Terralaboris asbl

Convention collective d’entreprise avec clause de garantie d’emploi : sanction du non-respect des engagements pris

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 8 juin 2011, R.G. 2010/AB/357

Mis en ligne le jeudi 13 octobre 2011


Cour du travail de Bruxelles, 8 juin 2011, R.G. n° 2010/AB/357

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 8 juin 2011, la Cour du travail de Bruxelles examine les effets d’une convention collective d’entreprise prévoyant une procédure de garantie d’emploi dans le cadre de la fusion de sociétés.

Les faits

Dans le cadre d’une fusion de sociétés d’édition de journaux, intervient une importante restructuration, entraînant un licenciement collectif. Des conventions collectives d’entreprise sont alors signées pour les diverses catégories de personnel (employés licenciés - employés non prépensionnés et licenciés) ainsi qu’une autre convention relative à la garantie d’emploi.

Intervient ultérieurement une nouvelle fusion entraînant un transfert conventionnel d’entreprise avec reprise du personnel. Des dispositions en vue de l’harmonisation des conditions de travail sont ensuite arrêtées, par nouvelle convention d’entreprise venant remplacer la convention précédente.

La société licencie alors divers travailleurs, dont des représentants du personnel. Ceux-ci demandent le bénéfice des clauses contenues dans les deux conventions d’entreprise, étant celle relative à la garantie d’emploi et la convention ultérieure harmonisant les conditions de travail.

Décision de la cour du travail

La cour du travail est saisie de plusieurs questions juridiques importantes.

La première concerne la possibilité pour le personnel de bénéficier des mesures contenues dans les deux conventions collectives. La cour est ainsi amenée à dire si la première convention collective pouvait être remplacée par la seconde étant entendu que, si la première contenait des dispositions normatives individuelles, intégrées au contrat de travail en vertu de l’article 23 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires, les signataires de la convention collective ont fait usage de la possibilité que leur offrait la loi de limiter dans le temps l’intégration des dispositions aux contrats de travail individuels. La cour considère que les mesures dont les travailleurs pouvaient bénéficier en vertu de la première convention ont, du fait même des termes de la convention elle-même, disparu au moment où elle a cessé de produire ses effets. La cour constate que la seconde convention collective a remplacé la première, contenant des dispositions en matière de garantie d’emploi et que dès lors celle-ci a cessé de produire ses effets à la date où la seconde a été d’application.

La cour répond, cependant, à l’argumentation soulevée relative à la nature de la convention collective étant entendu que pour le personnel, en vertu de l’article 5 de la loi du 5 décembre 1968, une convention collective ne peut prendre fin que par les modes de cessation qui y sont énoncés, c’est-à-dire soit l’expiration de la durée (si celle-ci a été déterminée) ou la dénonciation unilatérale. Pour la cour, un autre mode de cessation existe, étant qu’une convention collective peut valablement être remplacée en tout ou en partie par une autre convention, postérieure, qu’elle soit du même niveau ou d’un niveau supérieur, avec le même objet. La convention remplacée cesse de produire ses effets à la date d’entrée en vigueur de la nouvelle. Pour la cour, le remplacement implique par lui-même la cessation des effets de la convention collective remplacée.

Elle analyse, dès lors, l’intention des parties contractantes et conclut qu’elles ont effectivement visé à remplacer la première convention et que, même si les règles convenues en matière de stabilité d’emploi diffèrent de l’une à l’autre, elles concernent le même objet.

La cour va ensuite examiner le respect de la convention collective n° 32bis et estime que, malgré les licenciements intervenus, celle-ci a été respectée. En effet, l’interdiction de licencier ne fait pas obstacle à des licenciements pouvant intervenir pour des raisons économiques, techniques ou d’organisation impliquant des changements sur le plan de l’emploi. Or, tel est bien le cas en l’espèce. Les licenciements étaient dès lors autorisés sur la base de ce texte.

Les travailleurs ayant, cependant, également fait valoir que les mesures et procédures prévues par la seconde convention n’ont pas été respectées, la cour examine alors les dispositions en cause. Celles-ci prévoient l’obligation de discuter préalablement avec les représentants du personnel, de rechercher des alternatives pour éviter des licenciements, de faire des propositions concrètes et d’accorder des priorités en cas de réembauche.

La cour constate que rien de ceci n’a été respecté et qu’il y a dès lors violation des engagements pris dans la seconde convention. Celle-ci est constitutive d’une faute, les engagements de ce type, contenus dans une convention collective, étant susceptibles de conférer des droits individuels aux travailleurs. La cour rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 10 novembre 2003 (Cass., 10 novembre 2003, J.T.T., 2004, p. 95 et conclusions du Premier avocat général Leclercq avec obs. de D. DE ROY, « La nature juridique des clauses de stabilité d’emploi insérées dans les conventions collectives de travail »).

La faute entraîne un préjudice, qui doit être évalué. Il s’agit de la perte d’une chance de conserver son emploi, dans la mesure où les dispositions en cause prévoyaient expressément des mesures concrètes en vue de tenter d’éviter le licenciement : recherche concertée d’alternatives, mutation à une autre fonction et priorité par rapport aux embauches externes.

Il y a dès lors lieu d’évaluer l’importance du préjudice eu égard aux principes actuellement admis en matière d’indemnisation de la perte d’une chance. La cour renvoie ici à divers arrêts de la Cour de cassation, dont celui du 15 mars 2010 (Cass., 15 mars 2010, R.G. C.09.0433.N).

Intérêt de la décision

L’enseignement de cet arrêt est double, puisque d’une part il se penche sur les modes de cessation des conventions collectives et que d’autre part il aborde la sanction du non-respect d’un engagement contenu dans un tel texte. Il condamne la société à 1 euro provisionnel sur un montant devant être déterminé ultérieurement. L’évaluation que la cour retiendra est attendue, s’agissant de la perte d’un emploi qui aurait pu être évitée si les engagements pris avaient été respectés. La société a en effet réembauché pour de nombreux postes auxquels le personnel licencié aurait pu prétendre.


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