ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
16 mai 2006 (*)
«Sécurité
sociale – Système national de santé financé par l’État – Frais médicaux
engagés dans un autre État membre – Articles 48 CE à 50 CE et
152, paragraphe 5, CE – Article 22 du règlement (CEE) n° 1408/71»
Dans l’affaire C-372/04,
ayant
pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article
234 CE, introduite par la Court of Appeal (England & Wales)
(Civil Division) (Royaume-Uni), par décision du 12 juillet 2004,
parvenue à la Cour le 27 août 2004, dans la procédure
The Queen, à la demande de:
Yvonne Watts
contre
Bedford Primary Care Trust,
Secretary of State for Health,
LA COUR (grande chambre),
composée
de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans et
A. Rosas, présidents de chambre, M. R. Schintgen, Mme N. Colneric, MM. K. Lenaerts (rapporteur), J. Klučka, U. Lõhmus, E. Levits et A. Ó Caoimh, juges,
avocat général: M. L. A. Geelhoed,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 octobre 2005,
considérant les observations présentées:
– pour Mme Watts, par MM. R. Gordon, QC, et J. Hyam, barrister,
– pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mmes
E. O’Neill et S. Nwaokolo, en qualité d’agents, assistées de
MM. D. Lloyd-Jones et D. Wyatt, QC, ainsi que Mme S. Lee, barrister,
– pour le gouvernement belge, par M. M. Wimmer, en qualité d’agent,
– pour
le gouvernement espagnol, par MM. E. Braquehais Conesa et
J. M. Rodríguez Cárcamo, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement français, par M. G. de Bergues et Mme C. Bergeot-Nunes, en qualité d’agents,
– pour
l’Irlande, par M. D. O’Hagan, en qualité d’agent, assisté de
M. N. Travers, BL,
– pour
le gouvernement maltais, par M. S. Camilleri, en qualité d’agent,
assisté de M. S. Mifsud, avukat,
– pour le gouvernement polonais, par M. P. Sadowy, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement finlandais, par Mme T. Pynnä, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement suédois, par Mme K. Norman et M. A. Kruse, en qualité d’agents,
– pour la Commission des Communautés européennes, par M. D. Martin et Mme N. Yerrell, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 15 décembre 2005,
rend le présent
Arrêt
1 La
demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des
articles 48 CE à 50 CE et 152, paragraphe 5, CE, ainsi que de
l’article 22 du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin
1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux
travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de
leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa
version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du
Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1,
ci-après le «règlement n° 1408/71»).
2 Cette
demande a été présentée dans le cadre d’un litige né du refus du
Bedford Primary Care Trust (ci-après le «Bedford PCT») de rembourser le
coût d’un traitement hospitalier reçu en France par Mme Watts, résidente britannique.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3 L’article
22 du règlement n° 1408/71, intitulé «Séjour hors de l’État
compétent – Retour ou transfert de résidence dans un autre État membre
au cours d’une maladie ou d’une maternité – Nécessité de se rendre dans
un autre État membre pour recevoir des soins appropriés», énonce:
«1. Le
travailleur salarié ou non salarié qui satisfait aux conditions
requises par la législation de l’État compétent pour avoir droit aux
prestations, compte tenu, le cas échéant, des dispositions de l’article
18, et:
[…]
c) qui
est autorisé par l’institution compétente à se rendre sur le territoire
d’un autre État membre pour y recevoir des soins appropriés à son état,
a droit:
i) aux
prestations en nature servies, pour le compte de l’institution
compétente, par l’institution du lieu de séjour […], selon les
dispositions de la législation qu’elle applique, comme s’il y était
affilié, la durée de service des prestations étant toutefois régie par
la législation de l’État compétent;
[…]
2. […]
L’autorisation
requise au titre du paragraphe 1 point c) ne peut pas être refusée
lorsque les soins dont il s’agit figurent parmi les prestations prévues
par la législation de l’État membre sur le territoire duquel réside
l’intéressé et si ces soins ne peuvent, compte tenu de son état actuel
de santé et de l’évolution probable de la maladie, lui être dispensés
dans le délai normalement nécessaire pour obtenir le traitement dont il
s’agit dans l’État membre de résidence.
[…]»
4 Ainsi
qu’il ressort de la décision n° 153 (94/604/CE) de la commission
administrative des Communautés européennes pour la sécurité sociale des
travailleurs migrants, du 7 octobre 1993, concernant les modèles de
formulaires nécessaires à l’application des règlements (CEE)
n° 1408/71 et (CEE) n° 574/72 du Conseil (E 001,
E 103–E 127) (JO 1994, L 244, p. 22), le
formulaire E 112 est l’attestation nécessaire pour l’application de
l’article 22, paragraphe 1, sous c), i), du règlement n° 1408/71.
La réglementation nationale
5 La
loi de 1977 sur le service national de santé (National Health Service
Act 1977, ci-après la «NHS Act») prévoit que le ministre de la Santé est
tenu de fournir un service national de santé en Angleterre et au pays
de Galles.
6 Cette obligation est précisée comme suit aux articles 1er et 3 de la NHS Act:
«Article 1er
1.(1) Le
ministre a l’obligation de poursuivre la promotion, en Angleterre et au
pays de Galles, d’un service de santé complet destiné à assurer
l’amélioration
(a) de la santé physique et mentale des résidents desdits pays et
(b) de
la prévention, du diagnostic et du traitement de la maladie et, à cet
effet, de fournir ou d’assurer la prestation effective de services
conformément à la présente loi.
(2) Les
prestations ainsi fournies seront gratuites sauf dans la mesure où la
facturation et le recouvrement de frais sont expressément prévus par ou
en vertu d’un texte de loi, quelle qu’en soit la date d’adoption.
[…]
Article 3
3.(1) Le
ministre a l’obligation de fournir, sur l’ensemble du territoire de
l’Angleterre et du pays de Galles, dans la mesure qu’il considère
nécessaire à la satisfaction de toutes exigences raisonnables,
(a) des infrastructures hospitalières;
(b) d’autres
infrastructures d’accueil aux fins de fournir tout service prévu dans
la présente loi;
(c) des services médicaux, dentaires, infirmiers et ambulanciers;
(d) toutes
autres infrastructures de prise en charge des femmes enceintes, des
mères allaitantes et des jeunes enfants qu’il jugera utiles dans le
cadre du service de santé;
(e) toutes
infrastructures de prévention des maladies, de soins aux personnes
malades et de postcure de personnes ayant été malades qu’il jugera
utiles dans le cadre du service de santé;
(f) tous autres services nécessaires au dépistage et au traitement des maladies.»
7 D’après
les indications fournies par la décision de renvoi, le National Health
Service (ci-après le «NHS») présente les traits principaux suivants.
8 Les
soins hospitaliers sont dispensés gratuitement par les organismes
relevant du NHS, dans un but non lucratif, à toutes les personnes
résidant habituellement au Royaume-Uni.
9 Ces
soins sont financés directement par l’État, essentiellement grâce à des
recettes fiscales qui sont réparties par le gouvernement entre les
caisses de soins primaires (les Primary Care Trusts, ci-après les «PCT»)
en fonction des besoins respectifs de la population de leur secteur
géographique.
10 Il
n’existe pas de contribution salariale ou patronale au financement du
NHS. Aucun ticket modérateur n’est prévu à la charge du patient.
11 Il n’existe pas de listes nationales des prestations médicales à fournir.
12 L’accès
aux soins hospitaliers est en principe subordonné à la décision d’un
médecin généraliste.
13 Le
budget alloué par le gouvernement au NHS n’étant pas suffisant pour
permettre l’octroi rapide de soins à tous les patients, quel que soit le
degré d’urgence, le NHS fait usage des ressources disponibles en fixant
des priorités, ce qui se traduit par des listes d’attente relativement
longues pour les traitements qui ne sont pas très urgents. Les
organismes du NHS décident, dans les limites de l’enveloppe budgétaire
qui leur a été allouée, de la pondération des priorités cliniques dans
le respect de directives nationales.
14 Les
listes d’attente visent, d’une part, à assurer une fourniture de soins
hospitaliers conforme aux priorités et aux décisions des organismes du
NHS en ce qui concerne l’utilisation des ressources disponibles et,
d’autre part, à préserver l’équité entre des patients nécessitant un
traitement hospitalier pour des problèmes de santé différents et selon
des degrés d’urgence variables.
15 Les
patients relevant du NHS n’ont pas le droit de bénéficier d’un
traitement particulier à un moment déterminé. La nature, le lieu, le
moment et la durée des soins hospitaliers sont fixés en fonction des
priorités cliniques et des ressources de l’organisme compétent du NHS,
et non au choix du patient. Les décisions des organismes du NHS peuvent
faire l’objet d’un recours en annulation, mais ces recours sont le plus
souvent rejetés.
16 Compte
tenu de la gratuité des soins prodigués dans le cadre du NHS, la
question de leur remboursement au patient ne se pose pas et n’est pas
réglementée. Il n’existe, par conséquent, pas de barème de remboursement
dans la législation britannique.
17 Les
patients relevant du NHS ne peuvent pas prétendre à des soins
hospitaliers dans le secteur privé en Angleterre et au pays de Galles
aux frais du NHS.
18 Les
PCT sont des établissements publics créés en vertu de l’article 16 A de
la NHS Act, tel qu’inséré par l’article 2 de la loi de 1999 sur la
santé (Health Act 1999) et amendé par la loi de 2002 portant réforme du
service national de santé et relative aux professions de la santé
(National Health Service Reform and Health Care Professions Act 2002).
Leur composition est fixée par voie réglementaire. Certains de leurs
membres sont désignés par le ministre. Le rôle des PCT consiste à
planifier et à assurer les soins de santé au niveau local, y compris les
services de médecine générale. Chaque région est du ressort d’un PCT.
Lors de chaque exercice budgétaire, le ministère de la Santé verse aux
différents PCT un montant, plafonné, destiné à couvrir les frais liés
aux soins hospitaliers et les frais généraux.
19 Les
«NHS trusts» sont des personnes morales distinctes, qui ont été créées
en vertu de la loi de 1990 relative au service national de santé et aux
soins à domicile (National Health Service and Community Care Act 1990).
L’article 5, paragraphe 1, de cette loi, tel que modifié par l’article
13 de la loi de 1999 sur la santé, dispose que les NHS trusts ont pour
but de fournir des biens et des services dans le cadre du NHS. Les
fonctions de ces trusts sont définies par arrêté ministériel. Les
hôpitaux britanniques sont presque tous gérés par un NHS trust. Les NHS
trusts sont financés par les versements des PCT correspondant aux
traitements et aux services médicaux que ceux-ci leur commandent.
20 La
collaboration entre les PCT et les NHS trusts repose, en vertu de
l’article 4 de la loi de 1990, sur un système de «contrats NHS», qui
n’ont pas de force exécutoire mais auxquels est attachée une forme
spéciale d’arbitrage interne confié au ministre compétent. Les contrats
NHS sont en général établis sur la base d’un accord qui définit la
quantité de services attendus et le financement correspondant.
21 Les
PCT et les NHS trusts ne sont pas des organismes à but lucratif. Le
budget alloué qui n’aurait pas été dépensé peut être reporté à certaines
conditions. À défaut, il doit être restitué au gouvernement.
22 Les
patients ne résidant pas habituellement au Royaume-Uni peuvent recevoir
des soins médicaux dans le cadre du NHS, en principe à titre onéreux.
Le règlement de 1989 sur les frais facturés aux patients venus de
l’étranger [NHS (Charges to Overseas Visitors) Regulations 1989]
détermine les modalités de facturation et de recouvrement des frais liés
à des soins dispensés à ces patients par le NHS. Les PCT sont dans
l’obligation de procéder à ces opérations, à moins que le patient relève
d’un cas d’exemption défini par ledit règlement. Ce dernier prévoit des
exemptions, notamment, d’une part, pour les soins dispensés au sein
d’un service hospitalier réservé aux accidents ou au sein d’un service
d’urgences et, d’autre part, pour tenir compte des droits des personnes
affiliées au système de sécurité sociale d’un autre État membre.
23 Il
ressort de la décision de renvoi que, le règlement n° 1408/71
étant directement applicable dans les États membres, il n’a fait l’objet
d’aucune mesure de mise en œuvre en droit britannique. Un patient
relevant du NHS et résidant habituellement au Royaume-Uni a la
possibilité de recevoir des soins hospitaliers dans un autre État membre
en application de l’article 22, paragraphe 1, sous c), dudit règlement.
En pareil cas, le remboursement des coûts liés à ces soins est
effectué, conformément à ce règlement, directement en faveur de
l’institution de l’État membre dans lequel les soins ont été fournis, au
taux de remboursement en vigueur dans ledit État membre.
Le litige au principal
24 Souffrant d’arthrite des hanches, Mme Watts
s’est renseignée auprès du Bedford PCT sur la possibilité de se faire
opérer à l’étranger sous le couvert d’un formulaire E 112.
25 Le 1er
octobre 2002, elle a été examinée par un médecin spécialiste
britannique qui, par lettre du 28 octobre 2002, a informé le Bedford PCT
que le cas de Mme Watts méritait le même égard que
celui de ses autres patients atteints d’arthrite aiguë, que la mobilité
de cette patiente était gravement réduite et qu’elle souffrait de
douleurs constantes. Il a classé Mme Watts dans la
catégorie des «cas de routine», ce qui signifiait pour elle un délai
d’attente d’environ un an avant de pouvoir subir une intervention
chirurgicale dans un hôpital local.
26 Le 21 novembre 2002, le Bedford PCT a fait part de son refus de délivrer à Mme Watts
un formulaire E 112 au motif que la seconde condition énoncée à
l’article 22, paragraphe 2, second alinéa, du règlement n° 1408/71
n’était pas remplie. Il a, en effet, considéré qu’un traitement pouvait
être dispensé dans un hôpital local à la patiente «dans un délai
conforme aux objectifs du plan de sécurité sociale du gouvernement» et,
donc, «sans retard injustifié».
27 Le 12 décembre 2002, Mme Watts
a engagé une procédure visant à obtenir l’autorisation d’introduire un
recours en annulation contre cette décision de refus.
28 L’audience
consacrée à la recevabilité de ce recours s’est tenue devant la High
Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division
(Administrative Court), le 22 janvier 2003. Au cours de cette audience,
il a été indiqué que, au début du mois de janvier 2003, Mme Watts
s’était rendue en France pour consulter un médecin spécialiste, lequel
avait considéré que la nécessité d’opérer la patiente devenait plus
urgente en raison d’une dégradation de son état de santé. Le Secretary
of State for Health (ministre de la Santé) et le Bedford PCT ont dès
lors suggéré que Mme Watts se fasse réexaminer afin que la décision du 21 novembre 2002 puisse être reconsidérée.
29 Le 31 janvier 2003, Mme Watts
a de nouveau été examinée par le médecin spécialiste britannique qui
l’avait examinée en octobre 2002. Par une lettre datée du même jour,
celui-ci a indiqué au Bedford PCT qu’il convenait désormais de classer Mme Watts
dans la catégorie des patients devant être opérés «bientôt»,
c’est-à-dire dans une catégorie intermédiaire entre celle des cas les
plus urgents et celle des cas de routine. Cela signifiait qu’elle se
ferait opérer dans un délai de trois à quatre mois, c’est-à-dire en
avril ou en mai 2003.
30 Le
4 février 2003, le Bedford PCT a réitéré son refus de délivrer un
formulaire E 112, au motif que le délai d’attente pour se faire
opérer dans un hôpital local avait été ramené à trois ou quatre mois. Il
s’est à nouveau fondé sur les objectifs de planification du NHS pour
conclure à l’absence de retard injustifié dans le cas de Mme Watts.
31 Le 7 mars 2003, Mme Watts
s’est fait poser une prothèse à la hanche à Abbeville (France). Elle
s’est acquittée des frais liés à cette intervention médicale, d’un
montant équivalent à 3 900 GBP.
32 Elle
a poursuivi la procédure visant à obtenir l’autorisation d’introduire
un recours en annulation contre la décision de refus du Bedford PCT et a
également sollicité le remboursement des frais médicaux exposés en
France.
33 Le 1er
octobre 2003, la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s
Bench Division (Administrative Court), qui avait sursis à statuer dans
l’attente du prononcé de l’arrêt de la Cour du 13 mai 2003, Müller-Fauré
et van Riet (C‑385/99, Rec. p. I‑4509), a jugé que les prestations
médicales dont Mme Watts a bénéficié en France relèvent
du champ d’application de l’article 49 CE en dépit du fait que le
remboursement des frais liés au traitement reçu est sollicité dans le
cadre du NHS.
34 Cette juridiction a cependant rejeté la demande de Mme Watts.
Tout en estimant que «toute autorité nationale se déterminant, comme il
se doit, en fonction des principes établis par la [Cour], en
particulier dans les arrêts [du 12 juillet 2001, Smits et Peerbooms
(C‑157/99, Rec. p. I‑5473)] ainsi que Müller-Fauré et van Riet,
aurait été tenue de conclure en octobre-novembre 2002 que le délai prévu
d’environ un an était en tout état de cause ‘indu’ et donc de nature à
permettre l’application du droit, tiré de l’article 49 [CE], au
remboursement des frais nécessaires à l’obtention d’un traitement dans
un délai plus raisonnable dans un autre État membre», elle a néanmoins
jugé que Mme Watts n’avait pas eu à faire face à un
retard injustifié après le réexamen de son cas à la fin du mois de
janvier 2003. Elle a considéré qu’une période d’attente de trois à
quatre mois n’était pas de nature à ouvrir à Mme Watts
le droit d’obtenir un traitement à l’étranger et ne lui permettait pas
de prétendre au remboursement des frais liés à ce traitement par le NHS.
35 Mme Watts
et le Secretary of State for Health ont interjeté appel de ce jugement
devant la Court of Appeal (England and Wales), Civil Division. L’appel
interjeté par Mme Watts a été principalement motivé par
le rejet de sa demande de remboursement ainsi que par les considérations
contenues dans le jugement de première instance, selon lesquelles le
délai d’attente applicable en vertu du droit national constitue un
élément pertinent aux fins de l’application de l’article 49 CE et
un élément d’une importance fondamentale dans le contexte de l’article
22 du règlement n° 1408/71. Le Secretary of State for Health a
essentiellement fondé son appel sur l’argumentation selon laquelle les
patients relevant du NHS n’ont pas le droit de se prévaloir de l’article
49 CE, de sorte que le cas de Mme Watts doit être exclusivement réglé par application de l’article 22 du règlement n° 1408/71.
36 Dans
une décision du 20 février 2004, la juridiction de renvoi expose que,
compte tenu des arrêts précités Smits et Peerbooms, ainsi que
Müller-Fauré et van Riet, les services nationaux de santé financés par
l’État, tels que le NHS, relèvent du champ d’application de l’article
49 CE. Elle ajoute cependant qu’il semble ressortir du point 98 de
l’arrêt Müller-Fauré et van Riet, précité, que le droit, tiré de cet
article, de recevoir des soins à l’étranger est subordonné à l’existence
du droit d’obtenir un traitement dans l’État membre compétent, ce que
n’ont pas les patients britanniques dans le cadre du NHS.
37 Elle
est d’avis que, les activités médicales étant des prestations de
services au sens de l’article 49 CE, les autorités nationales en
charge du financement des soins de santé ne peuvent, en principe,
empêcher les résidents de recevoir des soins dans un autre État membre, à
moins qu’une telle restriction puisse être justifiée par la nécessité
de maintenir un service médical et hospitalier équilibré et accessible à
tous, une telle justification ne pouvant toutefois être invoquée
lorsqu’elle se traduirait par un retard injustifié dans l’octroi du
traitement au patient dans son État membre de résidence.
38 Elle
relève que, en vertu de l’arrêt du 23 octobre 2003, Inizan (C‑56/01,
Rec. p. I‑12403), la notion de retard injustifié doit être
interprétée, à l’instar de la seconde condition énoncée à l’article 22,
paragraphe 2, second alinéa, du règlement n° 1408/71, sur la base
de considérations d’ordre clinique liées à chaque cas individuel, et non
en tenant compte de délais normaux d’attente et de listes reposant sur
des considérations de nature économique. Elle affirme toutefois que, à
ce jour, la Cour n’a pas fourni de réponse claire sur la manière
d’interpréter cette notion.
39 Elle
s’interroge également, au vu de l’arrêt Inizan, précité, sur la
pertinence des considérations d’ordre budgétaire dans le contexte d’une
affaire telle que celle en cause au principal. Elle se demande s’il faut
considérer qu’un État membre est tenu de consacrer des ressources
destinées à permettre à ses ressortissants de recevoir à l’étranger un
traitement dans un délai plus court, au risque, d’une part, de conduire à
un allongement des délais nécessaires à l’obtention d’un traitement sur
le territoire national dans des cas plus urgents et, d’autre part,
d’affecter la gestion des ressources et la planification du système de
soins de santé concerné.
40 À
supposer qu’une telle obligation existe, elle se demande si l’État
membre concerné est tenu de rembourser les coûts d’un traitement reçu à
l’étranger selon la législation de l’État membre de séjour, conformément
à l’article 22 du règlement n° 1408/71, ou selon sa propre
législation, conformément à l’article 49 CE. Elle se demande
également si les frais de voyage et de séjour doivent être pris en
charge en pareille hypothèse.
41 Elle
souligne qu’une obligation de remboursement selon la législation de
l’État membre compétent signifierait, pour un système, tel que le NHS,
dans lequel les soins de santé sont gratuits, une obligation de
remboursement intégral. Elle considère dès lors que, si la notion de
retard injustifié devait être appréciée en faisant abstraction de
considérations d’ordre budgétaire, l’application de l’article 49 CE
se traduirait par une immixtion du droit communautaire dans la
politique budgétaire des États membres en matière de santé publique, de
nature à susciter des interrogations au regard de l’article 152,
paragraphe 5, CE.
Les questions préjudicielles
42 Dans
ces conditions, la Court of Appeal (England and Wales), Civil Division,
a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions
préjudicielles suivantes:
«1) Compte
tenu de la nature du NHS et de son statut en droit national, l’article
49 CE, lu à la lumière des arrêts Smits [et Peerbooms],
Müller-Fauré [et van Riet] ainsi que Inizan, doit-il être interprété en
ce sens que, en principe, les personnes résidant habituellement au
Royaume-Uni peuvent prétendre, en droit communautaire, à bénéficier de
soins hospitaliers dans d’autres États membres, aux frais du NHS?
En particulier, sur l’interprétation à retenir de l’article 49 CE:
a) Existe-t-il
une distinction entre un service national de santé financé par l’État,
tel que le NHS, d’une part, et des caisses d’assurance comme le régime
néerlandais ZFW, d’autre part, notamment eu égard au fait que le NHS ne
dispose d’aucune caisse à partir de laquelle les paiements doivent être
effectués?
b) Le
NHS est-il tenu d’autoriser et de payer ces soins prodigués dans un
autre État membre, bien qu’il ne soit pas tenu d’autoriser et de payer
ces soins lorsqu’ils sont prodigués par un prestataire du secteur privé
au Royaume-Uni?
c) Le
fait que le patient obtienne les soins indépendamment de l’organisme
compétent du NHS et sans autorisation ou notification préalable a-t-il
une incidence?
2) Pour
répondre à la première question, importe-t-il de savoir si les soins
hospitaliers prodigués par le NHS représentent eux-mêmes une prestation
de services au sens de l’article 49 CE?
Dans
l’affirmative, et dans les circonstances décrites dans l’exposé des
faits ci-dessus, les articles 48 [CE], 49 [CE] et 50 CE
doivent-ils être interprétés en ce sens qu’en principe:
a) les
soins hospitaliers prodigués par des organismes relevant du NHS
constituent une prestation de services au sens de l’article 49 CE;
b) un
patient bénéficiant de soins hospitaliers au titre du NHS exerce, en
tant que tel, son droit à recevoir des services au sens de l’article
49 CE et
c) les
organismes du NHS qui prodiguent des soins hospitaliers sont des
prestataires de services au sens des articles 48 [CE] et
50 CE?
3) Si
l’article 49 CE s’applique au NHS, celui-ci ou le ministre
peut-il, pour justifier objectivement son refus d’accorder
l’autorisation préalable de soins hospitaliers dans un autre État
membre, se fonder:
a) sur
le fait que cette autorisation nuirait gravement au système du NHS
consistant à gérer les priorités médicales au moyen de listes d’attente;
b) sur
le fait que cette autorisation permettrait aux patients nécessitant une
intervention médicale moins urgente de devenir prioritaires par rapport
à des patients nécessitant un traitement médical plus urgent;
c) sur
le fait que cette autorisation aurait pour effet de soustraire des
ressources pour payer des soins moins urgents aux patients prêts à
voyager à l’étranger, lésant ainsi ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas
voyager à l’étranger ou augmentant les coûts des organismes du NHS;
d) sur
le fait que cette autorisation peut obliger le Royaume-Uni à fournir un
financement supplémentaire au budget du NHS ou à restreindre l’éventail
des soins accessibles au titre du NHS;
e) sur
les coûts comparatifs du traitement et sur ses coûts accessoires dans
l’autre État membre?
4) Pour
apprécier si les soins peuvent être obtenus ‘en temps opportun’ aux
fins de l’article 49 CE, dans quelle mesure est-il nécessaire ou
permis d’avoir recours notamment aux critères suivants:
a) délais d’attente;
b) la priorité clinique accordée aux soins par l’organisme compétent du NHS;
c) la
gestion de la fourniture des soins hospitaliers conformément aux
priorités visant à tirer le meilleur parti de ressources limitées;
d) le
fait que les soins prodigués au titre du NHS le soient gratuitement au
lieu où est traité le patient;
e) l’état
pathologique individuel du patient, ainsi que ses antécédents et
l’évolution probable de la maladie pour laquelle le patient demande à
être soigné?
5) Sur
l’interprétation correcte de l’article 22, paragraphe 1, sous c), du
règlement [n°] 1408/71 et en particulier sur les termes ‘dans le
délai normalement nécessaire pour obtenir le traitement dont il s’agit’:
a) les
critères applicables sont-ils identiques à ceux qui s’appliquent aux
questions de ‘temps opportun’ aux fins de l’article 49 CE?
b) dans
la négative, dans quelle mesure est-il nécessaire ou permis de prendre
en considération les facteurs énumérés dans la quatrième question ?
6) Dans
les cas où le droit communautaire oblige l’État membre à financer les
soins hospitaliers prodigués dans d’autres États membres à des personnes
résidant habituellement dans le premier État membre, le coût de ces
soins doit-il être calculé, en vertu de l’article 22 du règlement
[n°] 1408/71, par référence à la législation de l’État membre dans
lequel les soins sont prodigués ou, en vertu de l’article 49 CE,
par référence à la législation de l’État membre de résidence?
Dans chaque cas:
a) Quelle
est l’étendue exacte de l’obligation de payer ou de rembourser le coût
des soins hospitaliers, en particulier lorsque, comme dans le cas du
Royaume-Uni, ces soins sont prodigués aux patients gratuitement au lieu
où ils sont traités et qu’il n’existe aucun barème fixé au niveau
national pour rembourser les patients du coût du traitement?
b) Cette
obligation est-elle limitée au coût réel de la fourniture d’un
traitement identique ou équivalent dans le premier État membre?
c) Cela inclut-il l’obligation de couvrir les frais de voyage et de logement?
7) L’article
49 CE et l’article 22 du règlement [n°] 1408/71 doivent-ils
être compris comme imposant aux États membres l’obligation de financer
les soins hospitaliers prodigués dans d’autres États membres sans tenir
compte des contraintes budgétaires et, si tel est le cas, ces exigences
sont-elles compatibles avec la responsabilité des États membres en
matière d’organisation et de fourniture de services de santé et de soins
médicaux inscrite à l’article 152, paragraphe 5, CE?»
Sur les questions préjudicielles
Considérations liminaires
43 Par
ses questions, la juridiction de renvoi demande à être éclairée tant
sur la portée des dispositions du traité CE relatives à la libre
prestation des services que sur celle de l’article 22 du règlement
n° 1408/71.
44 Ainsi
que l’a suggéré la Commission des Communautés européennes dans ses
observations écrites, il convient de se prononcer d’abord sur la demande
d’interprétation de l’article 22 du règlement n° 1408/71.
45 En effet, il est constant, aux termes de la décision de renvoi, que Mme Watts
a sollicité l’autorisation de se rendre, sous le couvert d’un
formulaire E 112, dans un autre État membre pour y recevoir des
soins appropriés à son état et ce, à la charge du NHS, en application de
l’article 22, paragraphe 1, sous c), i), du règlement n° 1408/71.
Il ressort par ailleurs de ladite décision que le Bedford PCT, dont
relève Mme Watts, lui a refusé cette autorisation au
motif que l’intéressée ne remplissait pas les conditions posées à
l’article 22, paragraphe 2, dudit règlement.
46 L’applicabilité
dudit article 22 à la présente affaire n’exclut cependant pas que
celle-ci puisse également relever du champ d’application de l’article
49 CE.
47 En
effet, d’une part, le fait qu’une mesure nationale puisse
éventuellement être conforme à une disposition de droit dérivé, en
l’occurrence l’article 22 du règlement n° 1408/71, n’a pas pour
effet de faire échapper cette mesure aux dispositions du traité (arrêt
du 28 avril 1998, Kohll, C‑158/96, Rec. p. I‑1931, point 25).
48 D’autre
part, il convient de rappeler que l’article 22, paragraphe 1, sous c),
i), du règlement n° 1408/71 a pour objet de conférer un droit aux
prestations en nature servies, pour le compte de l’institution
compétente, par l’institution du lieu du séjour, selon les dispositions
de la législation de l’État membre dans lequel les prestations sont
servies, comme si l’intéressé relevait de cette dernière institution
(voir arrêt Inizan, précité, point 20). L’applicabilité de l’article 22
du règlement n° 1408/71 à la situation en cause n’exclut pas que
l’intéressé puisse parallèlement disposer, au titre de l’article
49 CE, du droit d’accéder à des soins de santé dans un autre État
membre à des conditions de prise en charge différentes de celles prévues
audit article 22 (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2001,
Vanbraekel e.a., C‑368/98, Rec. p. I‑5363, points 37 à 53).
49 Compte
tenu de ce qui précède, il y a lieu de répondre d’abord à la demande
d’interprétation de l’article 22 du règlement n° 1408/71, qui fait
l’objet de la cinquième question, puis aux demandes d’interprétation des
dispositions relatives à la libre prestation des services énoncées par
les quatre premières questions et, enfin, aux sixième et septième
questions, qui concernent indistinctement l’article 49 CE et
l’article 22 du règlement n° 1408/71.
50 À
l’instar de la Commission, il convient encore de relever que la
présente affaire concerne exclusivement des prestations médicales
dispensées dans un cadre hospitalier et ayant nécessité le séjour de
l’intéressée dans l’établissement au sein duquel lesdites prestations
ont été fournies.
Sur la cinquième question
51 Par
cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les
critères d’interprétation des termes «dans le délai normalement
nécessaire pour obtenir le traitement dont il s’agit» figurant à
l’article 22, paragraphe 2, second alinéa, du règlement n° 1408/71
sont identiques à ceux qui servent à définir la notion de «temps
opportun» dans le contexte de l’article 49 CE.
52 En
faisant référence à ce stade à la quatrième question, la juridiction de
renvoi vise également à savoir si, pour interpréter le délai visé à
l’article 22, paragraphe 2, second alinéa, du règlement n° 1408/71,
il est nécessaire ou permis de tenir compte des facteurs énumérés dans
cette quatrième question, à savoir l’existence de délais d’attente, les
priorités cliniques définies par l’organisme compétent du NHS, la
gestion de l’offre de soins hospitaliers en fonction de priorités
destinées à tirer le meilleur parti de ressources limitées, la gratuité
des soins prodigués dans le cadre des structures du NHS ainsi que l’état
pathologique individuel du patient, ses antécédents et l’évolution
probable de sa maladie.
53 À
titre liminaire, il convient de rappeler que, placé dans le cadre des
objectifs généraux du traité, l’article 22 du règlement n° 1408/71
s’inscrit parmi les mesures tendant à permettre à un patient relevant de
la législation d’un État membre de bénéficier, aux conditions qu’il
prévoit, de prestations en nature dans les autres États membres, quels
que soient l’institution nationale dont il relève ou le lieu de sa
résidence (voir, en ce sens, arrêts du 3 juillet 2003, Van der Duin et
ANOZ Zorgverzekeringen, C‑156/01, Rec. p. I‑7045, point 50, et du
12 avril 2005, Keller, C‑145/03, Rec. p. I‑2529, point 45).
54 En
garantissant, à son paragraphe 1, sous c), i), au patient relevant de
la législation d’un État membre et muni d’une autorisation, un accès aux
soins dans les autres États membres dans des conditions de prise en
charge aussi favorables que celles dont bénéficient les personnes qui
relèvent de la législation desdits États et en précisant, à son
paragraphe 2, second alinéa, que l’institution nationale compétente ne
peut refuser une telle autorisation lorsque se trouvent réunies les deux
conditions que vise cette dernière disposition, l’article 22 du
règlement n° 1408/71 contribue à faciliter la libre circulation des
patients et, dans la même mesure, la prestation de services médicaux
transfrontaliers entre les États membres (voir, en ce sens, arrêts
précités Vanbraekel e.a., point 32; Inizan, point 21, et Keller, point
46).
55 L’article
22, paragraphe 2, second alinéa, du règlement n° 1408/71 énonce
deux conditions dont la réunion rend obligatoire la délivrance par
l’institution compétente, quel que soit l’État membre dont elle relève,
de l’autorisation préalable à laquelle ladite disposition se réfère
(voir arrêt Inizan, précité, point 37).
56 Pour
satisfaire à la première condition, il faut que les soins dont il
s’agit figurent parmi les prestations prévues par la législation de
l’État membre sur le territoire duquel réside l’intéressé. Il n’apparaît
pas que, dans l’affaire en cause au principal, le refus de prise en
charge du traitement ait été motivé par le non-respect de cette première
condition.
57 La
seconde condition n’est remplie que si les soins que le patient
envisage de recevoir dans un État membre autre que celui sur le
territoire duquel il réside ne peuvent, compte tenu de son état actuel
de santé et de l’évolution probable de sa maladie, lui être dispensés
dans le délai normalement nécessaire pour obtenir le traitement dont il
s’agit dans l’État membre de résidence.
58 Cette
seconde condition est manifestement en cause dans le litige au
principal, ainsi qu’il ressort tant du libellé de la cinquième question
que des termes dans lesquels l’organisme compétent a signifié à
l’intéressée son refus de lui délivrer un formulaire E 112 (voir
points 26 et 30 du présent arrêt).
59 À cet égard, comme l’ont relevé Mme Watts,
les gouvernements belge et français ainsi que la Commission dans leurs
observations écrites, la Cour a, aux points 45 et 46 de l’arrêt Inizan,
précité, donné une interprétation du délai visé à l’article 22,
paragraphe 2, second alinéa, du règlement n° 1408/71 en reprenant
celle qu’elle avait dégagée pour les termes «en temps opportun», dans
les arrêts précités Smits et Peerbooms (points 103 et 104), ainsi que
Müller-Fauré et van Riet (points 89 et 90), à propos de l’appréciation
de la compatibilité avec l’article 49 CE d’une disposition
nationale subordonnant la prise en charge de soins hospitaliers
envisagés dans un autre État membre à une condition liée au caractère
nécessaire de ces soins.
60 De
fait, ainsi que le souligne M. l’avocat général au point 101 de ses
conclusions, aucun élément ne permet sérieusement de justifier des
interprétations différentes dans le contexte de l’article 22 du
règlement n° 1408/71, d’une part, et dans celui de l’article
49 CE, d’autre part, étant donné que, dans l’un et l’autre cas, la
question est de savoir, comme l’a fait valoir le gouvernement belge dans
ses observations écrites, si les soins hospitaliers requis par l’état
de santé de l’intéressé peuvent être prodigués sur le territoire de
l’État membre de sa résidence dans un délai acceptable qui préserve leur
utilité et leur efficacité.
61 Dans
l’arrêt Inizan, précité (point 45), la Cour a ainsi jugé, en se
référant par analogie au point 103 de l’arrêt Smits et Peerbooms,
précité, ainsi qu’au point 89 de l’arrêt Müller-Fauré et van Riet,
précité, que la seconde condition énoncée à l’article 22, paragraphe 2,
second alinéa, du règlement n° 1408/71 n’est pas remplie à chaque
fois qu’il apparaît qu’un traitement identique ou présentant le même
degré d’efficacité pour le patient peut être obtenu en temps opportun
dans l’État membre de résidence de celui-ci.
62 En
s’inspirant du point 104 de l’arrêt Smits et Peerbooms, précité, ainsi
que du point 90 de l’arrêt Müller-Fauré et van Riet, précité, la Cour a
précisé que, aux fins d’apprécier si un traitement présentant le même
degré d’efficacité pour le patient peut être obtenu en temps opportun
dans l’État membre de résidence, l’institution compétente est tenue de
prendre en considération l’ensemble des circonstances caractérisant
chaque cas concret, en tenant dûment compte, non seulement de la
situation médicale du patient au moment où l’autorisation est sollicitée
et, le cas échéant, du degré de la douleur ou de la nature du handicap
de ce dernier, qui pourrait, par exemple, rendre impossible ou
excessivement difficile l’exercice d’une activité professionnelle, mais
également de ses antécédents (arrêt Inizan, précité, point 46).
63 Dans
l’arrêt Müller-Fauré et van Riet, précité (point 92), la Cour a par
ailleurs souligné que, pour établir qu’un traitement identique ou
présentant le même degré d’efficacité pour le patient est disponible en
temps opportun auprès d’un établissement situé sur le territoire de
l’État membre de résidence, l’institution compétente ne saurait se
fonder exclusivement sur l’existence de listes d’attente sur ledit
territoire, sans prendre en considération les circonstances concrètes
qui caractérisent la situation médicale du patient concerné.
64 Cette
dernière précision, donnée à propos de l’article 49 CE, peut être
reprise dans le contexte de l’article 22 du règlement n° 1408/71,
compte tenu de ce qui a été exposé aux points 59 et 60 du présent arrêt.
65 Il
convient, à cet égard, de relever que l’article 20 du règlement (CE)
n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004,
sur la coordination des régimes de sécurité sociale (JO L 166,
p. 1), qui est destiné à remplacer l’article 22 du règlement
n° 1408/71, prévoit l’obligation d’accorder l’autorisation en cause
lorsque, notamment, les soins ne peuvent être dispensés, dans l’État
membre de résidence, «dans un délai acceptable sur le plan médical,
compte tenu de son état actuel de santé et de l’évolution probable de la
maladie».
66 C’est
à la lumière de ces indications qu’il y a lieu de préciser à
l’attention de la juridiction de renvoi les facteurs que celle-ci doit
prendre en compte parmi ceux identifiés dans la quatrième question, pour
vérifier si la seconde condition posée à l’article 22, paragraphe 2,
second alinéa, du règlement n° 1408/71 est, ou non, satisfaite.
67 Dans
un contexte marqué par une demande de soins hospitaliers en constante
augmentation en raison, principalement, des progrès de la médecine et de
l’allongement de l’espérance de vie, d’une part, et par une offre
nécessairement limitée par des impératifs budgétaires, d’autre part, il
ne saurait être contesté que les autorités nationales en charge de la
gestion de la fourniture de tels soins ont le droit d’instituer, si
elles l’estiment nécessaire, un système de listes d’attente visant à
planifier la fourniture de ces soins et à fixer des priorités en
fonction des ressources et des capacités disponibles.
68 Ainsi
que cela découle des termes mêmes de l’article 22, paragraphe 2, second
alinéa, du règlement nº 1408/71, et en vertu de la jurisprudence
rappelée aux points 62 et 63 du présent arrêt, l’institution compétente,
pour être en droit de refuser l’autorisation visée à l’article 22,
paragraphe 1, sous c), dudit règlement sur la base d’un motif tiré de
l’existence d’un délai d’attente, se doit toutefois d’établir que le
délai, découlant des objectifs de planification et de gestion de l’offre
hospitalière poursuivis par les autorités nationales en fonction de
priorités cliniques préétablies en termes généraux, dans lequel le
traitement hospitalier requis par l’état de santé du patient peut être
obtenu dans un établissement relevant du système national en cause,
n’excède pas le délai acceptable compte tenu d’une évaluation médicale
objective des besoins cliniques de l’intéressé au vu de son état
pathologique, de ses antécédents, de l’évolution probable de sa maladie,
du degré de sa douleur et/ou de la nature de son handicap au moment où
l’autorisation est sollicitée.
69 En
outre, comme l’a fait observer la Commission, et ainsi que le souligne
M. l’avocat général au point 86 de ses conclusions, la fixation des
délais d’attente doit être conçue d’une manière souple et dynamique, qui
permette de reconsidérer le délai initialement notifié à l’intéressé en
fonction d’une dégradation éventuelle de son état de santé qui
surviendrait postérieurement à une première demande d’autorisation.
70 Si
le délai découlant des objectifs généraux de planification n’excède pas
le délai médicalement acceptable au sens précisé au point 68 du présent
arrêt, l’institution compétente est en droit de considérer que la
seconde condition énoncée à l’article 22, paragraphe 2, second alinéa,
du règlement n° 1408/71 n’est pas remplie et de refuser la
délivrance de l’autorisation sollicitée par l’intéressé au titre du
paragraphe 1, sous c), i), de ce même article.
71 En
effet, si des patients relevant d’un service national de santé tel que
celui en cause dans l’affaire au principal devaient être autorisés à se
rendre dans un autre État membre pour y recevoir, à la charge de
l’institution compétente, des soins hospitaliers que les infrastructures
relevant dudit service sont en mesure de leur fournir dans un délai
médicalement acceptable au sens précisé au point 68 du présent arrêt, au
simple motif que des soins identiques ou présentant le même degré
d’efficacité sont disponibles plus rapidement dans cet autre État
membre, il en résulterait des flux migratoires de patients de nature à
remettre en cause tous les efforts de planification et de
rationalisation accomplis par l’État membre compétent dans le secteur
vital des soins de santé dans le but d’éviter les problèmes de
surcapacité hospitalière, de déséquilibre dans l’offre de soins médicaux
hospitaliers, de gaspillage et de déperdition, tant logistiques que
financiers (voir, en ce sens, arrêts précités Smits et Peerbooms, point
106, ainsi que Müller-Fauré et van Riet, point 91).
72 En
revanche, dans l’hypothèse inverse de celle évoquée au point 70 du
présent arrêt, la seconde condition posée à l’article 22, paragraphe 2,
second alinéa, du règlement n° 1408/71 doit être considérée comme
étant satisfaite.
73 Le
fait que le coût du traitement hospitalier envisagé dans un autre État
membre puisse être supérieur à celui qu’aurait représenté ce traitement
s’il avait été prodigué dans un établissement relevant du système
national en cause ne saurait, en pareille hypothèse, constituer un motif
légitime de refus d’autorisation.
74 Dans
la même hypothèse, ne constituerait pas davantage un tel motif le fait
que la délivrance de l’autorisation sollicitée a pour effet de
contraindre un service national de santé tel que celui en cause dans
l’affaire au principal, caractérisé par la gratuité des soins
hospitaliers prodigués dans le cadre de ses infrastructures, à prévoir
un mécanisme financier destiné à permettre à ce service de satisfaire la
demande de remboursement émanant de l’institution de l’État membre de
séjour et relative aux prestations en nature servies par cette dernière
au patient concerné (voir, en ce sens, arrêt Müller-Fauré et van Riet,
point 105).
75 Contrairement
aux craintes exprimées par le gouvernement du Royaume-Uni dans ses
observations écrites, l’interprétation du délai visé à l’article 22,
paragraphe 2, second alinéa, du règlement n° 1408/71, telle qu’elle
résulte des points 59 à 72 du présent arrêt, n’est pas de nature à
remettre en cause la faculté qu’ont les autorités nationales compétentes
de gérer les capacités hospitalières disponibles sur leur territoire en
fonction de listes d’attente, pourvu que l’existence de telles listes
ne fasse pas obstacle à la prise en considération, dans chaque cas
individuel, des circonstances caractérisant la situation médicale et les
besoins cliniques de l’intéressé au moment où celui-ci sollicite une
autorisation pour recevoir dans un autre État membre des soins
hospitaliers à la charge du système dont il relève.
76 Par
ailleurs, une telle interprétation revient à interdire aux autorités
nationales compétentes de refuser l’octroi de l’autorisation sollicitée
par un patient dont le cas personnel présenterait, au terme d’une
évaluation médicale objective, un degré d’urgence justifiant l’obtention
d’un traitement dans un autre État membre dans un délai plus court que
celui qui découlerait de listes d’attente reflétant des objectifs
généraux de planification ainsi que de gestion, et dans lequel
l’intéressé peut espérer obtenir le traitement en cause dans un
établissement local relevant du service national de santé. En revanche,
elle ne remet pas en cause le droit de ces autorités à s’opposer à la
délivrance d’une autorisation quand aucun motif d’urgence propre à la
situation clinique du patient concerné ne permet de considérer le délai
d’attente découlant de tels objectifs comme étant déraisonnable au
regard de cette situation.
77 Cette
interprétation n’est pas non plus de nature à conduire à un exode de
patients qui, disposant des ressources suffisantes à cette fin,
entendraient se rendre dans un autre État membre pour obtenir à la
charge ultérieure du service national de santé dont ils relèvent, en
dehors de toute considération de nécessité médicale, le traitement
hospitalier en cause dans un délai plus court que celui dans lequel
ledit traitement peut leur être fourni dans un établissement national
relevant de ce service. En effet, elle préserve le droit de
l’institution compétente de refuser la délivrance de l’autorisation
nécessaire à la prise en charge financière de soins hospitaliers
envisagés dans un autre État membre en l’absence de circonstance
particulière permettant de penser que le délai d’attente imposé à
l’intéressé excéderait le délai médicalement acceptable dans son cas
personnel.
78 Dans
l’affaire au principal, il appartient à la juridiction de renvoi de
vérifier si le délai d’attente invoqué par l’organisme compétent du NHS
et fondé sur les objectifs de planification poursuivis par les autorités
britanniques pour rejeter la demande initiale d’autorisation et la
demande renouvelée excédait le délai médicalement acceptable eu égard à
la situation et aux besoins cliniques individuels de l’intéressée à ces
moments respectifs.
79 Au
vu de ce qui précède, il convient de répondre à la cinquième question
que l’article 22, paragraphe 2, second alinéa, du règlement
n° 1408/71 doit être interprété en ce sens que, pour être en droit
de refuser l’autorisation visée au paragraphe 1, sous c), i), de ce même
article pour un motif tiré de l’existence d’un délai d’attente pour un
traitement hospitalier, l’institution compétente est tenue d’établir que
ce délai n’excède pas le délai acceptable reposant sur une évaluation
médicale objective des besoins cliniques de l’intéressé à la lumière de
l’ensemble des paramètres qui caractérisent son état pathologique au
moment où la demande d’autorisation est introduite ou, le cas échéant,
renouvelée.
Sur les quatre premières questions
80 Par
ses quatre premières questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la
juridiction de renvoi demande, en substance, si, et à quelles
conditions, un patient relevant du NHS est en droit, au titre de
l’article 49 CE, de bénéficier de soins hospitaliers dans un autre
État membre à la charge de ce service national.
81 La
première question vise à savoir si, compte tenu des caractéristiques
particulières du NHS, une personne résidant au Royaume-Uni peut
prétendre, en vertu dudit article, au bénéfice de soins hospitaliers
dans un État membre autre que le Royaume-Uni, à la charge du NHS. Dans
le cadre de cette question, la juridiction de renvoi se demande, en
particulier, s’il y a lieu, pour interpréter l’article 49 CE dans
un tel contexte, de prendre en compte, d’une part, l’absence de caisse à
la disposition des organismes du NHS pour assumer la prise en charge
financière de tels soins et, d’autre part, l’absence d’obligation pour
le NHS de prendre en charge des soins hospitaliers reçus par un patient
qui relève de lui dans un établissement privé situé en Angleterre ou au
pays de Galles. Elle souhaite également savoir si l’absence de demande
d’autorisation ou de notification préalable à l’organisme compétent du
NHS a une incidence sur l’interprétation de l’article 49 CE.
82 Par
sa deuxième question, elle demande si, pour répondre à la première, il
importe de déterminer si les soins hospitaliers prodigués dans le cadre
du NHS constituent des services au sens de l’article 49 CE.
83 Dans
sa troisième question, elle énumère, dans l’hypothèse où cette dernière
disposition serait applicable, une série d’éléments dont elle cherche à
savoir s’ils peuvent être valablement invoqués par les autorités
nationales compétentes pour refuser de délivrer l’autorisation préalable
nécessaire à la prise en charge par le NHS d’un traitement hospitalier
envisagé dans un autre État membre.
84 La
quatrième question, qui se confond avec la troisième, vise à savoir
quels facteurs peuvent ou doivent être pris en compte pour apprécier si
le traitement hospitalier requis par l’état de santé du patient peut
être dispensé sans retard injustifié dans un établissement relevant du
NHS et si, par conséquent, l’autorisation sollicitée par ce patient en
vue de la prise en charge d’un traitement envisagé dans un autre État
membre peut être refusée par l’institution compétente.
85 Pour
répondre à ces questions, il y a lieu d’abord de déterminer si
l’article 49 CE est applicable à des faits tels que ceux en cause
au principal.
86 À
cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence
constante, les prestations médicales fournies contre rémunération
relèvent du champ d’application des dispositions relatives à la libre
prestation des services (voir, notamment, arrêts du 4 octobre 1991,
Society for the Protection of Unborn Children Ireland, C‑159/90, Rec.
p. I‑4685, point 18, ainsi que Kohll, précité, point 29), sans
qu’il y ait lieu de distinguer selon que les soins sont dispensés dans
un cadre hospitalier ou en dehors d’un tel cadre (arrêts précités
Vanbraekel e.a., point 41; Smits et Peerbooms, point 53; Müller-Fauré et
van Riet, point 38, ainsi que Inizan, point 16).
87 Il
a aussi été jugé que la libre prestation des services inclut la liberté
des destinataires de services, notamment des personnes devant recevoir
des soins médicaux, de se rendre dans un autre État membre pour y
bénéficier de ces services (voir arrêt du 31 janvier 1984, Luisi et
Carbone, 286/82 et 26/83, Rec. p. 377, point 16).
88 Force est de constater, en ce qui concerne le litige au principal, que Mme Watts
a rétribué directement l’établissement, situé dans un autre État
membre, dans lequel un traitement lui a été dispensé.
89 La
circonstance que le remboursement des soins hospitaliers en cause est
ultérieurement sollicité auprès d’un service national de santé tel que
celui en cause dans l’affaire au principal n’est pas de nature à écarter
l’application des règles de la libre prestation des services garantie
par le traité (voir, en ce sens, arrêts précités Smits et Peerbooms,
point 55, ainsi que Müller-Fauré et van Riet, point 39). Il a déjà été
jugé qu’une prestation médicale ne perd pas sa qualification de
prestation de services au sens de l’article 49 CE au motif que le
patient, après avoir rétribué le prestataire étranger pour les soins
reçus, sollicite ultérieurement la prise en charge de ces soins par un
service national de santé (voir arrêt Müller-Fauré et van Riet, précité,
point 103).
90 Il
convient donc d’admettre que l’article 49 CE s’applique à la
situation d’une patiente qui, telle Mme Watts, reçoit
dans un autre État membre que son État de résidence des prestations
médicales en milieu hospitalier contre rémunération, indépendamment du
mode de fonctionnement du système national dont cette personne relève et
auprès duquel la prise en charge de ces prestations est ultérieurement
sollicitée.
91 Sans
qu’il soit besoin, en l’occurrence, de déterminer si les prestations de
soins hospitaliers fournies dans le cadre d’un service national de
santé tel que le NHS constituent en elles-mêmes des services au sens des
dispositions du traité sur la libre prestation des services, il
convient donc de considérer qu’une situation, telle que celle à
l’origine du litige au principal, dans laquelle une personne dont l’état
de santé nécessite des soins hospitaliers se rend dans un autre État
membre et y reçoit les soins en cause contre rémunération, relève du
champ d’application desdites dispositions.
92 S’il
est constant que le droit communautaire ne porte pas atteinte à la
compétence des États membres pour aménager leurs systèmes de sécurité
sociale et que, en l’absence d’une harmonisation au niveau
communautaire, il appartient à la législation de chaque État membre de
déterminer les conditions d’octroi des prestations en matière de
sécurité sociale, il demeure toutefois que, dans l’exercice de cette
compétence, les États membres doivent respecter le droit communautaire,
notamment les dispositions relatives à la libre prestation des services
(voir, notamment, arrêts précités Smits et Peerbooms, points 44 à 46;
Müller-Fauré et van Riet, point 100, ainsi que Inizan, point 17).
Lesdites dispositions comportent l’interdiction pour les États membres
d’introduire ou de maintenir des restrictions injustifiées à l’exercice
de cette liberté dans le domaine des soins de santé.
93 Il
y a donc lieu de rechercher l’existence d’une telle restriction dans
une situation telle que celle en cause au principal.
94 À
cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence bien
établie, l’article 49 CE s’oppose à l’application de toute
réglementation nationale ayant pour effet de rendre la prestation de
services entre États membres plus difficile que la prestation de
services purement interne à un État membre (arrêts du 5 octobre 1994,
Commission/France, C‑381/93, Rec. p. I‑5145, point 17; Kohll,
précité, point 33, ainsi que Smits et Peerbooms, précité, point 61).
95 En
l’occurrence, il ressort de la décision de la juridiction de renvoi du
20 février 2004 ainsi que de la décision de renvoi, en particulier de la
troisième question, que, si les patients relevant du NHS ont, certes,
la possibilité d’avoir recours à un établissement de soins hospitaliers
situé dans un autre État membre, il n’en demeure pas moins que, à défaut
d’une autorisation préalable, le patient ne peut pas obtenir, à la
charge du NHS, des prestations de soins dans un tel établissement.
96 Il
est vrai, comme l’ont fait valoir les gouvernements du Royaume-Uni et
espagnol, l’Irlande, ainsi que les gouvernements maltais et finlandais,
qu’un patient relevant du NHS n’a pas le choix du moment et du lieu
auxquels les prestations de soins hospitaliers requis par son état de
santé lui seront fournies dans le cadre des infrastructures du NHS.
Toutefois, il est constant que, à l’obligation mise à la charge du
ministre de la Santé par les articles 1er et 3 de la NHS Act
(voir point 6 du présent arrêt), correspond l’obtention gratuite, dans
les établissements relevant du NHS, de prestations disponibles dans le
cadre de celui-ci, sans que cette obtention soit soumise à une
autorisation préalable.
97 Par
conséquent, tandis que, selon la décision du 20 février 2004 et la
décision de renvoi, une autorisation préalable conditionne la prise en
charge par le NHS de soins hospitaliers disponibles dans un autre État
membre, l’obtention gratuite de prestations disponibles dans le cadre du
NHS ne dépend, en revanche, pas d’une telle autorisation, seules les
modalités de cette obtention étant sujettes à une décision préalable des
autorités nationales compétentes.
98 Il
convient donc d’admettre que le système d’autorisation préalable
mentionné au point 95 du présent arrêt décourage, voire empêche, les
patients concernés de s’adresser à des prestataires de soins
hospitaliers établis dans un autre État membre et constitue, tant pour
ces patients que pour les prestataires, un obstacle à la libre
prestation des services (voir, en ce sens, arrêts précités Smits et
Peerbooms, point 69, ainsi que Müller-Fauré et van Riet, point 44).
99 Cette
analyse n’est pas remise en cause par le fait, visé dans la première
question, sous b), que le NHS n’est pas tenu d’autoriser et de prendre
en charge les soins hospitaliers prodigués aux patients dans des
établissements privés, ne relevant pas du NHS, situés en Angleterre et
au pays de Galles.
100 En
effet, pour appliquer la jurisprudence rappelée au point 94 du présent
arrêt, ce n’est pas au sort réservé par le droit national aux
prestations de soins hospitaliers reçues par des patients dans des
établissements locaux privés qu’il convient de comparer les conditions
de prise en charge, par ledit service, de soins hospitaliers envisagés
dans un autre État membre. Au contraire, la comparaison doit être
effectuée avec les conditions dans lesquelles sont fournies de telles
prestations par ce service dans le cadre des infrastructures
hospitalières relevant de celui-ci.
101 L’existence
d’une restriction à la libre prestation des services étant établie, et
avant de se prononcer sur la question de savoir si un patient relevant
du NHS est en droit, en vertu de l’article 49 CE, de bénéficier, à
la charge du service national concerné, de soins médicaux fournis en
milieu hospitalier dans un autre État membre sans être gêné par cette
restriction, il y a lieu d’examiner si celle-ci peut être objectivement
justifiée.
102 À
cet égard, il convient de rappeler, à l’instar de ce qui a été fait
dans un grand nombre d’observations soumises à la Cour, les impératifs
susceptibles d’être retenus aux fins de justifier des obstacles à la
libre prestation de services médicaux fournis dans un cadre hospitalier.
103 La
Cour a précédemment jugé qu’il ne saurait être exclu qu’un risque
d’atteinte grave à l’équilibre financier du système de sécurité sociale
puisse constituer une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de
justifier une entrave au principe de la libre prestation des services
(arrêts précités Kohll, point 41; Smits et Peerbooms, point 72, ainsi
que Müller-Fauré et van Riet, point 73).
104 La
Cour a de même reconnu que l’objectif de maintenir un service médical
et hospitalier équilibré et accessible à tous peut également relever des
dérogations pour des raisons de santé publique au titre de l’article
46 CE, dans la mesure où un tel objectif contribue à la réalisation
d’un niveau élevé de protection de la santé (arrêts précités Kohll,
point 50; Smits et Peerbooms, point 73, ainsi que Müller-Fauré et van
Riet, point 67).
105 La
Cour a encore précisé que l’article 46 CE permet aux États membres
de restreindre la libre prestation des services médicaux et
hospitaliers, dans la mesure où le maintien d’une capacité de soins ou
d’une compétence médicale sur le territoire national est essentiel pour
la santé publique, voire même pour la survie de sa population (arrêts
précités Kohll, point 51; Smits et Peerbooms, point 74, ainsi que
Müller-Fauré et van Riet, point 67).
106 Il
convient dès lors de vérifier si la restriction en cause peut
effectivement être justifiée au regard de telles raisons impérieuses et
de s’assurer le cas échéant, conformément à une jurisprudence constante,
qu’elle n’excède pas ce qui est objectivement nécessaire à cette fin et
que ce résultat ne peut être obtenu par des règles moins contraignantes
(voir arrêt Smits et Peerbooms, précité, point 75, ainsi que
jurisprudence citée).
107 S’agissant
des prestations médicales dispensées dans un établissement hospitalier,
la Cour a déjà exprimé, aux points 76 à 80 de l’arrêt Smits et
Peerbooms, précité, les considérations suivantes.
108 Il
est notoire que le nombre des infrastructures hospitalières, leur
répartition géographique, leur aménagement et les équipements dont elles
sont pourvues, ou encore la nature des services médicaux qu’elles sont à
même d’offrir, doivent pouvoir faire l’objet d’une planification,
laquelle répond, en règle générale, à diverses préoccupations.
109 D’une
part, cette planification poursuit l’objectif de garantir sur le
territoire de l’État concerné une accessibilité suffisante et permanente
à une gamme équilibrée de soins hospitaliers de qualité. D’autre part,
elle participe d’une volonté d’assurer une maîtrise des coûts et
d’éviter, dans la mesure du possible, tout gaspillage de ressources
financières, techniques et humaines. Un tel gaspillage s’avérerait en
effet d’autant plus dommageable qu’il est constant que le secteur des
soins hospitaliers engendre des coûts considérables et doit répondre à
des besoins croissants, tandis que les ressources financières pouvant
être consacrées aux soins de santé ne sont, quel que soit le mode de
financement utilisé, pas illimitées.
110 Dans
cette double perspective, l’exigence consistant à soumettre à une
autorisation préalable la prise en charge financière par le système
national de soins hospitaliers envisagés dans un autre État membre
apparaît comme une mesure tout à la fois nécessaire et raisonnable.
111 S’agissant
du système néerlandais d’assurance maladie, en cause dans les affaires
ayant donné lieu à l’arrêt Smits et Peerbooms, précité, la Cour a admis,
au point 81 de celui-ci que, si les patients pouvaient librement et en
toutes circonstances faire appel à des établissements hospitaliers avec
lesquels leur caisse de maladie n’a conclu aucune convention, qu’il
s’agisse d’établissements situés aux Pays-Bas ou dans un autre État
membre, tout l’effort de planification opéré au travers du système de
conventionnement, en vue de contribuer à garantir une offre de soins
hospitaliers qui soit rationalisée, stable, équilibrée et accessible,
s’en trouverait du même coup compromis.
112 Ces
considérations, exprimées à propos d’un système de sécurité sociale
reposant sur un régime de conventionnement entre les caisses publiques
de maladie et les prestataires de soins hospitaliers, et qui autorisent,
au nom d’impératifs de planification, à assortir de limites le droit
des patients de recourir, à la charge du système national dont ils
relèvent, à des prestataires de soins hospitaliers ne relevant pas dudit
système, peuvent être reprises pour un service national de santé tel
que le NHS.
113 Au
vu de ce qui précède, et pour répondre à la première question, sous c),
le droit communautaire, en particulier l’article 49 CE, ne
s’oppose donc pas à ce que le droit d’un patient d’obtenir des soins
hospitaliers dans un autre État membre à la charge du système dont il
relève soit soumis à une mesure d’autorisation préalable.
114 Néanmoins,
il est nécessaire que les conditions mises à l’octroi d’une telle
autorisation soient justifiées au regard des impératifs susvisés et
qu’elles satisfassent à l’exigence de proportionnalité rappelée au point
106 du présent arrêt (voir, en ce sens, arrêts précités Smits et
Peerbooms, point 82, ainsi que Müller-Fauré et van Riet, point 83).
115 Il
résulte d’une jurisprudence constante qu’un régime d’autorisation
préalable ne saurait légitimer un comportement discrétionnaire de la
part des autorités nationales, de nature à priver les dispositions
communautaires, notamment celles relatives à une liberté fondamentale
telle que celle en cause au principal, de leur effet utile (voir arrêts
précités Smits et Peerbooms, point 90, ainsi que Müller-Fauré et van
Riet, point 84, et jurisprudence citée à ces points).
116 Dès
lors, pour qu’un régime d’autorisation préalable soit justifié alors
même qu’il déroge à une telle liberté fondamentale, il doit, en tout
état de cause, être fondé sur des critères objectifs, non
discriminatoires et connus à l’avance, de manière à encadrer l’exercice
du pouvoir d’appréciation des autorités nationales afin que celui-ci ne
soit pas exercé de manière arbitraire. Un tel régime d’autorisation doit
en outre reposer sur un système procédural aisément accessible et
propre à garantir aux intéressés que leur demande sera traitée dans un
délai raisonnable et avec objectivité et impartialité, d’éventuels refus
d’autorisation devant en outre pouvoir être mis en cause dans le cadre
d’un recours juridictionnel (arrêts précités Smits et Peerbooms, point
90, ainsi que Müller-Fauré et van Riet, point 85).
117 À
cette fin, les refus d’autorisation, ou les avis sur lesquels ces refus
sont éventuellement fondés, doivent viser les dispositions spécifiques
sur lesquelles ils reposent et être dûment motivés au regard de ces
dernières. De même, les juridictions saisies d’un recours contre de
telles décisions de refus doivent être à même, si elles l’estiment
nécessaire aux fins d’exercer le contrôle qui leur incombe, de
s’entourer de l’avis d’experts indépendants offrant toutes garanties
d’objectivité et d’impartialité (voir, en ce sens, arrêt Inizan,
précité, point 49).
118 Or,
en ce qui concerne le litige au principal, il convient de relever, à
l’instar de la Commission, que la réglementation relative au NHS ne
précise pas les critères d’octroi ou de refus de l’autorisation
préalable nécessaire à la prise en charge de soins dispensés dans un
cadre hospitalier situé dans un autre État membre. Ladite réglementation
n’encadre donc pas l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités
nationales compétentes à cet égard. Cette absence d’encadrement
juridique rend par ailleurs difficile le contrôle juridictionnel des
décisions de refus d’autorisation.
119 S’agissant
des circonstances et des facteurs mentionnés dans les troisième et
quatrième questions, il y a lieu de considérer, compte tenu de l’analyse
exposée aux points 59 à 77 du présent arrêt, qu’un refus d’autorisation
préalable ne peut être fondé sur la seule existence de listes d’attente
destinées à planifier et à gérer l’offre hospitalière en fonction de
priorités cliniques préétablies en termes généraux, sans qu’il ait été
procédé, dans le cas individuel concerné, à une évaluation médicale
objective de l’état pathologique du patient, de ses antécédents, de
l’évolution probable de sa maladie, du degré de sa douleur et/ou de la
nature de son handicap lors de l’introduction ou du renouvellement de la
demande d’autorisation.
120 Il
s’ensuit que, lorsque le délai découlant de telles listes d’attente
s’avère excéder, dans le cas individuel concerné, le délai acceptable
compte tenu d’une évaluation médicale objective de l’ensemble des
circonstances caractérisant la situation et les besoins cliniques de
l’intéressé, l’institution compétente ne peut refuser l’autorisation
sollicitée en se fondant sur des motifs tirés de l’existence de ces
listes d’attente, d’une prétendue atteinte portée à l’ordre normal des
priorités lié au degré d’urgence respectif des cas à traiter, de la
gratuité des soins hospitaliers prodigués dans le cadre du système
national en cause, de l’obligation de prévoir des moyens financiers
spécifiques aux fins de la prise en charge du traitement envisagé dans
un autre État membre et/ou d’une comparaison des coûts de ce traitement
et de ceux d’un traitement équivalent dans l’État membre compétent.
121 Quant
aux éléments mentionnés dans la première question, sous a), et dans la
troisième question, sous d), il convient d’ajouter à l’analyse
développée aux points 59 à 77 du présent arrêt que, bien que le droit
communautaire ne porte pas atteinte à la compétence des États membres
pour aménager leur système de sécurité sociale et décider du niveau des
ressources à affecter à leur fonctionnement, la réalisation des libertés
fondamentales garanties par le traité oblige toutefois inévitablement
les États membres à y apporter des adaptations, sans pour autant que
l’on puisse considérer qu’il y aurait de ce fait atteinte à leur
compétence souveraine en la matière (voir arrêt Müller-Fauré et van
Riet, précité, points 100 et 102).
122 Ainsi
que le relève M. l’avocat général au point 88 de ses conclusions, il
convient donc d’admettre que la nécessité pour les États membres de
concilier les principes et l’économie de leur système de soins de santé,
d’une part, et les exigences découlant des libertés communautaires,
d’autre part, comporte, au même titre que les exigences découlant de
l’article 22 du règlement n° 1408/71, l’obligation, pour les
autorités responsables d’un service national de santé tel que le NHS, de
prévoir des mécanismes de prise en charge financière de soins
hospitaliers prodigués dans un autre État membre à des patients auxquels
ledit service ne serait pas en mesure de fournir le traitement requis
dans un délai médicalement acceptable au sens précisé au point 68 du
présent arrêt.
123 Au vu de ce qui précède, il convient de répondre aux quatre premières questions comme suit:
– L’article
49 CE s’applique à une situation dans laquelle une personne dont
l’état de santé nécessite des soins hospitaliers se rend dans un autre
État membre et y reçoit de tels soins contre rémunération, sans qu’il
soit besoin d’examiner si les prestations de soins hospitaliers fournies
dans le cadre du système national dont relève cette personne
constituent en elles-mêmes des services au sens des dispositions sur la
libre prestation des services.
– L’article
49 CE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce
que la prise en charge de soins hospitaliers envisagés dans un
établissement situé dans un autre État membre soit subordonnée à
l’obtention d’une autorisation préalable de l’institution compétente.
– Un
refus d’autorisation préalable ne peut être fondé sur la seule
existence de listes d’attente destinées à planifier et à gérer l’offre
hospitalière en fonction de priorités cliniques préétablies en termes
généraux, sans qu’il ait été procédé à une évaluation médicale objective
de l’état pathologique du patient, de ses antécédents, de l’évolution
probable de sa maladie, du degré de sa douleur et/ou de la nature de son
handicap lors de l’introduction ou du renouvellement de la demande
d’autorisation.
Lorsque le délai découlant de
telles listes d’attente s’avère excéder le délai acceptable compte tenu
d’une évaluation médicale objective des éléments précités, l’institution
compétente ne peut refuser l’autorisation sollicitée en se fondant sur
des motifs tirés de l’existence de ces listes d’attente, d’une prétendue
atteinte portée à l’ordre normal des priorités lié au degré d’urgence
respectif des cas à traiter, de la gratuité des soins hospitaliers
prodigués dans le cadre du système national en cause, de l’obligation de
prévoir des moyens financiers spécifiques aux fins de la prise en
charge du traitement envisagé dans un autre État membre et/ou d’une
comparaison des coûts de ce traitement et de ceux d’un traitement
équivalent dans l’État membre compétent.
Sur la sixième question
124 Par
cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la
prise en charge, à laquelle serait tenu un État membre en vertu du droit
communautaire, du coût de soins hospitaliers prodigués dans un autre
État membre, doit être calculée, en vertu de l’article 22 du règlement
n° 1408/71, conformément à la législation de l’État membre dans
lequel lesdits soins ont été fournis (État membre de séjour) ou, en
vertu de l’article 49 CE, conformément à la législation de l’État
membre de résidence du patient (État membre compétent). Elle souhaite
également connaître l’incidence, sur la question de cette prise en
charge, de la gratuité des soins hospitaliers prodigués dans le cadre du
service national de santé en cause et de l’absence corrélative de
barème de remboursement dans la législation de l’État membre compétent.
Elle demande aussi si l’obligation de prise en charge du coût d’un
traitement hospitalier prodigué dans l’État membre de séjour couvre les
frais de voyage et de logement.
125 À
cet égard, il y a lieu, tout d’abord, de rappeler que le patient qui,
ayant sollicité une autorisation au titre de l’article 22, paragraphe 1,
sous c), i), du règlement n° 1408/71, s’est vu accorder cette
autorisation ou s’est heurté à un refus dont le caractère non fondé
serait ultérieurement établi doit bénéficier, selon les termes mêmes de
cette disposition, des prestations en nature servies, pour le compte de
l’institution compétente, par l’institution de l’État membre de séjour,
selon les dispositions de la législation de ce dernier, comme s’il
relevait de cette dernière institution (voir arrêts précités Vanbraekel
e.a., point 32; Inizan, point 20, et Keller, point 65).
126 Il
s’ensuit que, en pareille hypothèse, ce sont les modalités
d’intervention prévues par la législation de l’État membre de séjour qui
doivent trouver à s’appliquer, à charge pour l’institution compétente
de rembourser ultérieurement l’institution dudit État dans les
conditions prévues à l’article 36 du règlement n° 1408/71 (voir
arrêt Vanbraekel e.a., précité, point 33).
127 La
circonstance que, en raison de la gratuité des soins hospitaliers dans
le service national de santé en cause, la législation de l’État membre
compétent ne comporte pas de barème de remboursement n’est pas de nature
à empêcher l’application des dispositions des articles 22, paragraphe
1, sous c), i), et 36 du règlement n° 1408/71. En effet,
l’obligation pesant sur l’institution compétente, dans le cadre du
système institué par ces dispositions, consiste à rembourser
l’institution de l’État membre de séjour à concurrence du montant des
prestations servies par cette dernière en application des dispositions
dudit État, sans qu’il soit besoin, à cet effet, de se référer à un
quelconque barème de remboursement au titre de la législation de l’État
membre compétent.
128 Il
convient, ensuite, d’examiner si un patient relevant du NHS est en
droit d’obtenir de l’institution compétente, au titre de l’article
49 CE, une prise en charge du traitement hospitalier reçu dans
l’État membre de séjour, supérieure à celle découlant de l’application
des dispositions de la législation de cet État.
129 À
cet égard, il y a lieu de rappeler que la Cour a déjà jugé que le fait
pour la législation de l’État membre compétent de ne pas garantir à un
patient, relevant de cette législation, qui a été autorisé à subir une
hospitalisation dans un autre État membre conformément à l’article 22,
paragraphe 1, sous c), du règlement n° 1408/71, un niveau de prise en
charge analogue à celui dont ce patient aurait bénéficié s’il avait été
hospitalisé dans l’État membre compétent constitue une restriction
injustifiée à la libre prestation des services au sens de l’article 49
CE (voir arrêt Vanbraekel e.a., précité, points 43 à 52).
130 À
la lumière de cette jurisprudence, dans le contexte d’une
réglementation nationale qui, telle celle en cause dans l’affaire au
principal, prévoit la gratuité des soins hospitaliers prodigués dans les
établissements relevant du service national de santé qu’elle institue,
il convient de considérer que l’existence d’une entrave à la libre
prestation des services est exclue dans l’hypothèse où le patient,
relevant dudit service, qui a été autorisé à recevoir un traitement
hospitalier dans un autre État membre conformément à l’article 22,
paragraphe 1, sous c), i), du règlement n° 1408/71, ou qui a essuyé
un refus d’autorisation dont le caractère non fondé serait
ultérieurement établi, a droit à la prise en charge intégrale du coût
dudit traitement en application des dispositions de la législation de
l’État membre de séjour. En effet, l’intéressé n’est tenu en pareil cas à
aucune contribution financière en rapport avec le coût de ce
traitement.
131 En
revanche, dans l’hypothèse d’une absence de prise en charge intégrale,
au titre de la législation de l’État membre de séjour, du coût du
traitement hospitalier prodigué dans celui-ci, le rétablissement du
patient dans la situation qui eût été la sienne si le service national
de santé dont il relève avait été en mesure de lui fournir gratuitement,
dans un délai médicalement acceptable, un traitement équivalent à celui
reçu dans l’État membre de séjour implique, pour l’institution
compétente, une obligation d’intervention complémentaire en faveur de
l’intéressé à concurrence de la différence entre, d’une part, le montant
correspondant au coût, objectivement quantifié, de ce traitement
équivalent, plafonné, le cas échéant, à hauteur du montant global
facturé pour le traitement reçu dans l’État membre de séjour, et,
d’autre part, le montant de l’intervention de l’institution dudit État
découlant de l’application de la législation de cet État, lorsque le
premier montant est supérieur au second.
132 Contrairement à la position défendue par Mme Watts
dans ses observations écrites, l’obligation qui serait faite à
l’institution compétente de couvrir en toutes circonstances
l’intégralité de la différence entre le montant du coût du traitement
hospitalier prodigué dans l’État membre de séjour et celui de
l’intervention de l’institution dudit État membre en application des
dispositions de celui-ci, y compris lorsque le coût de ce traitement est
supérieur au coût d’un traitement équivalent dans l’État membre
compétent, reviendrait à faire bénéficier le patient concerné d’un
niveau de couverture excédant l’étendue du droit dont celui-ci dispose à
l’égard du service national de santé dont il relève.
133 Il
convient encore de préciser que, dans le contexte d’une législation
qui, comme celle en cause dans l’affaire au principal, comporte, selon
les indications contenues dans la décision de renvoi (voir point 22 du
présent arrêt), des règles visant à déterminer le montant des frais qui
doivent en principe être facturés à certains patients étrangers, et
recouvrés auprès de ceux-ci, pour des soins dispensés dans un
établissement hospitalier relevant du service national de santé,
lesdites règles peuvent constituer d’utiles instruments de référence
pour déterminer, aux fins de la quantification visée au point 131 du
présent arrêt, le coût que représente, dans l’État membre compétent, un
traitement hospitalier dans un établissement relevant dudit service,
équivalent à celui dispensé au patient dans l’État membre de séjour.
134 En
ce qui concerne les frais de voyage et de logement, il y a lieu de
relever, s’agissant du régime d’autorisation institué à l’article 22,
paragraphe 1, sous c), i), du règlement n° 1408/71, que cette
disposition confère au patient le droit de bénéficier des «prestations
en nature» servies, pour le compte de l’institution compétente, par
l’institution de l’État membre de séjour selon les dispositions mises en
œuvre par cette dernière.
135 Ainsi
que le confirment les termes de l’article 22, paragraphe 2, second
alinéa, du règlement n° 1408/71, le paragraphe 1, sous c), i), du
même article a pour seul but de conférer aux patients relevant de la
législation d’un État membre et munis d’une autorisation de
l’institution compétente un accès aux «soins» dans un autre État membre
dans des conditions d’intervention aussi favorables que celles dont
bénéficient les patients qui relèvent de la législation de ce dernier
État membre (voir arrêts précités Vanbraekel e.a., point 32, et Inizan,
point 21).
136 L’obligation
incombant à l’institution compétente au titre des articles 22 et 36 du
règlement n° 1408/71 porte donc exclusivement sur les dépenses
liées aux soins de santé obtenus par le patient dans l’État membre de
séjour, à savoir, s’agissant de soins de nature hospitalière, les coûts
des prestations médicales proprement dites ainsi que les dépenses,
indissociablement liées, afférentes au séjour de l’intéressé dans
l’établissement hospitalier pour les besoins de son traitement.
137 La
caractéristique essentielle des «prestations en nature» au sens du
règlement n° 1408/71 est en effet que celles-ci sont «destinées à
couvrir des soins reçus par l’assuré» sous la forme d’une prise en
charge ou d’un remboursement des «frais de nature médicale» entraînés
par l’état de celui-ci (voir, dans le contexte d’un régime légal relatif
à l’assurance sociale contre le risque de dépendance, arrêt du 5 mars
1998, Molenaar, C‑160/96, Rec. p. I‑843, points 32 et 34).
138 N’ayant
donc pas pour objet de réglementer la question des frais accessoires,
tels que les frais de déplacement et d’hébergement éventuel en dehors de
l’établissement hospitalier même, encourus par un patient autorisé par
l’institution compétente à se rendre dans un autre État membre pour y
recevoir des soins appropriés à son état de santé, l’article 22 du
règlement n° 1408/71 ne prescrit pas, mais n’interdit pas non plus,
la prise en charge de tels frais. Dans ces conditions, il y a lieu
d’examiner si l’obligation d’une telle prise en charge est susceptible
de résulter de l’article 49 CE (voir, dans un sens analogue, arrêt
Vanbraekel e.a., précité, point 37).
139 À
cet égard, il découle de la jurisprudence rappelée au point 94 du
présent arrêt que la législation d’un État membre ne saurait, sans
enfreindre l’article 49 CE, exclure la prise en charge des frais
accessoires encourus par un patient autorisé à se rendre dans un autre
État membre pour y recevoir un traitement hospitalier, alors qu’elle
prévoirait la prise en charge de ces frais lorsque le traitement est
prodigué dans un établissement relevant du système national en cause.
140 En
revanche, un État membre n’est pas tenu, au titre de l’article
49 CE, de prévoir l’obligation pour ses institutions compétentes de
prendre en charge les frais accessoires afférents à un déplacement
transfrontalier autorisé à des fins médicales, alors qu’une telle
obligation n’existerait pas pour de tels frais lorsque ceux-ci sont liés
à un déplacement à l’intérieur du territoire national.
141 Dans
ces conditions, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si
la réglementation britannique prévoit la prise en charge des frais
accessoires liés à un tel déplacement à l’intérieur du Royaume-Uni.
142 Si
tel est le cas, le patient qui aurait été autorisé à se rendre dans un
autre État membre pour y recevoir des soins hospitaliers, ou qui aurait
essuyé un refus d’autorisation dont il serait ultérieurement établi
qu’il n’était pas fondé, est en droit, comme l’a exposé le gouvernement
belge dans ses observations écrites et ainsi que l’indique M. l’avocat
général au point 118 de ses conclusions, de solliciter la prise en
charge des frais accessoires liés à ce déplacement médical
transfrontalier dans les mêmes conditions et limites, objectives et
transparentes, que celles fixées par la législation compétente pour la
prise en charge des frais accessoires liés à un traitement médical
prodigué dans l’État membre compétent (voir, en ce sens, arrêt du 18
mars 2004, Leichtle, C‑8/02, Rec. p. I‑2641, particulièrement
points 41 à 48).
143 Au vu de ce qui précède, il convient de répondre comme suit à la sixième question:
– L’article
49 CE doit être interprété en ce sens que, dans l’hypothèse où la
législation de l’État membre compétent prévoit la gratuité des soins
hospitaliers prodigués dans le cadre d’un service national de santé, et
où la législation de l’État membre dans lequel un patient relevant dudit
service a été, ou aurait dû être, autorisé à recevoir un traitement
hospitalier aux frais de ce service ne prévoit pas une prise en charge
intégrale du coût dudit traitement, il doit être accordé à ce patient,
par l’institution compétente, un remboursement correspondant à la
différence éventuelle entre, d’une part, le montant du coût,
objectivement quantifié, d’un traitement équivalent dans un
établissement relevant du service en cause, plafonné, le cas échéant, à
hauteur du montant global facturé pour le traitement prodigué dans
l’État membre de séjour, et, d’autre, part, le montant à concurrence
duquel l’institution de ce dernier État membre est tenue d’intervenir,
au titre de l’article 22, paragraphe 1, sous c), i), du règlement
n° 1408/71, pour le compte de l’institution compétente, en
application des dispositions de la législation de cet État membre.
– L’article
22, paragraphe 1, sous c), i), du règlement n° 1408/71 doit être
interprété en ce sens que le droit qu’il confère au patient concerné
porte exclusivement sur les dépenses liées aux soins de santé reçus par
ce patient dans l’État membre de séjour, à savoir, s’agissant de soins
de nature hospitalière, les coûts des prestations médicales proprement
dites ainsi que les dépenses, indissociablement liées, afférentes au
séjour de l’intéressé dans l’établissement hospitalier.
– L’article
49 CE doit être interprété en ce sens qu’un patient qui a été
autorisé à se rendre dans un autre État membre pour y recevoir des soins
hospitaliers ou qui a essuyé un refus d’autorisation dont il est
ultérieurement établi qu’il n’était pas fondé, n’est en droit de
réclamer à l’institution compétente la prise en charge des frais
accessoires liés à ce déplacement transfrontalier à des fins médicales
que pour autant que la législation de l’État membre compétent impose au
système national une obligation de prise en charge correspondante dans
le cadre d’un traitement prodigué dans un établissement local relevant
dudit système.
Sur la septième question
144 Par
cette question, la juridiction de renvoi demande si l’article
49 CE et l’article 22 du règlement n° 1408/71 doivent être
compris comme imposant aux États membres de financer des soins
hospitaliers prodigués dans d’autres États membres en faisant
abstraction de contraintes d’ordre budgétaire et, le cas échéant, si une
telle obligation est compatible avec l’article 152, paragraphe 5, CE.
145 À
cet égard, il convient de souligner, tout d’abord, que, ainsi qu’il
ressort des considérations exposées dans le cadre des réponses aux six
premières questions, les exigences découlant des articles 49 CE et
22 du règlement n° 1408/71 ne sauraient être comprises comme
imposant aux États membres d’assumer la prise en charge de soins
hospitaliers prodigués dans d’autres États membres en faisant
abstraction de toute considération d’ordre budgétaire, mais reposent, au
contraire, sur la recherche d’un équilibre entre l’objectif de libre
circulation des patients, d’une part, et les impératifs nationaux de
planification des capacités hospitalières disponibles, de maîtrise des
dépenses de santé et d’équilibre financier des systèmes de sécurité
sociale, d’autre part.
146 Ensuite,
il y a lieu de relever que, aux termes de l’article 152, paragraphe 5,
CE, l’action de la Communauté dans le domaine de la santé publique
respecte pleinement les responsabilités des États membres en matière
d’organisation et de fourniture de services de santé et de soins
médicaux.
147 Cette
disposition n’exclut cependant pas que les États membres soient tenus,
au titre d’autres dispositions du traité, telles que l’article
49 CE, ou de mesures communautaires adoptées sur le fondement
d’autres dispositions du traité, telles que l’article 22 du règlement
n° 1408/71, d’apporter des adaptations à leur système national de
sécurité sociale, sans pour autant que l’on puisse considérer qu’il y
aurait de ce fait atteinte à leur compétence souveraine en la matière
(voir, en ce sens, arrêt Müller-Fauré et van Riet, précité, point 102;
voir également, par analogie, arrêt du 5 octobre 2000,
Allemagne/Parlement et Conseil, C‑376/98, Rec. p. I‑8419, point
78).
148 Au vu
de ce qui précède, il convient de répondre à la septième question que
l’obligation pour l’institution compétente, au titre tant de l’article
22 du règlement n° 1408/71 que de l’article 49 CE, d’autoriser
un patient relevant d’un service national de santé à obtenir, à la
charge de ladite institution, un traitement hospitalier dans un autre
État membre lorsque le délai d’attente excède le délai acceptable au vu
d’une évaluation médicale objective de l’état et des besoins cliniques
du patient concerné, ne contrevient pas à l’article 152, paragraphe 5,
CE.
Sur les dépens
149 La
procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère
d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à
celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des
observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent
faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:
1) L’article
22, paragraphe 2, second alinéa, du règlement (CEE) n° 1408/71 du
Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de
sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non
salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur
de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le
règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, doit être
interprété en ce sens que, pour être en droit de refuser l’autorisation
visée au paragraphe 1, sous c), i), de ce même article pour un motif
tiré de l’existence d’un délai d’attente pour un traitement hospitalier,
l’institution compétente est tenue d’établir que ce délai n’excède pas
le délai acceptable reposant sur une évaluation médicale objective des
besoins cliniques de l’intéressé à la lumière de l’ensemble des
paramètres qui caractérisent son état pathologique au moment où la
demande d’autorisation est introduite ou, le cas échéant, renouvelée.
2) L’article
49 CE s’applique à une situation dans laquelle une personne dont
l’état de santé nécessite des soins hospitaliers se rend dans un autre
État membre et y reçoit de tels soins contre rémunération, sans qu’il
soit besoin d’examiner si les prestations de soins hospitaliers fournies
dans le cadre du système national dont relève cette personne
constituent en elles-mêmes des services au sens des dispositions sur la
libre prestation des services.
L’article
49 CE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce
que la prise en charge de soins hospitaliers envisagés dans un
établissement situé dans un autre État membre soit subordonnée à
l’obtention d’une autorisation préalable de l’institution compétente.
Un
refus d’autorisation préalable ne peut être fondé sur la seule
existence de listes d’attente destinées à planifier et à gérer l’offre
hospitalière en fonction de priorités cliniques préétablies en termes
généraux, sans qu’il ait été procédé à une évaluation médicale objective
de l’état pathologique du patient, de ses antécédents, de l’évolution
probable de sa maladie, du degré de sa douleur et/ou de la nature de son
handicap lors de l’introduction ou du renouvellement de la demande
d’autorisation.
Lorsque le
délai découlant de telles listes s’avère excéder le délai acceptable
compte tenu d’une évaluation médicale objective des éléments précités,
l’institution compétente ne peut refuser l’autorisation sollicitée en se
fondant sur des motifs tirés de l’existence de ces listes d’attente,
d’une prétendue atteinte portée à l’ordre normal des priorités lié au
degré d’urgence respectif des cas à traiter, de la gratuité des soins
hospitaliers prodigués dans le cadre du système national en cause, de
l’obligation de prévoir des moyens financiers spécifiques aux fins de la
prise en charge du traitement envisagé dans un autre État membre et/ou
d’une comparaison des coûts de ce traitement et de ceux d’un traitement
équivalent dans l’État membre compétent.
3) L’article
49 CE doit être interprété en ce sens que, dans l’hypothèse où la
législation de l’État membre compétent prévoit la gratuité des soins
hospitaliers prodigués dans le cadre d’un service national de santé, et
où la législation de l’État membre dans lequel un patient relevant dudit
service a été, ou aurait dû être, autorisé à recevoir un traitement
hospitalier aux frais de ce service ne prévoit pas une prise en charge
intégrale du coût dudit traitement, il doit être accordé à ce patient,
par l’institution compétente, un remboursement correspondant à la
différence éventuelle entre, d’une part, le montant du coût,
objectivement quantifié, d’un traitement équivalent dans un
établissement relevant du service en cause, plafonné, le cas échéant, à
hauteur du montant global facturé pour le traitement prodigué dans
l’État membre de séjour, et, d’autre part, le montant à concurrence
duquel l’institution de ce dernier État membre est tenue d’intervenir,
au titre de l’article 22, paragraphe 1, sous c), i), du règlement
n° 1408/71, dans sa version modifiée et mise à jour par le
règlement n° 118/97, pour le compte de l’institution compétente, en
application des dispositions de la législation de cet État membre.
L’article
22, paragraphe 1, sous c), i), dudit règlement n° 1408/71 doit
être interprété en ce sens que le droit qu’il confère au patient
concerné porte exclusivement sur les dépenses liées aux soins de santé
reçus par ce patient dans l’État membre de séjour, à savoir, s’agissant
de soins de nature hospitalière, les coûts des prestations médicales
proprement dites ainsi que les dépenses, indissociablement liées,
afférentes au séjour de l’intéressé dans l’établissement hospitalier.
L’article
49 CE doit être interprété en ce sens qu’un patient qui a été
autorisé à se rendre dans un autre État membre pour y recevoir des soins
hospitaliers ou qui a essuyé un refus d’autorisation dont il est
ultérieurement établi qu’il n’était pas fondé, n’est en droit de
réclamer à l’institution compétente la prise en charge des frais
accessoires liés à ce déplacement transfrontalier à des fins médicales
que pour autant que la législation de l’État membre compétent impose au
système national une obligation de prise en charge correspondante dans
le cadre d’un traitement prodigué dans un établissement local relevant
dudit système.
4) L’obligation
pour l’institution compétente, au titre tant de l’article 22 du
règlement n° 1408/71, dans sa version modifiée et mise à jour par
le règlement n° 118/97, que de l’article 49 CE, d’autoriser un
patient relevant d’un service national de santé à obtenir, à la charge
de ladite institution, un traitement hospitalier dans un autre État
membre lorsque le délai d’attente excède le délai acceptable au vu d’une
évaluation médicale objective de l’état et des besoins cliniques du
patient concerné, ne contrevient pas à l’article 152, paragraphe 5, CE.
Signatures