ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
5 juin 2014 (*)
«Renvoi
préjudiciel – Sécurité sociale – Règlement (CE)
no 883/2004 – Articles 19, paragraphe 1, et 20,
paragraphes 1 et 2 – Règlement (CE) no 987/2009 –
Article 11 – Ressortissant d’un État membre assuré dans l’État
de résidence – Survenance d’une maladie grave et soudaine lors de
vacances dans un autre État membre – Personne contrainte de
demeurer dans ce deuxième État pendant onze années en raison de sa
maladie et de la disponibilité de soins médicaux spécialisés à proximité
du lieu où elle habite – Fourniture de prestations en nature dans
ce deuxième État – Notions de ‘résidence’ et de ‘séjour’»
Dans l’affaire C‑255/13,
ayant
pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de
l’article 267 TFUE, introduite par la High Court (Irlande), par
décision du 3 mai 2013, parvenue à la Cour le 13 mai 2013,
dans la procédure
I
contre
Health Service Executive,
LA COUR (quatrième chambre),
composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, MM. M. Safjan (rapporteur), J. Malenovský, Mmes A. Prechal et K. Jürimäe, juges,
avocat général: M. N. Wahl,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 29 janvier 2014,
considérant les observations présentées:
– pour I, par MM. F. Callanan et L. McCann, SC, ainsi que par Mme G. Burke, barrister, mandatés par Mme C. Callanan, solicitor,
– pour
le Health Service Executive, par M. S. Murphy, SC, mandaté par
Arthur Cox, solicitors,
– pour l’Irlande, par M. A. Joyce et Mme E. Mc Phillips, en qualité d’agents, assistés de Mme G. Gilmore, barrister,
– pour le gouvernement grec, par Mme T. Papadopoulou, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. Bulterman et C. Schillemans, en qualité d’agents,
– pour
la Commission européenne, par MM. D. Martin et J. Tomkin, en
qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 20 mars 2014,
rend le présent
Arrêt
1 La
demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des
articles 19, paragraphe 1, et 20, paragraphes 1 et 2, du
règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du
Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes
de sécurité sociale (JO L 166, p. 1, et rectificatif JO
L 200, p. 1).
2 Cette
demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant I,
ressortissant irlandais, au Health Service Executive (direction de la
santé publique, ci-après le «HSE»), au sujet du refus de ce dernier de
lui accorder un renouvellement supplémentaire du formulaire E 112
pour couvrir les frais afférents au traitement médical qui lui est
prodigué en Allemagne.
Le cadre juridique
Le règlement (CEE) no 1408/71
3 Le règlement (CEE) no 1408/71
du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes
de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non
salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur
de la Communauté (JO L 149, p. 2), a été remplacé par le
règlement no 883/2004.
4 Conformément à son article 91 et à l’article 97 du règlement (CE) no 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement no 883/2004 (JO L 284, p. 1), le règlement no 883/2004 est devenu applicable le 1er mai 2010, date à partir de laquelle le règlement no 1408/71 a été abrogé.
5 L’article 1er du règlement no 1408/1971 contenait les définitions suivantes:
«Aux fins de l’application du présent règlement:
[...]
h) le terme ‘résidence’ signifie le séjour habituel;
i) le terme ‘séjour’ signifie le séjour temporaire;
[...]»
6 L’article 22
de ce règlement, intitulé «Séjour hors de l’État compétent –
Retour ou transfert de résidence dans un autre État membre au cours
d’une maladie ou d’une maternité – Nécessité de se rendre dans un
autre État membre pour recevoir des soins appropriés», énonçait à son
paragraphe 1:
«Le travailleur salarié
ou non salarié qui satisfait aux conditions requises par la législation
de l’État compétent pour avoir droit aux prestations, compte tenu, le
cas échéant, des dispositions de l’article 18 et:
a) dont
l’état vient à nécessiter immédiatement des prestations au cours d’un
séjour sur le territoire d’un autre État membre
ou
b) qui,
après avoir été admis au bénéfice des prestations à charge de
l’institution compétente, est autorisé par cette institution à retourner
sur le territoire de l’État membre où il réside ou à transférer sa
résidence sur le territoire d’un autre État membre
ou
c) qui
est autorisé par l’institution compétente à se rendre sur le territoire
d’un autre État membre pour y recevoir des soins appropriés à son état,
a droit:
i) aux
prestations en nature servies, pour le compte de l’institution
compétente, par l’institution du lieu de séjour ou de résidence, selon
les dispositions de la législation qu’elle applique, comme s’il y était
affilié, la durée de service des prestations étant toutefois régie par
la législation de l’État compétent;
ii) aux
prestations en espèces servies par l’institution compétente selon les
dispositions de la législation qu’elle applique. Toutefois, après accord
entre l’institution compétente et l’institution du lieu de séjour ou de
résidence, ces prestations peuvent être servies par cette dernière
institution pour le compte de la première, selon des dispositions de la
législation de l’État compétent.»
Le règlement (CEE) no 574/72
7 Le règlement (CEE) no 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d’application du règlement no 1408/71 (JO L 74, p. 1), a été remplacé par le règlement no 987/2009 qui, conformément à son article 97, est devenu applicable le 1er mai 2010.
8 L’article 21 du règlement no 574/72,
intitulé «Prestations en nature en cas de séjour dans un État membre
autre que l’État compétent – Travailleurs salariés autres que ceux
visés à l’article 20 du règlement d’application ou travailleurs non
salariés», énonçait à son paragraphe 1:
«Pour bénéficier des prestations en nature en vertu de l’article 22 paragraphe 1 point a) i) du règlement [no 1408/71]
[...], le travailleur salarié ou non salarié est tenu de présenter à
l’institution du lieu de séjour une attestation certifiant qu’il a droit
aux prestations en nature. Cette attestation, qui est délivrée par
l’institution compétente à la demande de l’intéressé, si possible avant
qu’il ne quitte le territoire de l’État membre où il réside, indique
notamment, le cas échéant, la durée maximale d’octroi des prestations en
nature, telle qu’elle est prévue par la législation de l’État
compétent. Si l’intéressé ne présente pas ladite attestation,
l’institution du lieu de séjour s’adresse à l’institution compétente
pour l’obtenir.»
9 Sur le fondement de l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 574/72,
la commission administrative pour la sécurité sociale des travailleurs
migrants visée à l’article 80, paragraphe 1, du règlement no 1408/71
a adopté un modèle pour le certificat relatif à l’application de
l’article 22, paragraphe 1, sous a), i), de ce dernier
règlement, à savoir le formulaire E 111. Ce formulaire a été
remplacé, à compter du 1er juin 2004, par la carte européenne d’assurance maladie.
10 Par
ailleurs, ladite commission administrative a adopté un modèle pour le
certificat relatif à l’application de l’article 22,
paragraphe 1, sous c), i), du règlement no 1408/71, à savoir le formulaire E 112. Ce formulaire a été remplacé, à compter du 1er mai 2010, par le formulaire S 2.
Le règlement no 883/2004
11 Les considérants 3 et 15 du règlement no 883/2004 sont rédigés comme suit:
«(3) Le [règlement no 1408/71]
a été modifié et mis à jour à de nombreuses reprises afin de tenir
compte non seulement des développements intervenus au niveau
communautaire, y compris des arrêts de la Cour de justice, mais
également des modifications apportées aux législations nationales. Ces
facteurs ont contribué à rendre les règles communautaires de
coordination complexes et lourdes. Remplacer ces règles en les
modernisant et en les simplifiant est dès lors essentiel à la
réalisation de l’objectif de la libre circulation des personnes.
[...]
(15) Il
convient de soumettre les personnes qui se déplacent à l’intérieur de
la Communauté au régime de la sécurité sociale d’un seul État membre,
afin d’éviter les cumuls de législations nationales applicables et les
complications qui peuvent en résulter.»
12 L’article 1er du règlement no 883/2004, intitulé «Définitions», dispose:
«Aux fins du présent règlement:
[...]
j) le terme ‘résidence’ désigne le lieu où une personne réside habituellement;
k) le terme ‘séjour’ signifie le séjour temporaire;
[...]
v bis) les termes ‘prestations en nature’ désignent:
i) aux
fins du titre III, chapitre 1 (prestations de maladie, de
maternité et de paternité assimilées), les prestations en nature prévues
par la législation d’un État membre qui sont destinées à fournir,
mettre à disposition, prendre en charge ou rembourser des soins de
nature médicale et des produits et services annexes à ces soins, y
compris les prestations en nature pour les soins de longue durée;
[...]»
13 L’article 11
dudit règlement, qui relève du titre II de ce dernier, intitulé
«Détermination de la législation applicable», prévoit à ses
paragraphes 1 et 3:
«1. Les
personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont
soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Cette législation
est déterminée conformément au présent titre.
[...]
3. Sous réserve des articles 12 à 16:
a) la
personne qui exerce une activité salariée ou non salariée dans un État
membre est soumise à la législation de cet État membre;
b) les
fonctionnaires sont soumis à la législation de l’État membre dont
relève l’administration qui les emploie;
c) la
personne qui bénéficie de prestations de chômage conformément aux
dispositions de l’article 65, en vertu de la législation de l’État
membre de résidence, est soumise à la législation de cet État membre;
d) la
personne appelée ou rappelée sous les drapeaux ou pour effectuer le
service civil dans un État membre est soumise à la législation de cet
État membre;
e) les
personnes autres que celles visées aux points a) à d) sont
soumises à la législation de l’État membre de résidence, sans préjudice
d’autres dispositions du présent règlement qui leur garantissent des
prestations en vertu de la législation d’un ou de plusieurs autres États
membres.»
14 Les
articles 19 et 20 du même règlement relèvent du titre III de
ce dernier, intitulé «Dispositions particulières applicables aux
différentes catégories de prestations», et font partie du
chapitre 1 de ce titre, relatif aux prestations de maladie, de
maternité et de paternité assimilées.
15 L’article 19 du règlement no 883/2004, intitulé «Séjour hors de l’État membre compétent», énonce à son paragraphe 1:
«[...]
une personne assurée et les membres de sa famille qui séjournent dans
un État membre autre que l’État membre compétent peuvent bénéficier des
prestations en nature qui s’avèrent nécessaires du point de vue médical
au cours du séjour, compte tenu de la nature des prestations et de la
durée prévue du séjour. Ces prestations sont servies pour le compte de
l’institution compétente, par l’institution du lieu de séjour, selon les
dispositions de la législation qu’elle applique, comme si les personnes
concernées étaient assurées en vertu de cette législation.»
16 L’article 20
dudit règlement, intitulé «Déplacement aux fins de bénéficier de
prestations en nature – Autorisation de recevoir un traitement
adapté en dehors de l’État membre de résidence», est libellé comme suit à
ses paragraphes 1 et 2:
«1. À
moins que le présent règlement n’en dispose autrement, une personne
assurée se rendant dans un autre État membre aux fins de bénéficier de
prestations en nature pendant son séjour demande une autorisation à
l’institution compétente.
2. La
personne assurée qui est autorisée par l’institution compétente à se
rendre dans un autre État membre aux fins d’y recevoir le traitement
adapté à son état bénéficie des prestations en nature servies, pour le
compte de l’institution compétente, par l’institution du lieu de séjour,
selon les dispositions de la législation qu’elle applique, comme si
elle était assurée en vertu de cette législation. L’autorisation est
accordée lorsque les soins dont il s’agit figurent parmi les prestations
prévues par la législation de l’État membre sur le territoire duquel
réside l’intéressé et que ces soins ne peuvent lui être dispensés dans
un délai acceptable sur le plan médical, compte tenu de son état actuel
de santé et de l’évolution probable de la maladie.»
Le règlement no 987/2009
17 Aux termes du considérant 11 du règlement no 987/2009:
«Les
États membres devraient coopérer pour déterminer le lieu de résidence
des personnes auxquelles s’appliquent le présent règlement et le
règlement [...] no 883/2004 et, en cas de différend,
prendre en considération tous les critères pertinents pour atteindre ce
but. Lesdits critères peuvent comprendre les critères visés à l’article
pertinent du présent règlement.»
18 L’article 11
dudit règlement, intitulé «Éléments pour la détermination de la
résidence», est rédigé comme suit:
«1. En
cas de divergence de vues entre les institutions de deux États membres
ou plus au sujet de la détermination de la résidence d’une personne à
laquelle le règlement [no 883/2004] s’applique, ces
institutions établissent d’un commun accord le centre d’intérêt de la
personne concernée en procédant à une évaluation globale de toutes les
informations disponibles concernant les faits pertinents, qui peuvent
inclure, le cas échéant:
a) la durée et la continuité de la présence sur le territoire des États membres concernés;
b) la situation de l’intéressé, y compris:
i) la
nature et les spécificités de toute activité exercée, notamment le lieu
habituel de son exercice, son caractère stable ou la durée de tout
contrat d’emploi;
ii) sa situation familiale et ses liens de famille;
iii) l’exercice d’activités non lucratives;
iv) lorsqu’il s’agit d’étudiants, la source de leurs revenus;
v) sa situation en matière de logement, notamment le caractère permanent de celui-ci;
vi) l’État membre dans lequel la personne est censée résider aux fins de l’impôt.
2. Lorsque
la prise en compte des différents critères fondés sur les faits
pertinents tels qu’ils sont énoncés au paragraphe 1 ne permet pas
aux institutions concernées de s’accorder, la volonté de la personne en
cause, telle qu’elle ressort de ces faits et circonstances, notamment
les raisons qui l’ont amenée à se déplacer, est considérée comme
déterminante pour établir le lieu de résidence effective de cette
personne.»
19 Aux
termes du point 5 de la décision H1 de la commission
administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale, du
12 juin 2009, concernant la transition des règlements du Conseil no 1408/71 et no 574/72 aux règlements du Parlement européen et du Conseil no 883/2004 et no 987/2009
et l’application des décisions et recommandations de la commission
administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO
2010, C 106, p. 13):
«Les documents nécessaires pour l’application des règlements [...] no 1408/71 et [...] no 574/72
(à savoir, les formulaires E, les cartes européennes d’assurance
maladie et les certificats provisoires de remplacement) délivrés par les
institutions, autorités et autres organismes compétents des États
membres avant l’entrée en vigueur des règlements [...] no 883/2004 et [...] no 987/2009 restent valables [bien qu’ils contiennent des références aux règlements (...) no 1408/71 et (...) no 574/72]
et sont pris en considération par les institutions, autorités et autres
organismes des autres États membres même après cette date, jusqu’au
terme de leur période de validité ou jusqu’à leur retrait ou leur
remplacement par les documents délivrés ou communiqués au titre des
règlements [...] no 883/2004 et [...] no 987/2009.»
20 Conformément
à son point 6, ladite décision s’applique à compter de la date
d’entrée en vigueur du règlement no 987/2009, soit le 1er mai 2010.
Le litige au principal et la question préjudicielle
21 Il
ressort de la décision de renvoi et du dossier soumis à la Cour que I
est un ressortissant irlandais, âgé de 56 ans, qui a travaillé à la
fois en Irlande et au Royaume-Uni.
22 Au
cours du mois d’août de l’année 2002, alors qu’il résidait en Irlande, I
s’est rendu en Allemagne pour y passer des vacances avec sa compagne, Mme B.,
une ressortissante roumaine. Au cours de ces vacances, I a été admis au
service des urgences de l’Universitätsklinikum Düsseldorf (Allemagne),
où il a été diagnostiqué qu’il avait été victime d’un infarctus
bilatéral du tronc cérébral, une affection rare. I souffre depuis lors
d’une quadriplégie sévère et d’une perte des fonctions motrices.
23 Peu
de temps après la survenance de ladite affection, une mutation
génétique ayant une influence dommageable sur la composition du sang de I
a été détectée. En outre, après l’ouverture de la procédure au
principal, il a été découvert que ce dernier était atteint d’un cancer,
pour lequel un traitement lui est également prodigué.
24 Compte
tenu de la gravité de son état de santé, I bénéficie, depuis le mois
d’août 2002, d’une surveillance et de soins constants dispensés par les
médecins spécialistes attachés à l’Universitätsklinikum Düsseldorf. Il
est en permanence dans un fauteuil roulant. Depuis qu’il a quitté
l’hôpital au cours de l’année 2003, I vit à Düsseldorf avec Mme
B., qui s’occupe de lui et le soigne. Ils habitent dans un appartement
qu’ils louent et qui est adapté à l’utilisation d’un fauteuil roulant.
25 I
a demandé au ministre de la Protection sociale irlandais l’attribution
d’une allocation pour personne handicapée, laquelle lui a été
initialement refusée au motif qu’il ne résidait pas habituellement en
Irlande. Il a engagé une procédure juridictionnelle en 2008 et celle-ci a
fait l’objet d’une transaction. Ledit ministre a alors reconsidéré sa
décision et il a fait droit à la demande de I, lequel perçoit une telle
allocation depuis cette date. Selon la juridiction de renvoi, cette
allocation doit être considérée comme une prestation en espèces que, en
vertu des règlements de l’Union applicables en matière de sécurité
sociale, l’Irlande peut légitimement réserver aux personnes résidant
dans cet État membre.
26 I
bénéficie également d’une modeste pension de retraite allouée par le
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord du fait de son
travail antérieur dans cet État membre. Il ne perçoit aucune allocation
ni aucune prestation en Allemagne.
27 De son côté, Mme B.,
qui a travaillé en Allemagne, a accepté son licenciement au cours de
l’année 2004 pour s’occuper à temps plein de I. Elle a perçu une
allocation de chômage versée par la République fédérale d’Allemagne. Par
ailleurs, selon la décision de renvoi, elle a demandé à bénéficier de
l’allocation pour la garde d’un invalide qui, en Allemagne, est à la
charge de l’assurance maladie de la personne dont la garde est assurée.
Cette demande a été rejetée au motif que I est un résident irlandais et
que le système de sécurité sociale irlandais ne prévoit pas une telle
allocation.
28 La
juridiction de renvoi indique que I, bien qu’il soit profondément
reconnaissant envers le système de soins de santé allemand, est
contraint de vivre en Allemagne en raison de son état de santé et de la
nécessité de suivre un traitement médical permanent. À cet égard, ladite
juridiction fait état des faibles liens que I aurait établis avec la
République fédérale d’Allemagne. Celui-ci n’aurait pas de compte
bancaire en Allemagne et il ne serait propriétaire d’aucun bien
immobilier dans cet État membre, alors qu’il disposerait d’un compte
dans une banque irlandaise et qu’il demeurerait en contact régulier avec
ses deux enfants, nés respectivement en 1991 et en 1994, qui vivent en
Irlande. I ne parlerait pas l’allemand et il n’aurait pas cherché à
s’intégrer en Allemagne.
29 Il
est précisé, dans la décision de renvoi, que I souhaiterait retourner
en Irlande, ce qui suppose la réunion de plusieurs conditions, parmi
lesquelles figurent son aptitude à voyager, la disponibilité d’un
traitement médical équivalent à celui qui lui est prodigué en Allemagne
et, en particulier, la disponibilité d’un logement adapté à
l’utilisation d’un fauteuil roulant. Si ces conditions étaient réunies, Mme B. l’accompagnerait en Irlande.
30 Depuis
qu’il est tombé malade, I a été en mesure de voyager à l’étranger en
quelques occasions, mais pour de courtes périodes et sous surveillance
médicale. Il s’est ainsi rendu à Lisbonne (Portugal) au cours du mois
d’octobre 2004 pour y donner une conférence. Il est également allé
quelquefois en Irlande, en dernier lieu au cours de l’année 2009. Ces
déplacements ont été rendus difficiles du fait des problèmes d’accès aux
aéroports pour un voyageur aussi gravement handicapé. Il est admis par
les parties au principal qu’il est pratiquement impossible pour I de se
rendre en Irlande, à tout le moins en utilisant les avions des
compagnies aériennes régulières.
31 Les
frais afférents aux soins de santé dispensés à I en Allemagne ont été
initialement pris en charge sous le couvert d’un formulaire E 111,
relatif à la situation d’un assuré social dont l’état vient à nécessiter
immédiatement des prestations au cours d’un séjour sur le territoire
d’un État membre autre que celui de sa résidence, ce formulaire lui
ayant été délivré par l’Irlande. Un tel formulaire relève actuellement
de l’article 19 du règlement no 883/2004.
32 Au
cours du mois de mars de l’année 2003, le HSE a modifié le statut de I
en lui délivrant, à partir de cette date, un formulaire E 112. Il a
ainsi été autorisé par l’institution compétente à se rendre sur le
territoire d’un autre État membre pour y recevoir des soins appropriés à
son état. Ce formulaire, qui est visé actuellement à l’article 20
du règlement no 883/2004, a été renouvelé une vingtaine de fois depuis cette date.
33 Le
25 novembre 2011, le HSE a refusé d’accorder à I un renouvellement
supplémentaire du formulaire E 112 au motif qu’il résidait
désormais sur le territoire de la République fédérale d’Allemagne. Le
5 décembre 2011, I a saisi la High Court en vue d’obtenir une
injonction contraignant le HSE à continuer de lui délivrer ce
formulaire.
34 Le
HSE a indiqué que, compte tenu de la situation très particulière de I,
il continuerait à prendre en charge à titre gracieux les frais liés aux
soins qui lui sont dispensés, sous le couvert d’un formulaire
E 106, relatif au droit aux prestations en nature de l’assurance
maladie-maternité dans le cas des personnes qui résident dans un autre
État que celui qui est compétent.
35 La
juridiction de renvoi estime qu’il existe un doute quant à la question
de savoir si, dans le cadre de la réglementation de l’Union concernant
les soins médicaux reçus à l’étranger, un assuré social contraint de
demeurer dans un État membre en raison d’un état de santé
exceptionnellement grave pourrait «séjourner» dans cet État au sens des
articles 19 ou 20 du règlement no 883/2004.
36 Ladite
juridiction considère que, si beaucoup des critères mentionnés à
l’article 11 du règlement no 987/2009 peuvent
suggérer une autre solution, I devrait toutefois, eu égard à la finalité
et aux objectifs de cet article, être regardé comme séjournant en
Allemagne.
37 Dans
ces conditions, la High Court a décidé de surseoir à statuer et de
poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«Un
assuré ressortissant d’un État membre (‘le premier État membre’), qui
est gravement malade depuis onze ans parce qu’il est atteint d’une
affection sévère qui s’est déclarée la première fois alors qu’il
résidait dans le premier État membre, mais était en vacances dans un
autre État membre (‘le second État membre’), doit-il être considéré
comme ‘séjournant’ dans ce second État membre durant cette période aux
fins soit de l’article 19, paragraphe 1, soit de
l’article 20, paragraphes 1 et 2, du règlement [...] no 883/2004,
lorsqu’il a été effectivement contraint de demeurer physiquement dans
cet État membre durant cette période en raison de l’affection sévère
dont il souffre et de l’avantage que présentent des soins médicaux
spécialisés dispensés à proximité?»
38 Par
lettre du 15 mai 2014, la juridiction de renvoi a informé la Cour
du décès de I, survenu le 7 avril 2014. Dans cette même lettre,
elle indique qu’elle maintient sa question préjudicielle au motif qu’une
réponse à cette question lui serait nécessaire aux fins de la procédure
nationale. Dans ces conditions, il convient de répondre à la question
posée par la High Court.
Sur la question préjudicielle
39 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, sous j) et k), du règlement no 883/2004
doit être interprété en ce sens que, aux fins des articles 19,
paragraphe 1, ou 20, paragraphes 1 et 2, de ce règlement,
lorsqu’un ressortissant de l’Union, qui résidait dans un premier État
membre, est atteint d’une affection grave et soudaine lors de vacances
dans un second État membre et qu’il est contraint de demeurer durant
onze années dans cet État du fait de cette maladie et de la
disponibilité de soins médicaux spécialisés à proximité du lieu où il
habite, ce ressortissant doit être considéré comme «séjournant» dans ce
dernier État membre.
40 À
titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence
constante, le règlement no 1408/71 mettait en place un
système de coordination des régimes nationaux de sécurité sociale et
établissait, à son titre II, des règles relatives à la
détermination de la législation applicable. Ces règles non seulement
avaient pour objectif d’empêcher que les intéressés, faute de
législation qui leur serait applicable, restent sans protection en
matière de sécurité sociale, mais également tendaient à ce que les
intéressés soient soumis au régime de la sécurité sociale d’un seul État
membre, de sorte que les cumuls de législations nationales applicables
et les complications qui pouvaient en résulter soient évités (voir, en
ce sens, arrêt Wencel, C‑589/10, EU:C:2013:303, points 45 et 46
ainsi que jurisprudence citée).
41 Si le règlement no 883/2004,
comme l’énonce son considérant 3, a visé à moderniser et à
simplifier les règles de coordination des législations nationales de
sécurité sociale, celui-ci a conservé les mêmes objectifs que ceux du
règlement no 1408/71.
42 À cet égard, le système mis en place par le règlement no 1408/71
retenait la résidence comme étant l’un des facteurs de rattachement
pour la détermination de la législation applicable (voir, en ce sens,
arrêt Wencel, EU:C:2013:303, point 48). Il en va de même pour le
règlement no 883/2004.
43 En vertu de l’article 1er, sous j), du règlement no 883/2004,
le terme «résidence» désigne le lieu où une personne réside
habituellement. Ce terme revêt une portée autonome et propre au droit de
l’Union (voir, par analogie, arrêt Swaddling, C‑90/97, EU:C:1999:96,
point 28).
44 Ainsi que la Cour l’a jugé à propos du règlement no 1408/71,
lorsque la situation juridique d’une personne est susceptible d’être
rattachée à la législation de plusieurs États membres, la notion d’État
membre dans lequel une personne réside vise l’État dans lequel celle-ci
réside habituellement et dans lequel se trouve également le centre
habituel de ses intérêts (voir arrêts Hakenberg, 13/73, EU:C:1973:92,
point 32; Swaddling, EU:C:1999:96, point 29, et Wencel,
EU:C:2013:303, point 49).
45 Dans
ce contexte, il convient de considérer, en particulier, la situation
familiale de la personne concernée, les raisons qui l’ont amenée à se
déplacer, la durée et la continuité de sa résidence, le fait de
disposer, le cas échéant, d’un emploi stable et son intention, telle
qu’elle ressort de toutes les circonstances (voir, en ce sens, arrêts
Knoch, C‑102/91, EU:C:1992:303, point 23, et Swaddling,
EU:C:1999:96, point 29).
46 La
liste des éléments à prendre en considération dans la détermination du
lieu de résidence d’une personne, telle qu’elle a été élaborée par la
jurisprudence, se trouve actuellement codifiée à l’article 11 du
règlement no 987/2009. Ainsi que l’a relevé
M. l’avocat général au point 32 de ses conclusions, cette
liste, qui n’est pas exhaustive, ne prévoit pas de hiérarchie entre les
différents éléments énoncés au paragraphe 1 de cet article.
47 Il résulte de ce qui précède que, pour les besoins de l’application du règlement no 883/2004,
une personne ne saurait disposer, de façon concomitante, de deux lieux
de résidence habituelle sur le territoire de deux États membres
différents (voir, en ce sens, arrêt Wencel, EU:C:2013:303,
point 51), étant entendu que, dans le cadre de ce règlement, le
lieu de résidence d’une personne assurée est nécessairement différent de
son lieu de séjour.
48 À
cet égard, dès lors qu’il convient de se fonder sur un ensemble
d’éléments pour déterminer le lieu de résidence d’un assuré social, le
seul fait de demeurer dans un État membre, même pendant une longue
période et de manière continue, n’implique pas nécessairement que cette
personne réside dans cet État au sens de l’article 1er, sous j), du règlement no 883/2004.
49 En
effet, la durée de la résidence dans l’État dans lequel le versement
d’une prestation est sollicité ne saurait être regardée comme
représentant un élément constitutif de la notion de «résidence» au sens
du règlement no 1408/71 (voir, en ce sens, arrêt Swaddling, EU:C:1999:96, point 30).
50 Certes, l’article 1er, sous k), du règlement no 883/2004
définit le «séjour» comme étant un séjour «temporaire». Cependant,
ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 43 à 46 de
ses conclusions, un tel «séjour» n’implique pas nécessairement une
présence de courte durée.
51 En effet, d’une part, ainsi qu’il résulte du libellé de l’article 1er, sous v bis), i), du règlement no 883/2004,
les articles 19 et 20 de ce règlement s’appliquent à des
prestations en nature incluant celles pour les «soins de longue durée».
Par conséquent, une personne peut être considérée comme séjournant dans
un autre État membre même si elle y reçoit des prestations pendant une
longue période.
52 D’autre part, alors que le règlement no 1408/71
prévoyait, à son article 22, paragraphe 1, sous i), que
la durée de service des prestations était régie par la législation de
l’État compétent, cette règle ne figure plus à l’article 19,
paragraphe 1, ni à l’article 20, paragraphes 1 et 2, du
règlement no 883/2004, lesquels ont remplacé, en substance, ledit article 22, paragraphe 1, sous a) à i).
53 La
seule circonstance que I a demeuré durant onze années en Allemagne ne
suffit donc pas, en tant que telle et à elle seule, pour considérer
qu’il résidait dans cet État membre.
54 Aux
fins de déterminer le centre habituel des intérêts de I, la juridiction
de renvoi doit en effet prendre en considération l’ensemble des
critères pertinents, notamment ceux mentionnés à l’article 11,
paragraphe 1, du règlement no 987/2009, ainsi que,
en vertu du paragraphe 2 de cet article, la volonté de l’intéressé
concernant le lieu de sa résidence effective. Cette volonté doit
s’apprécier au regard des faits et des circonstances objectives de
l’affaire au principal, une simple déclaration de volonté de résider
dans un lieu déterminé n’étant pas, en elle-même, suffisante aux fins de
l’application dudit paragraphe 2.
55 Dans
le cadre d’un renvoi préjudiciel, s’il appartient en dernier lieu à la
juridiction nationale d’apprécier les faits, la Cour, appelée à fournir
au juge national des réponses utiles, est toutefois compétente pour
donner des indications tirées du dossier de l’affaire au principal ainsi
que des observations qui lui ont été soumises, susceptibles de
permettre à la juridiction de renvoi de statuer (voir, en ce sens,
arrêts Brunnhofer, C‑381/99, EU:C:2001:358, point 65, et Alakor
Gabonatermelő és Forgalmazó, C‑191/12, EU:C:2013:315, point 31).
56 Parmi
les éléments dont la juridiction de renvoi devrait tenir compte aux
fins de l’application de l’article 1er, sous j) et k), du règlement no 883/2004
se trouve notamment le fait que, si I a demeuré durant une longue
période en Allemagne, cette situation ne constituait pas un choix
personnel de sa part, dès lors que, selon le libellé même de la question
posée, il y a été contraint «en raison de l’affection sévère dont il
souffre et de l’avantage que présentent des soins médicaux spécialisés
dispensés à proximité».
57 Il
appartient, en l’occurrence, à la juridiction de renvoi de vérifier, au
regard des circonstances de l’affaire au principal, quelle était
l’aptitude à voyager de I et si un traitement médical équivalent à celui
qui lui était prodigué en Allemagne était disponible sur le territoire
irlandais.
58 Outre
les éléments mentionnés dans la décision de renvoi, il y a lieu de
relever que, lors de l’audience et en réponse à une question de la Cour,
I a fait valoir qu’il n’avait aucun lien avec le système fiscal
allemand et que sa résidence fiscale se situait en Irlande, même s’il
n’y payait pas d’impôt dès lors qu’il n’avait aucun revenu, à
l’exception d’une allocation pour personne handicapée versée par
l’Irlande et d’une modeste pension allouée par le Royaume-Uni.
59 Eu
égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de
répondre à la question posée que l’article 1er, sous j) et k), du règlement no 883/2004
doit être interprété en ce sens que, aux fins des articles 19,
paragraphe 1, ou 20, paragraphes 1 et 2, de ce règlement,
lorsqu’un ressortissant de l’Union, qui résidait dans un premier État
membre, est atteint d’une affection grave et soudaine lors de vacances
dans un second État membre et est contraint de demeurer durant onze
années dans ce dernier État du fait de cette affection et de la
disponibilité de soins médicaux spécialisés à proximité du lieu où il
habite, il doit être considéré comme «séjournant» dans ce second État
membre dès lors que le centre habituel de ses intérêts se situe dans le
premier État membre. Il appartient à la juridiction nationale de
déterminer le centre habituel des intérêts de ce ressortissant en
procédant à une évaluation de l’ensemble des faits pertinents et en
tenant compte de la volonté de celui-ci, telle qu’elle ressort de ces
faits, la seule circonstance que ledit ressortissant soit demeuré dans
le second État membre pendant une longue période ne suffisant pas, en
tant que telle et à elle seule, à considérer qu’il réside dans cet État.
Sur les dépens
60 La
procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère
d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à
celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des
observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent
faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:
L’article 1er, sous j) et k), du règlement (CE) no 883/2004
du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur
la coordination des systèmes de sécurité sociale, doit être interprété
en ce sens que, aux fins des articles 19, paragraphe 1, ou 20,
paragraphes 1 et 2, de ce règlement, lorsqu’un ressortissant de
l’Union, qui résidait dans un premier État membre, est atteint d’une
affection grave et soudaine lors de vacances dans un second État membre
et est contraint de demeurer durant onze années dans ce dernier État du
fait de cette affection et de la disponibilité de soins médicaux
spécialisés à proximité du lieu où il habite, il doit être considéré
comme «séjournant» dans ce second État membre dès lors que le centre
habituel de ses intérêts se situe dans le premier État membre. Il
appartient à la juridiction nationale de déterminer le centre habituel
des intérêts de ce ressortissant en procédant à une évaluation de
l’ensemble des faits pertinents et en tenant compte de la volonté de
celui-ci, telle qu’elle ressort de ces faits, la seule circonstance que
ledit ressortissant soit demeuré dans le second État membre pendant une
longue période ne suffisant pas, en tant que telle et à elle seule, à
considérer qu’il réside dans cet État.
Signatures