Terralaboris asbl

Illégalité d’un arrêté royal modifiant les règles d’agrément d’un hôpital : conséquences ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 1er juin 2011, R.G. 2003/AB/43.914

Mis en ligne le lundi 26 septembre 2011


Cour du travail de Bruxelles, 1er juin 2011, R.G. n° 2003/AB/43.914

TERRA LABORIS ASBL

Un établissement hospitalier bénéficie d’un agrément pour différents services, dont un service de néonatologie, jusqu’au 31 décembre 1987.

La réglementation est alors modifiée à la date du 1er janvier 1988, suite à l’entrée en vigueur d’un arrêté royal du 15 août 1987. Suite à diverses tractations, l’agrément des services hospitaliers est prolongé « provisoirement », mais celui du service de néonatologie est retiré à la date du 1er janvier 1989. Un recours est introduit auprès de la Commission d’appel des Hôpitaux et une nouvelle demande d’agrément est formée à titre conservatoire.

En 1994, les diverses Unions nationales de mutualités sont assignées par l’hôpital en paiement des remboursements dus pour les prestations effectuées en faveur des patients hospitalisés dans ce service.

La Commission communautaire commune de Bruxelles-Capitale accordera, ultérieurement, un agrément, mais à partir du 1er janvier 1997 seulement.

Décision du Tribunal du travail

Dans un jugement du 17 janvier 2003, le Tribunal du travail de Bruxelles constate que l’hôpital ne peut prétendre aux interventions de la part des organismes assureurs, faute d’agrément. La question des décomptes (ainsi que des demandes reconventionnelles des Unions nationales et de la Caisse auxiliaire) est renvoyée au rôle.

Position des parties devant la Cour du travail

L’hôpital soutient, à titre principal, essentiellement l’illégalité de l’arrêté royal du 15 août 1987, en raison de l’absence de consultation du Conseil d’Etat, du Conseil national des à‰tablissements hospitaliers, d’accord du Ministre du Budget, ainsi que d’avis de l’Inspection des Finances.

En ce qui concerne les parties intimées, elles se bornent à faire valoir que le service ne répondait pas aux normes d’agréation. Elles contestent l’illégalité de l’arrêté royal et soulèvent également un argument de prescription.

Décision de la Cour du travail

Suite à l’appel principal interjeté par l’hôpital ainsi que l’appel incident formé par les Unions nationales de mutualités et la Caisse auxiliaire, la cour se voit saisie de l’ensemble de la discussion.

Se référant à l’article 3 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat du 12 janvier 1973, la Cour du travail reprend la jurisprudence constante de la Cour de cassation, qui fait obligation aux cours et tribunaux de vérifier, en vertu de l’article 159 de la Constitution, la légalité des arrêtés qu’ils appliquent. Le juge est juge de l’excès, voire du détournement de pouvoir en cas de méconnaissance de la notion légale de l’urgence, qui dispense de la consultation de la section de législation du Conseil d’Etat. La cour rappelle particulièrement que la sanction du non-respect de cette formalité substantielle est l’illégalité de l’arrêté (Cass., 9 sept. 2002, J.T.T., 2002, p. 437).

La cour retient que la notion légale d’urgence a été méconnue en l’espèce, vu qu’il n’existait aucune circonstance particulière rendant urgente l’adoption des mesures en cause au point de ne pas pouvoir consulter le Conseil d’Etat, même dans un délai de 3 jours.

Examinant ensuite les conséquences de ce constat d’illégalité, la Cour retient qu’il n’a pas pour conséquence automatique de restituer à l’hôpital un agrément qui aurait été retiré. Il y a lieu d’appliquer la disposition antérieurement en vigueur (la cour rappelant ici l’arrêt de la Cour de cassation du 14 février 2005, S.040147.F). L’arrêt poursuit dès lors en réexaminant le respect de la procédure d’agréation sur la base de la décision ministérielle antérieure prise, conformément à un arrêté royal du 10 octobre 1974. Il en ressort que l’hôpital continuait à répondre aux conditions pour la prolongation de l’agrément jusqu’au 31 décembre 1987.

Examinant ensuite l’arrêté royal en cause, la cour constate qu’il prévoyait une procédure en cas de prolongation temporaire, étant la prolongation « provisoire » jusqu’à la décision du Ministre une fois qu’il était satisfait aux conditions requises. La cour en déduit que, sur la base de la réglementation antérieure à l’arrêté royal du 15 août 1987, il faut considérer que l’agrément avait été prolongé au-delà du 1er janvier 1988.

La cour constate encore que la décision de la Commission communautaire commune, qui avait retiré l’agrément à dater du 1er janvier 1989, se fondait sur l’arrêté royal du 15 août 1987 – illégal – et qu’il en va de même d’autres décisions administratives. Se pose, cependant, par rapport à celles-ci, la question de la validité des décisions prises par la Commission de recours (loi sur les hôpitaux coordonnée le 7 août 1987 – article 76), Commission dont le caractère de juridiction administrative est contesté.

La cour relève en effet à cet égard qu’à la différence d’un acte administratif (susceptible d’être écarté à tout moment sur la base de l’article 159 de la Constitution), une décision d’une juridiction administrative subsiste tant qu’elle n’est pas réformée par une éventuelle instance de recours. Pour la cour, la question de savoir si l’article 76 de la loi coordonnée sur les hôpitaux est conforme à l’article 146 de la Constitution (selon lequel nul tribunal, nulle juridiction contentieuse ne peut être établi qu’en vertu d’une loi) devrait être tranchée par la Cour constitutionnelle. Elle relève cependant que la réponse à cette question n’est pas indispensable à la solution du litige. A supposer même que la Commission de recours ait le statut de juridiction administrative, les décisions prises n’auraient pas nécessairement une autorité faisant obstacle à ce que le juge constate la prolongation de l’agrément. Pour la Cour de cassation, en effet, l’autorité de chose jugée ne s’attache qu’à ce que le juge a décidé sur un point litigieux et à ce qui constitue – fût-ce implicitement – le fondement nécessaire de sa décision (la cour se réfère notamment à Cass., 27 février 1995, Pas., 1995, p. 229). La cour reprend à cet égard les éléments du dossier, dont elle déduit que la conclusion de la Commission, selon laquelle il n’aurait pas été possible de prolonger l’agrément, est une affirmation dénuée de toute autorité de chose jugée.

En conclusion, la cour conclut tout normalement à ce que l’institution hospitalière peut prétendre à charge des organismes assureurs aux remboursements dus pour les patients hospitalisés dans le service en cause.

Une réouverture des débats est ordonnée sur la question des montants.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la cour du travail de Bruxelles revient sur une question régulièrement débattue en sécurité sociale, étant l’illégalité d’un arrêté royal en raison de l’absence de consultation du Conseil d’Etat. La cour y précise qu’il faut donc examiner la situation juridique conformément à la réglementation antérieure.

Dans le cas d’espèce, la réglementation précédente, étant l’arrêté royal du 10 octobre 1974, a permis une prolongation de plein droit de l’agrément acquis, et ce jusqu’à ce qu’il soit de nouveau accordé, à la date du 1er janvier 1997.

L’intérêt financier pour l’établissement hospitalier n’échappera pas.


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