son fondement étant délictuel - mais est non fondée, faute pour la société d’établir la justesse de sa réclamation.

Position des parties en appel

La société, appelante, conteste devoir un complément d’indemnité au motif que dans l’appréciation des critères habituels, le juge ne peut se limiter à prendre en compte les seuls éléments objectifs de l’espèce mais doit également tenir compte des éléments propres à la cause et des intérêts des deux parties. Elle reprend ses explications selon lesquelles il y a eu manquement dans le chef du gérant et qu’elle aurait pu invoquer un motif grave, ce qu’elle n’a pas fait, vu l’exigence – non rencontrée – du délai de trois jours entre la connaissance des faits et le licenciement.

Pour la société, il faut prendre en compte les intérêts respectifs des parties et également le comportement du travailleur en lui-même en tant que critère d’appréciation du préavis convenable.

Sur sa demande reconventionnelle, la société maintient que celle-ci a un fondement délictuel et elle dépose une série de pièces aux fins de l’étayer. Elle ajoute un rapport de reviseur d’entreprise, dont il ressort qu’il y aurait un faisceau de présomptions précises et concordantes permettant d’établir le bien-fondé de sa demande.

Quant à l’employé, il postule un complément de quatre mois au lieu de deux et considère que la demande de la société est prescrite. Il conteste également les accusations lancées à son encontre (détournement de fonds…).

Position de la cour du travail

En ce qui concerne l’évaluation du préavis convenable, la cour du travail reprend la jurisprudence constante de la Cour de cassation, dans toute une série d’arrêts, confirmant les critères à prendre en compte, étant les chances de l’employé, au moment de la notification du congé, de retrouver un emploi équivalent compte tenu de l’importance de sa fonction et du montant de sa rémunération, et ce eu égard aux circonstances propres à la cause. Dans sa jurisprudence, la Cour de cassation a également entendu préciser que les manquements éventuels du travailleur ne pouvaient avoir d’incidence sur la durée du préavis convenable, seules devant être examinées les circonstances existant au moment de la rupture, dans la mesure où celles-ci influencent la chance pour l’employé de retrouver un emploi équivalent. La Cour a également précisé que les critères à prendre en compte sont l’âge, l’ancienneté, la fonction et la rémunération, c’est-à-dire uniquement les éléments qui influencent le reclassement théorique et ce à l’exclusion de facteurs survenant après le congé. C’est ainsi que, par exemple, le réengagement de l’employé est sans incidence. Par ailleurs, d’autres considérations d’équité sont également exclues et la cour du travail en conclut qu’elle n’est pas tenue d’examiner si d’éventuels manquements (tels les détournements de fonds) sont établis, dès lors qu’en tout état de cause, même avérés, ils ne pourraient avoir la moindre influence sur la détermination du délai de préavis.

Sur sa méthode d’évaluation, la cour considère que les formules de calcul ne sont qu’indicatives mais qu’elles présentent l’avantage d’harmoniser la jurisprudence et d’éviter l’arbitraire. La cour va, ainsi, procéder à sa propre évaluation et estimer que le complément doit être de quatre mois, l’indemnité globale étant ainsi de dix mois. En ce qui concerne la demande reconventionnelle, la cour du travail ne suit pas la position du premier juge. Considérant que la prescription est interrompue, conformément à l’article 2244 du Code civil par la citation en justice, elle rappelle que l’introduction de la demande principale n’interrompt pas la prescription de la demande reconventionnelle mais que c’est le dépôt des conclusions contenant celle-ci qui a cet effet. Dès lors que la cause, l’objet et la qualité des parties sont différents pour chaque action, l’interruption de la prescription d’une des actions est en principe sont influence sur l’autre et que la demande reconventionnelle de l’employeur ne peut porter sur un élément qui serait virtuellement compris dans la citation introductive du travailleur. La demande originaire est en effet déterminée par son objet et sa cause, à savoir en l’occurrence les faits juridiques et les actes juridiques sur lesquels elle est fondée. Il s’agit ici d’un seul élément, à savoir l’indemnité complémentaire de préavis. Quant à la demande reconventionnelle elle porte sur un préjudice matériel relatif à un produit de ventes qui n’aurait pas été rétrocédé et il s’agit manifestement, pour la cour, d’actes et de faits juridiques distincts. Les deux demandes sont par conséquent distinctes, la demande reconventionnelle ne pouvant être considérée comme constituant un simple moyen de défense contre la demande principale.

Il y a dès lors prescription de celle-ci et la cour rappelle ici l’arrêt du 12 janvier 2010 de la Cour de cassation (Cass., 12 janv. 2010, R.G.D.C., 2010, p. 402) et la doctrine (M. DUPONT, « L’interruption de la prescription et les demandes virtuellement comprises dans la citation », note sous Cass. 12 janvier 2010 cité).

Quant au fondement de la demande reconventionnelle, la cour rejette qu’il puisse être délictuel, dans la mesure où celle-ci se fonde au contraire sur l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978, étant l’obligation pour le travailleur de réparer le dommage causé, et ce dans les limites admises par cette loi.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Mons rappelle la jurisprudence constante de la Cour de cassation en ce qui concerne les manquements allégués du travailleur eu égard aux critères de fixation du préavis convenable, question récurrente. Par ailleurs, il est également très clair en ce qui concerne la règle de prescription d’une action reconventionnelle qui ne constitue pas une simple défense à l’action originaire.


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