Terralaboris asbl

Inertie procédurale et intérêt de retard

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 23 mars 2011, R.G. 2005/AB/46.833

Mis en ligne le lundi 17 octobre 2011


Cour du travail de Bruxelles, 23 mars 2011, R.G. n° 2005/AB/46.833

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 23 mars 2011, la cour du travail de Bruxelles rappelle, sur la base de l’article 6, § 1er de la Convention européenne des droits de l’homme, que le délai raisonnable s’applique aux contestations en matière de sécurité sociale.

Les faits

L’ONEm prend le 31 octobre 1996 une décision relative à une réduction du taux d’allocations auxquelles a droit une assurée sociale : étant cohabitante, elle ne peut bénéficier du code travailleur avec charge de famille et l’indu doit être remboursé.

Une procédure est introduite devant le tribunal du travail.

Décision du tribunal du travail

Le tribunal statue par jugement du 14 janvier 2000 et déclare le recours recevable et fondé.

Décisions de la cour du travail

La cour du travail rend un premier arrêt le 8 septembre 2010, faisant droit à l’appel interjeté par l’ONEm. Elle retient en effet l’existence de déclarations inexactes quant à la situation familiale et les considère constitutives de fraude. Elle rétablit dans cet arrêt la décision administrative sauf sur une sanction d’exclusion, qu’elle réduit.

Dans l’arrêt du 23 mars 2011, la cour examine le décompte des allocations à rembourser ainsi que les intérêts de retard.

C’est sur la question de ceux-ci que cet arrêt présente un intérêt particulier puisque l’ONEm en demande le paiement à partir du 30 décembre 1996, soit depuis près de 15 ans.

L’assurée sociale conteste ceux-ci, demandant à la cour de retenir que les errements de la procédure ne lui sont pas imputables.

La cour reprend, ainsi, sur cette question une jurisprudence de plus en plus fréquemment rencontrée.

Elle commence par rappeler que l’article 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, en vertu duquel toute personne a le droit que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable, est applicable aux contestations en matière de sécurité sociale.

En vertu d’une jurisprudence constante de la C.E.D.H. rentre en effet dans le champ d’application de la convention toute contestation relative à l’obligation de verser des cotisations de sécurité sociale ou aux prestations sociales elles-mêmes.

Sur le délai raisonnable, la cour du travail rappelle l’arrêt POELMANS (C.E.D.H., 3 février 2009, arrêt POELMANS, n° req 44807/06), rendu en matière de recouvrement de cotisations sociales dues par un indépendant (affaire belge). Ce litige avait duré 22 ans. La Cour de Strasbourg a considéré qu’il y avait dépassement du délai raisonnable, et ce même si le requérant lui-même avait sollicité plusieurs reports de l’affaire.

En l’espèce, la cour relève qu’au moment où elle statue la procédure dure depuis plus de 14 ans et que le délai raisonnable a été largement dépassé. En ce qui concerne l’attitude de l’assurée sociale, elle rappelle qu’un défendeur peut dans le cadre de l’organisation de sa défense s’abstenir d’initiatives en vue de faire avancer la procédure. Ceci n’est dans sa position pas anormal, dans la mesure où il peut espérer que l’affaire se prescrive, en l’absence de demande de titre de la part du demandeur. C’est à celui-ci de faire preuve de diligence, dans la mesure où il poursuit le recouvrement de prestations sociales.

En l’espèce, la cour va considérer que le dépassement du délai raisonnable est imputable à l’ONEm exclusivement. Il est exact, comme la cour le relève, qu’il y a eu une procédure pénale (résultant d’une initiative de l’ONEm) mais, au cours de celle-ci, l’Office n’a pas comparu, ce qui a considérablement ralenti la procédure. En outre, si le jugement du tribunal du travail est intervenu peu après la fin de l’instance pénale, l’ONEm s’est désintéressé, comme le constate la cour, de l’appel qu’il a introduit, pendant 5 ans d’abord et 3 ans ensuite, déposant des conclusions juste avant l’échéance du délai de prescription. Il n’a, ultérieurement, pris aucune initiative et c’est une requête déposée par l’intéressée en vue d’obtenir un calendrier judiciaire qui a permis à la cour de juger.

Pour celle-ci il y a donc abus de droit dans le fait de réclamer des intérêts correspondant à des périodes pour lesquelles l’Office a contribué par son inertie au dépassement du délai raisonnable.

En ce qui concerne le dommage résultant de cet abus, il doit être réparé et la réparation admissible est la suspension du cours des intérêts. La suspension est dès lors acquise jusqu’au jour où l’intéressée a introduit une demande de fixation.

Intérêt de la décision

Cette décision est particulièrement sévère vis-à-vis de l’institution de sécurité sociale, puisqu’elle prononce la suspension de la totalité des intérêts de retard, réclamés par l’ONEm.

La cour fixe le mode de réparation du préjudice subi à partir de la constatation d’une infraction à l’article 6 de la C.E.D.H. en se plaçant sur le plan du dommage entraîné par ce dépassement eu égard à l’accumulation des intérêts.

Dans d’autres arrêts, elle a précisé la distinction à faire entre le montant en principal et les intérêts (voir notamment C. trav. Bruxelles, 23 mars 2011, RG 2010/AB/118 et C. trav. Bruxelles, 12 janvier 2011, RG 1999/AB/38962 et jurisprudence de la Cour de cassation citée – décisions disponibles sur www.terralaboris.be ).


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