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Agression verbale et accident du travail

Commentaire de C. trav. Liège, 20 juin 2011, R.G. 2010/AL/305

Mis en ligne le lundi 3 octobre 2011


Cour du travail de Liège, 20 juin 2011, R.G. 2010/AL/305

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 20 juin 2011, la Cour du travail de Liège rappelle, dans le cas d’un agent de police, que, si une lésion psychique est constatée après une agression verbale, il peut y avoir accident du travail même si la relation causale entre les deux n’est que partielle ou même indirecte.

Les faits

Une femme agent de police avait fait l’objet de menaces de mort répétées, celles-ci étant proférées par un individu qu’elle interpellait avec un collègue. Une dizaine de jours plus tard, elle fut hospitalisée en unité psychiatrique, le certificat médical délivré attestant d’un lien de temporalité très nette entre lesdites menaces et la décompensation anxio-dépressive faite par l’intéressée, ayant conduit à son hospitalisation.

Une déclaration d’accident du travail fut ensuite rédigée, la lésion constatée y étant précisée comme étant un état de stress post-traumatique.

La Zone de police, qui faisait gérer le dossier par son assureur, s’aligna sur la décision de refus d’intervention de ce dernier, notifiée un mois après l’établissement de la déclaration d’accident. Le motif résidait essentiellement dans l’absence d’agression physique, ainsi que dans le fait que l’agresseur serait connu des services de police pour coups et blessures mais non pour homicide. Le refus relevait également le délai de dix jours entre les faits survenus et la première consultation médicale.

Décision du tribunal du travail

Le Tribunal du travail de Huy déclara l’action recevable et fondée et désigna un expert.

La Zone de police interjeta appel devant la cour du travail de Liège.

Décision de la cour du travail

Dans sa décision, la cour commença par examiner la lésion. Elle reprit la définition classique de celle-ci, étant qu’il peut s’agir d’une perturbation physique, une atteinte à l’intégrité corporelle du travailleur, celle-ci étant prise dans son acception la plus large et peut inclure les dégâts causés à l’équilibre nerveux.

La loi vise dès lors aussi bien une affection physique que mentale.

Constatant qu’il était fait état de troubles anxio-dépressifs et d’un état de stress post-traumatique (ainsi que d’une « grosse dépression »), la cour considéra qu’elle se trouvait effectivement en présence d’une lésion au sens légal.

Examinant ensuite, sur le plan du droit, la notion d’événement soudain, la cour rappela le principe constant selon lequel celui-ci ne doit pas se distinguer de l’exercice des fonctions et qu’il peut consister en une action soudaine d’un agent extérieur, ainsi dans une agression verbale, pour autant qu’elle ait pu causer – au moins partiellement – la lésion.

Constatant qu’étaient dûment établies les menaces de mort, proférées par un individu dangereux, la cour conclut que les conditions légales étaient réunies.

Elle dut cependant répondre à une argumentation soulevée par la Zone de la police selon laquelle il ne s’agirait que d’un événement banal et insignifiant, l’employeur tentant de faire valoir qu’à défaut d’agression verbale « caractérisée », les faits n’auraient pas l’intensité suffisante pour être constitutifs d’un événement soudain. La cour y précisa ne pas voir de distinction entre une « agression caractérisée » et une « agression non caractérisée » et conclut que la seule constatation de l’existence de menaces verbales de mort dont il apparaissait qu’elles avaient pu provoquer même en partie la lésion ne permettait certes pas de conclure à l’existence d’un événement banal ou insignifiant. La présomption légale n’était, pour la cour, nullement renversée.

La cour poursuivit qu’existent dans la législation deux présomptions de causalité, celle selon laquelle la lésion trouve son origine dans l’événement soudain et que l’accident (une fois établi) est présumé survenu par le fait de l’exercice des fonctions.

A cet égard, la cour rejeta les objections de l’employeur en ce qui concerne le délai entre l’accident et l’hospitalisation (et encore la déclaration d’accident elle-même – survenue un mois après l’hospitalisation). La seule chose qui compte, ainsi que le rappela la cour, est le lien de causalité, la relation causale pouvant être partielle ou même indirecte et pouvant, par exemple, être associée à un état pathologique antérieur de la victime - même important.

La cour précisa encore que dans le cadre du renversement des présomptions, l’on pouvait se satisfaire d’une preuve apportée avec le plus haut degré de vraisemblance que permet l’état d’avancement des connaissances médicales. Il s’agit d’emporter, dans le cadre du renversement de la présomption, la conviction du juge, mais sans que ne soit exigée une certitude absolue, celle-ci étant quelquefois impossible dans le domaine de la médecine.

Appliquant ces principes au cas d’espèce, la cour conclut très logiquement que les pièces médicales permettaient de confirmer la relation causale présumée légalement et ajouta que l’employeur public garde la possibilité, notamment dans le cadre de l’expertise, de renverser la présomption. La cour précisa cependant qu’en cas de doute sur le renversement effectif, celui-ci devait profiter à la victime, telle étant la fonction d’une présomption légale.

La cour conclut à ce stade de son analyse, qu’elle devait malgré tout réformer la mission d’expertise telle que contenue dans le jugement, étant qu’elle demanda à l’expert de dire s’il était établi avec le plus haut degré de vraisemblance que permettait l’état d’avancement des connaissances médicales qu’il n’existait aucune relation causale même partielle ou indirecte entre l’événement et les lésions et, dans la négative, de donner un avis sur les séquelles, ainsi qu’il est généralement retenu dans les missions d’expertise.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Liège, sans doute rendu dans ce qui peut apparaître comme une espèce sans grande particularité, confirme - enseignement bien utile dans les hypothèses où un travailleur peut être mêlé, professionnellement, à un contexte de conflit ou de violence - que, si une lésion psychique est dûment avérée et que le travailleur l’impute à une agression verbale, celle-ci peut en elle-même, même associée à d’autres événements touchant le travailleur, donner lieu à un accident du travail. La cour rappelle par ailleurs sa jurisprudence constante, étant que l’on ne peut qualifier de banal ou d’insignifiant un événement ayant pu engendrer une lésion.


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