CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. Melchior Wathelet
présentées le 20 mai 2014 (1)
Affaire C‑333/13
Elisabeta Dano,
Florin Dano
contre
Jobcenter Leipzig
[demande de décision préjudicielle formée par le Sozialgericht Leipzig (Allemagne)]
«Règlement
(CE) n° 883/2004 – Directive 2004/38/CE – Citoyenneté de
l’Union – Égalité de traitement – Citoyens de l’Union sans activité
économique qui séjournent sur le territoire d’un autre État membre –
Réglementation d’un État membre prévoyant l’exclusion de ces personnes
des prestations spéciales en espèces à caractère non contributif, si
leur droit de séjour se fonde uniquement sur l’article 20 TFUE»
1. La
présente demande de décision préjudicielle pose, en substance, la
question de savoir si un État membre peut exclure du bénéfice de
prestations de subsistance à caractère non contributif, au sens du
règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du
29 avril 2004, sur la coordination des systèmes de sécurité
sociale (2), tel que modifié par le règlement (CE) n° 988/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009 (3)
(ci-après le «règlement n° 883/2004»), des ressortissants d’autres
États membres qui sont dans le besoin, pour éviter que ces prestations
ne représentent pour lui une charge déraisonnable, et ce alors même
qu’elles seraient octroyées aux ressortissants nationaux se trouvant
dans la même situation.
2. Les
questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi conduiront
une nouvelle fois la Cour à se pencher sur la relation entre le
règlement n° 883/2004 et la directive 2004/38/CE du Parlement
européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des
citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de
séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le
règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE,
68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE,
90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (4),
et sur les notions, d’une part, de «prestations spéciales en espèces à
caractère non contributif» visées par le règlement n° 883/2004 et,
d’autre part, de «prestations d’assistance sociale» au sens de la
directive 2004/38.
3. Par
conséquent, bien que les questions préjudicielles ne portent pas
expressément sur la qualification des prestations en cause dans
l’affaire au principal au regard de ces deux normes, il m’apparaît que
la Cour ne pourra faire l’économie de ce travail si elle veut donner une
réponse utile à la juridiction de renvoi.
I – Le cadre juridique
A – Le droit de l’Union
1. La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
4. Selon l’article 1er
de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la
«Charte»), intitulé «Dignité humaine», «[l]a dignité humaine est
inviolable. Elle doit être respectée et protégée».
5. L’article
20 de la Charte, intitulé «Égalité en droit», dispose que «[t]outes les
personnes sont égales en droit».
2. Le règlement n° 883/2004
6. Les considérants 16 et 37 du règlement n° 883/2004 se lisent comme suit:
«(16) À
l’intérieur de la Communauté, il n’est en principe pas justifié de
faire dépendre les droits en matière de sécurité sociale du lieu de
résidence de l’intéressé. Toutefois, dans des cas spécifiques, notamment
pour des prestations spéciales qui ont un lien avec l’environnement
économique et social de l’intéressé, le lieu de résidence pourrait être
pris en compte.
[...]
(37) Selon
une jurisprudence constante de la Cour de Justice, les dispositions qui
dérogent au principe selon lequel les prestations de sécurité sociale
sont exportables doivent être interprétées de manière limitative. En
d’autres termes, de telles dispositions ne peuvent s’appliquer qu’aux
prestations qui répondent aux conditions précisées. Le chapitre 9 du
titre III du présent règlement ne peut donc s’appliquer qu’aux
prestations, énumérées à l’annexe X du présent règlement, qui sont à la
fois spéciales et à caractère non contributif.»
7. Régissant
le champ d’application personnel du règlement n° 883/2004,
l’article 2, paragraphe 1, dudit règlement prévoit:
«Le
présent règlement s’applique aux ressortissants de l’un des États
membres, aux apatrides et aux réfugiés résidant dans un État membre qui
sont ou ont été soumis à la législation d’un ou de plusieurs États
membres, ainsi qu’aux membres de leur famille et à leurs survivants.»
8. Le
champ d’application matériel du règlement n° 883/2004 est, quant à
lui, décrit à l’article 3:
«1. Le
présent règlement s’applique à toutes les législations relatives aux
branches de sécurité sociale qui concernent:
[…]
h) les prestations de chômage;
[…]
2. Sauf
disposition contraire prévue à l’annexe XI, le présent règlement
s’applique aux régimes de sécurité sociale généraux et spéciaux, soumis
ou non à cotisations, ainsi qu’aux régimes relatifs aux obligations de
l’employeur ou de l’armateur.
3. Le
présent règlement s’applique également aux prestations spéciales en
espèces à caractère non contributif visées à l’article 70.
[…]
5. Le présent règlement ne s’applique pas:
a) à l’assistance sociale et médicale;
b) aux
prestations octroyées dans le cas où un État membre assume la
responsabilité de dommages causés à des personnes et prévoit une
indemnisation, telles que les prestations en faveur des victimes de la
guerre et d’actions militaires ou de leurs conséquences, des victimes
d’un délit, d’un meurtre ou d’attentats terroristes, des personnes ayant
subi un préjudice occasionné par les agents de l’État membre dans
l’exercice de leurs fonctions ou des personnes ayant subi une
discrimination pour des motifs politiques ou religieux ou en raison de
leurs origines.»
9. Selon l’article 4 de ce règlement, intitulé «Égalité de traitement»:
«À
moins que le présent règlement n’en dispose autrement, les personnes
auxquelles le présent règlement s’applique bénéficient des mêmes
prestations et sont soumises aux mêmes obligations, en vertu de la
législation de tout État membre, que les ressortissants de celui-ci.»
10. Le
chapitre 9 du titre III du règlement n° 883/2004 est consacré aux
«Prestations spéciales en espèces à caractère non contributif». Il est
constitué du seul article 70, lequel est intitulé «Dispositions
générales», et prévoit:
«1. Le
présent article s’applique aux prestations spéciales en espèces à
caractère non contributif relevant d’une législation qui, de par son
champ d’application personnel, ses objectifs et/ou ses conditions
d’éligibilité, possède les caractéristiques à la fois de la législation
en matière de sécurité sociale visée à l’article 3, paragraphe 1, et
d’une assistance sociale.
2. Aux
fins du présent chapitre, on entend par ‘prestations spéciales en
espèces à caractère non contributif’ les prestations:
a) qui sont destinées:
i) soit
à couvrir à titre complémentaire, subsidiaire ou de remplacement, les
risques correspondant aux branches de sécurité sociale visées à
l’article 3, paragraphe 1, et à garantir aux intéressés un revenu
minimal de subsistance eu égard à l’environnement économique et social
dans l’État membre concerné;
ii) soit
uniquement à assurer la protection spécifique des personnes
handicapées, étroitement liées à l’environnement social de ces personnes
dans l’État membre concerné,
et
b) qui
sont financées exclusivement par des contributions fiscales
obligatoires destinées à couvrir des dépenses publiques générales et
dont les conditions d’attribution et modalités de calcul ne sont pas
fonction d’une quelconque contribution pour ce qui concerne leurs
bénéficiaires. Les prestations versées à titre de complément d’une
prestation contributive ne sont toutefois pas considérées, pour ce seul
motif, comme des prestations contributives,
et
c) qui sont énumérées à l’annexe X.
3. L’article
7 et les autres chapitres du présent titre ne s’appliquent pas aux
prestations visées au paragraphe 2 du présent article.
4. Les
prestations visées au paragraphe 2 sont octroyées exclusivement dans
l’État membre dans lequel l’intéressé réside et conformément à sa
législation. Ces prestations sont servies par l’institution du lieu de
résidence et à sa charge.»
11. L’annexe
X du règlement n° 883/2004, régissant les «Prestations spéciales
en espèces à caractère non contributif», contient, sous la rubrique
«Allemagne», la précision suivante:
«[…]
b) Les
prestations visant à garantir des moyens d’existence au titre de
l’assurance de base pour les demandeurs d’emploi, sauf si, en ce qui
concerne ces prestations, les conditions d’obtention d’un complément
temporaire à la suite de la perception d’une prestation de chômage
(article 24, paragraphe 1, du livre II du code social) sont remplies.»
3. La directive 2004/38
12. Les considérants 10, 16 et 21 de la directive 2004/38 prévoient:
«(10) Il
convient cependant d’éviter que les personnes exerçant leur droit de
séjour ne deviennent une charge déraisonnable pour le système
d’assistance sociale de l’État membre d’accueil pendant une première
période de séjour. L’exercice du droit de séjour des citoyens de l’Union
et des membres de leur famille, pour des périodes supérieures à trois
mois, devrait, dès lors, rester soumis à certaines conditions.
[...]
(16) Les
bénéficiaires du droit de séjour ne devraient pas faire l’objet de
mesures d’éloignement aussi longtemps qu’ils ne deviennent pas une
charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État
membre d’accueil. En conséquence, une mesure d’éloignement ne peut pas
être la conséquence automatique du recours à l’assistance sociale.
L’État membre d’accueil devrait examiner si, dans ce cas, il s’agit de
difficultés d’ordre temporaire et prendre en compte la durée du séjour,
la situation personnelle et le montant de l’aide accordée, afin de
déterminer si le bénéficiaire constitue une charge déraisonnable pour
son système d’assistance sociale et de procéder, le cas échéant, à son
éloignement. En aucun cas, une mesure d’éloignement ne devrait être
arrêtée à l’encontre de travailleurs salariés, de non-salariés ou de
demandeurs d’emploi tels que définis par la Cour de justice, si ce n’est
pour des raisons d’ordre public et de sécurité publique.
[...]
(21) Toutefois,
l’État membre d’accueil devrait être libre de déterminer s’il entend
accorder aux personnes autres que celles qui exercent une activité
salariée ou non salariée, celles qui conservent ce statut et les membres
de leur famille des prestations d’assistance sociale au cours des trois
premiers mois de séjour, ou de périodes plus longues en faveur des
demandeurs d’emploi, ou des bourses d’entretien pour les études, y
compris la formation professionnelle, avant l’acquisition du droit de
séjour permanent.»
13. L’article 6, paragraphe 1, intitulé «Droit de séjour jusqu’à trois mois», prévoit:
«Les
citoyens de l’Union ont le droit de séjourner sur le territoire d’un
autre État membre pour une période allant jusqu’à trois mois, sans
autres conditions ou formalités que l’exigence d’être en possession
d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité.»
14. L’article 7, paragraphe 1, de la directive 2004/38 dispose:
«Tout citoyen de l’Union a le droit de séjourner sur le territoire d’un autre État membre pour une durée de plus de trois mois:
a) s’il est un travailleur salarié ou non salarié dans l’État membre d’accueil, ou
b) s’il
dispose, pour lui et pour les membres de sa famille, de ressources
suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système
d’assistance sociale de l’État membre d’accueil au cours de son séjour,
et d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil, […]
[...]»
15. L’article
8 de la directive 2004/38, intitulé «Formalités administratives à
charge des citoyens de l’Union», prévoit, à son paragraphe 4:
«Les
États membres ne peuvent pas fixer le montant des ressources qu’ils
considèrent comme suffisantes, mais ils doivent tenir compte de la
situation personnelle de la personne concernée. Dans tous les cas, ce
montant n’est pas supérieur au niveau en dessous duquel les
ressortissants de l’État d’accueil peuvent bénéficier d’une assistance
sociale ni, lorsque ce critère ne peut s’appliquer, supérieur à la
pension minimale de sécurité sociale versée par l’État membre
d’accueil.»
16. L’article
14 de la directive 2004/38 est consacré au «Maintien du droit de
séjour». Aux termes de cette disposition:
«1. Les
citoyens de l’Union et les membres de leur famille ont un droit de
séjour tel que prévu à l’article 6 tant qu’ils ne deviennent pas une
charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État
membre d’accueil.
[...]
3. Le
recours au système d’assistance sociale par un citoyen de l’Union ou un
membre de sa famille n’entraîne pas automatiquement une mesure
d’éloignement.
4. À
titre de dérogation aux dispositions des paragraphes 1 et 2 et sans
préjudice des dispositions du chapitre VI, les citoyens de l’Union et
les membres de leur famille ne peuvent en aucun cas faire l’objet d’une
mesure d’éloignement lorsque:
a) les citoyens de l’Union concernés sont des salariés ou des non-salariés, ou
b) les
citoyens de l’Union concernés sont entrés sur le territoire de l’État
membre d’accueil pour y chercher un emploi. Dans ce cas, les citoyens de
l’Union et les membres de leur famille ne peuvent être éloignés tant
que les citoyens de l’Union sont en mesure de faire la preuve qu’ils
continuent à chercher un emploi et qu’ils ont des chances réelles d’être
engagés.»
17. Enfin, l’article 24, intitulé «Égalité de traitement», énonce:
«1. Sous
réserve des dispositions spécifiques expressément prévues par le traité
et le droit dérivé, tout citoyen de l’Union qui séjourne sur le
territoire de l’État membre d’accueil en vertu de la présente directive
bénéficie de l’égalité de traitement avec les ressortissants de cet État
membre dans le domaine d’application du traité. Le bénéfice de ce droit
s’étend aux membres de la famille, qui n’ont pas la nationalité d’un
État membre et qui bénéficient du droit de séjour ou du droit de séjour
permanent.
2. Par
dérogation au paragraphe 1, l’État membre d’accueil n’est pas obligé
d’accorder le droit à une prestation d’assistance sociale pendant les
trois premiers mois de séjour ou, le cas échéant, pendant la période
plus longue prévue à l’article 14, paragraphe 4, point b), ni tenu,
avant l’acquisition du droit de séjour permanent, d’octroyer des aides
d’entretien aux études, y compris pour la formation professionnelle,
sous la forme de bourses d’études ou de prêts, à des personnes autres
que les travailleurs salariés, les travailleurs non salariés, les
personnes qui gardent ce statut, et les membres de leur famille.»
B – Le droit allemand
1. Le code social
18. L’article
19a, paragraphe 1, figurant dans le livre I du code social
(Sozialgesetzbuch Erstes Buch, ci-après le «SGB I»), décrit les deux
types de prestations de l’assurance de base pour les demandeurs d’emploi
comme suit:
«(1) Peuvent
être revendiquées au titre du droit à l’assurance de base pour les
demandeurs d’emploi:
1. des prestations visant l’insertion dans le travail,
2. des prestations visant à assurer la subsistance.
[...]»
19. Dans
le livre II du code social (Sozialgesetzbuch Zweites Buch, ci-après le
«SGB II»), l’article 1er de celui-ci, intitulé «Fonction
et objectif de l’assurance de base pour les demandeurs d’emploi»,
dispose, à ses paragraphes 1 et 3:
«(1) L’assurance
de base pour les demandeurs d’emploi vise à permettre à ses
bénéficiaires de mener une vie conforme à la dignité humaine.
[...]
(3) L’assurance de base pour les demandeurs d’emploi comprend des prestations
1. visant
à mettre fin ou à réduire l’état de besoin, en particulier moyennant
l’insertion dans le travail et
2. visant à assurer la subsistance.»
20. L’article 7 du SGB II, intitulé «Bénéficiaires», énonce:
«(1) Les prestations au titre du présent livre sont destinées aux personnes qui
1. ont
atteint l’âge de 15 ans et n’ont pas encore atteint la limite d’âge
visée à l’article 7a,
2. sont aptes à travailler,
3. sont indigentes et
4. séjournent
habituellement en République fédérale d’Allemagne (bénéficiaires aptes à
travailler). Sont exclus
1. les
étrangères et étrangers qui ne sont pas travailleurs salariés ou
travailleurs non salariés en République fédérale d’Allemagne et qui ne
jouissent pas du droit de libre circulation en vertu de l’article 2,
paragraphe 3, de la loi sur la libre circulation des citoyens de l’Union
[Freizügigkeitsgesetz/EU, ci-après le ‘FreizügG/EU’], et les membres de
leur famille, pendant les trois premiers mois de leur séjour,
2. les
étrangères et étrangers dont le droit de séjour n’est justifié que par
la recherche d’un emploi, et les membres de leur famille,
[…]
La
deuxième phrase, point 1, ne s’applique pas aux étrangères et étrangers
qui séjournent en République fédérale d’Allemagne conformément à un
titre de séjour délivré en vertu du chapitre 2, section 5, de la loi sur
le droit de séjour. Les dispositions en matière de droit de séjour
demeurent inchangées.
[…]»
21. L’article 8 du SGB II, consacré à la notion d’«Aptitude à travailler», prévoit:
«(1) Est
apte à travailler toute personne qui n’est pas incapable pendant une
période déterminée, en raison d’une maladie ou d’un handicap, d’exercer
une activité professionnelle au moins trois heures par jour dans les
conditions habituelles du marché du travail.
[…]»
22. L’article 9 du SGB II dispose:
«(1) Est
indigente toute personne qui ne peut assurer sa subsistance, ou
l’assurer suffisamment, sur la base du revenu ou du patrimoine à prendre
en considération et ne reçoit pas l’assistance nécessaire d’autres
personnes, en particulier des membres de sa famille ou des bénéficiaires
d’autres prestations sociales. [...]
[...]»
23. L’article
20 du SGB II énonce des dispositions complémentaires sur les
besoins de base de subsistance, l’article 21 du SGB II sur les
besoins supplémentaires, et l’article 22 du SGB II sur les besoins
d’hébergement et de chauffage. Enfin, les articles 28 à 30 du
SGB II traitent des prestations de formation et de participation.
24. Dans
le livre XII du code social (Sozialgesetzbuch Zwölftes Buch, ci-après
le «SGB XII»), l’article 1er de celui-ci, qui a trait à l’aide sociale, dispose:
«La fonction de l’aide sociale est de permettre à ses bénéficiaires de mener une vie conforme à la dignité humaine. [...]»
25. L’article 21 du SGB XII prévoit:
«Il
n’est pas versé de prestations de subsistance aux personnes qui sont
bénéficiaires des prestations au titre du livre II en ce qu’elles sont
aptes à travailler ou en raison de leur lien familial. [...]»
26. L’article
23 du SGB XII, intitulé «Aide sociale pour les étrangères et les
étrangers», se lit comme suit:
«(1) L’aide
à la subsistance, l’aide aux personnes malades, l’aide aux femmes
enceintes et l’aide à la maternité ainsi que l’aide pour l’accès aux
soins au titre du présent livre doivent être assurées aux étrangers qui
séjournent effectivement sur le territoire national. Les dispositions du
quatrième chapitre ne sont pas affectées. Pour le reste, l’aide sociale
peut être accordée lorsque cela est justifié au regard des
circonstances individuelles. Les restrictions de la première phrase ne
s’appliquent pas aux étrangers qui sont en possession d’un titre de
séjour à durée illimitée [‘Niederlassungserlaubnis’] ou d’un permis de
séjour à durée limitée [‘befristeter Aufenthaltstitel’] et qui entendent
séjourner à titre permanent sur le territoire fédéral. Les dispositions
en vertu desquelles des prestations d’aide sociale autres que celles
visées dans la première phrase doivent ou devraient être versées ne sont
pas affectées.
[...]
(3) Les
étrangers qui sont entrés sur le territoire national afin d’obtenir de
l’aide sociale ou dont le droit de séjour découle du seul objectif de la
recherche d’un emploi n’ont pas droit à l’aide sociale, tout comme les
membres de leur famille. S’ils sont entrés sur le territoire national
pour faire traiter ou soulager une maladie, l’aide aux personnes malades
ne peut être versée que pour remédier à un état critique dangereux pour
la vie ou pour procéder au traitement d’une maladie grave ou
contagieuse qui s’avère à la fois indispensable et urgent.
(4) Les
étrangers qui bénéficient de l’aide sociale doivent être informés des
programmes de rapatriement et de réinstallation qui leur sont
applicables; dans les cas appropriés, il convient de faire en sorte que
les étrangers concernés bénéficient de ces programmes.
[...]»
2. Le FreizügG/EU
27. Le champ d’application du FreizügG/EU est réglé à l’article 1er de cette loi:
«La
présente loi régit l’entrée et le séjour des ressortissants des autres
États membres de l’Union européenne (citoyens de l’Union) et des membres
de leur famille.»
28. L’article 2 du FreizügG/EU prévoit, en ce qui concerne le droit d’entrée et de séjour:
«(1) Les
citoyens de l’Union bénéficiant de la liberté de circulation et les
membres de leur famille ont le droit d’entrer et de séjourner sur le
territoire fédéral conformément aux dispositions de la présente loi.
(2) Bénéficient de la liberté de circulation en vertu du droit communautaire:
1. les
citoyens de l’Union qui souhaitent séjourner en tant que travailleurs,
afin de rechercher un emploi ou pour suivre une formation
professionnelle.
[...]
5. les
citoyens de l’Union n’ayant pas d’activité professionnelle,
conformément aux conditions de l’article 4,
6. les membres de la famille, conformément aux conditions des articles 3 et 4,
[...]»
29. L’article
4 du FreizügG/EU dispose, en ce qui concerne les personnes bénéficiant
de la liberté de circulation n’exerçant pas d’activité professionnelle:
«Les
citoyens de l’Union sans activité professionnelle et les membres de
leur famille qui les accompagnent ou les rejoignent, bénéficient du
droit prévu à l’article 2, paragraphe 1, s’ils disposent d’une assurance
maladie suffisante et de moyens de subsistance suffisants. Si un
citoyen de l’Union séjourne sur le territoire fédéral sous le statut
d’étudiant, seuls bénéficient de ce droit son conjoint ou partenaire et
ses enfants, dont la subsistance est assurée.»
II – Les faits du litige au principal
30. Mme
Dano, née en 1989, et son fils Florin, né le 2 juillet 2009 à
Sarrebruck (Allemagne), sont tous deux de nationalité roumaine. Selon
les constatations de la juridiction de renvoi, Mme Dano serait entrée en Allemagne pour la dernière fois le 10 novembre 2010.
31. Le 19 juillet 2011, la ville de Leipzig a délivré à Mme Dano
une carte de séjour à durée illimitée destinée aux ressortissants de
l’Union, en fixant comme date d’entrée sur le territoire allemand celle
du 27 juin 2011. Le 28 janvier 2013, elle lui a en outre
délivré un duplicata de cette carte.
32. Mme Dano et son fils vivent, depuis leur arrivée à Leipzig, dans l’appartement d’une sœur de Mme Dano, laquelle pourvoit à leur alimentation.
33. Mme
Dano perçoit, pour son fils Florin, des prestations pour enfant à
charge («Kindergeld»), versées par la caisse d’allocations familiales de
Leipzig au nom de l’Agence fédérale pour l’emploi, à hauteur de 184
euros par mois. Le service d’assistance sociale à la jeunesse et à
l’enfance de Leipzig verse en outre une avance sur pension alimentaire à
hauteur de 133 euros par mois pour cet enfant.
34. Mme
Dano a fréquenté l’école pendant trois ans en Roumanie et ne possède
aucun certificat de fin d’études. Elle comprend l’allemand et est
capable de s’exprimer simplement dans cette langue. En revanche, elle
n’est pas capable d’écrire dans cette langue et n’est en mesure de lire
des textes rédigés en langue allemande que de manière limitée. Elle n’a
pas de qualification professionnelle et n’a jusqu’ici exercé aucune
activité professionnelle ni en Allemagne ni en Roumanie (5).
35. Mme
Dano et son fils ont introduit une première demande relative à l’octroi
de prestations au titre du SGB II. Le Jobcenter Leipzig l’a
rejetée par décision du 28 septembre 2011, sur le fondement de
l’article 7, paragraphe 1, deuxième phrase, point 2, du SGB II. Les
requérants au principal n’ont pas contesté cette décision, laquelle est
devenue définitive.
36. Lesdits
requérants ont introduit une nouvelle demande le 25 janvier 2012. À
la suite du rejet de cette deuxième demande par le Jobcenter Leipzig,
les requérants ont formé opposition contre cette décision du
23 février 2012. Leur recours se fondait sur les articles 18 TFUE
et 45 TFUE et sur l’arrêt Vatsouras et Koupatantze (6). Cette opposition a néanmoins été rejetée par décision du 1er juin 2012.
37. C’est contre cette dernière décision que les requérants au principal ont introduit, le 1er juillet
2012, un recours auprès du Sozialgericht Leipzig (tribunal du
contentieux social de Leipzig, Allemagne). Dans ce cadre, ils demandent
de nouveau l’octroi des prestations de l’assurance de base pour les
demandeurs d’emploi, à savoir la prestation de subsistance, l’allocation
sociale et la participation aux frais d’hébergement et de chauffage
(ci-après les «prestations de l’assurance de base»), au titre du
SGB II, pour la période ayant débuté le 25 janvier 2012.
III – La demande de décision préjudicielle et la procédure devant la Cour
38. Le
Sozialgericht Leipzig considère que, en vertu de l’article 7,
paragraphe 1, deuxième phrase, point 2, du SGB II et de l’article
23, paragraphe 3, du SGB XII, les requérants au principal n’ont pas
droit aux prestations de l’assurance de base. Toutefois, cette
juridiction se demande si les dispositions du droit de l’Union,
notamment l’article 4 du règlement n° 883/2004, le principe général
de non-discrimination résultant de l’article 18 TFUE et le droit de
séjour général résultant de l’article 20 TFUE, ne s’opposent pas aux
dispositions du droit allemand susmentionnées.
39. Par
conséquent, par décision du 3 juin 2013, parvenue à la Cour le
19 juin 2013, le Sozialgericht Leipzig a décidé de surseoir à
statuer et de poser à la Cour, en vertu de l’article 267 TFUE, les
questions préjudicielles suivantes:
«1) Le
champ d’application personnel de l’article 4 du règlement
n° 883/2004 comprend-il les personnes qui ne revendiquent pas une
prestation d’assurance sociale ou une prestation familiale, au sens de
l’article 3, paragraphe 1, [de ce] règlement, mais [revendiquent] une
prestation spéciale à caractère non contributif au sens des articles 3,
paragraphe 3, et 70 [dudit] règlement?
2) En
cas de réponse affirmative à la première question: l’article 4 du
règlement n° 883/2004 interdit-il aux États membres d’exclure,
totalement ou partiellement, pour éviter une prise en charge
déraisonnable de prestations sociales de subsistance à caractère non
contributif, au sens de l’article 70 [de ce] règlement, des
ressortissants de l’Union qui sont dans le besoin du bénéfice de ces
prestations, lesquelles sont octroyées aux ressortissants nationaux dans
la même situation?
3) En
cas de réponse négative à la première ou à la deuxième question:
l’article 18 TFUE et/ou l’article 20, paragraphe 2, [...] sous a), TFUE,
lu en combinaison avec l’article 20, paragraphe 2, [second alinéa],
TFUE, et l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38
interdisent-ils aux États membres d’exclure, totalement ou
partiellement, pour éviter une prise en charge déraisonnable de
prestations sociales de subsistance à caractère non contributif, au sens
de l’article 70 [dudit] règlement, des ressortissants de l’Union qui
sont dans le besoin du bénéfice de ces prestations, lesquelles sont
octroyées aux ressortissants nationaux dans la même situation?
4) Pour
le cas où, [à la] suite [de] la réponse [apportée] aux questions
précédentes, l’exclusion partielle de prestations de subsistance
s’avérerait être conforme au droit de l’Union: l’octroi de prestations
de subsistance à caractère non contributif aux ressortissants de
l’Union, en dehors des cas de grave détresse, peut-[il] se limiter à la
mise à disposition des moyens nécessaires au retour dans l’État
d’origine, ou bien les articles [1er], 20 et 51 de la [Charte] imposent-ils d’octroyer des prestations plus étendues rendant possible un séjour permanent?»
40. Des
observations écrites ont été déposées par les gouvernements allemand et
autrichien (à propos de la deuxième question uniquement), par
l’Irlande, le gouvernement du Royaume-Uni ainsi que par la Commission
européenne.
41. Ils
se sont, en outre, tous exprimés lors de l’audience, qui s’est tenue le
18 mars 2014. Les représentants des requérants au principal ainsi
que des gouvernements danois et français, qui n’avaient pas déposé
d’observations écrites, ont également pu exposer leurs arguments lors de
cette audience.
IV – Analyse
A – La nature des prestations de l’assurance de base au regard du règlement n° 883/2004 et de la directive 2004/38
42. Comme
je l’ai signalé dans mon propos introductif, les questions
préjudicielles ne portent pas expressément sur la qualification des
prestations de l’assurance de base en cause au principal au regard du
règlement n° 883/2004 et de la directive 2004/38. Toutefois, la
juridiction de renvoi interroge la Cour sur la validité du régime
allemand au regard, notamment, du principe d’égalité de traitement visé à
l’article 4 de ce règlement et du critère de ressources suffisantes
exigé à l’article 24, paragraphe 2, de ladite directive. Or, puisque les
champs d’application de ces deux normes dépendent de la nature des
mesures en cause, il m’apparaît que la Cour ne pourra faire l’économie
de ce travail si elle veut donner une réponse utile à la juridiction de
renvoi.
43. Je
vais donc, dans un premier temps, m’attacher à déterminer la nature des
prestations de l’assurance de base dont les requérants au principal
réclament le bénéfice et dont les motifs de refus ont suscité la demande
de décision préjudicielle.
1. Les
prestations spéciales en espèces à caractère non contributif au regard
du règlement n° 883/2004
a) La notion théorique
44. La
notion de prestations spéciales en espèces à caractère non contributif a
été insérée dans le droit de l’Union par le règlement (CEE)
n° 1247/92 du Conseil, du 30 avril 1992, modifiant le
règlement (CEE) n° 1408/71 relatif à l’application des régimes de
sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non
salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur
de la Communauté (7), et
ce afin de tenir compte de la jurisprudence de la Cour selon laquelle
certaines prestations prévues par les législations nationales peuvent
relever simultanément de la sécurité sociale et de l’assistance
sociale (8).
45. La
notion, fruit de la jurisprudence de la Cour, n’est donc pas nouvelle
et sa définition est désormais constante. Une prestation spéciale en
espèces à caractère non contributif se définit par sa finalité. Elle
doit, premièrement, venir en remplacement ou en complément d’une
prestation de sécurité sociale, tout en se distinguant de celle-ci,
deuxièmement, présenter le caractère d’une aide sociale justifiée par
des raisons économiques et sociales et, troisièmement, être décidée par
une réglementation fixant des critères objectifs (9).
En outre, elle doit, quatrièmement, présenter un caractère non
contributif, en ce sens que la prestation en cause ne doit pas être
assurée, directement ou indirectement, par des cotisations sociales mais
doit être assurée par des ressources publiques (10),
et, cinquièmement, conformément à l’article 70, paragraphe 2, sous c),
du règlement n° 883/2004, être mentionnée à l’annexe X de celui-ci.
46. Cette
définition est à rapprocher du principe dégagé par la Cour de justice
sous l’empire du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin
1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux
travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de
leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa
version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du
Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1), et selon lequel «les
dispositions dérogatoires au caractère exportable des prestations de
sécurité sociale, prévues à l’article 10 bis du règlement
n° 1408/71, doivent être interprétées strictement. [Ce qui
signifie, par conséquent, que c]ette disposition ne peut viser que les
prestations qui satisfont aux conditions fixées à l’article 4,
paragraphe 2 bis, du même règlement, à savoir les prestations qui
présentent à la fois un caractère spécial et non contributif et qui sont
mentionnées à l’annexe II bis dudit règlement» (11).
47. Les
dispositions correspondantes du règlement n° 883/2004, à savoir
les articles 3, paragraphe 3, et 70 ainsi que l’annexe X de celui‑ci, ne
sont pas de nature à modifier cette appréciation (12).
48. En
conclusion, comme l’a parfaitement synthétisé l’avocat général Wahl à
la note en bas de page 8 de ses conclusions dans l’affaire Brey, «une
telle prestation [spéciale en espèces à caractère non contributif] doit
être de nature auxiliaire par rapport à un des risques visés à
l’article 3, paragraphe 1 [du règlement n° 883/2004]. Elle doit
apporter à son bénéficiaire un revenu de base dont le montant est fixé
au vu de la situation économique et sociale de l’État membre concerné.
Elle doit aussi être financée par la fiscalité générale plutôt que par
des contributions des bénéficiaires. Enfin, elle doit être énumérée à
l’annexe X dudit règlement [...]» (13).
b) Les prestations de l’assurance de base du SGB II
49. Les
prestations de l’assurance de base prévues par le SGB II
comprennent des prestations de subsistance pour Mme Dano ainsi que des allocations sociales et une participation aux frais d’hébergement et de chauffage pour son fils.
50. Toutes
les parties s’accordent pour les qualifier de prestations spéciales en
espèces à caractère non contributif au sens du règlement
n° 883/2004.
51. En
effet, si nous reprenons les cinq conditions énumérées au point 45 des
présentes conclusions, elles sont mentionnées à l’annexe X du règlement
n° 883/2004 (cinquième condition). Leur caractère non contributif
est établi (quatrième condition) (14)
et il ressort des articles 7 (détermination du bénéficiaire), 8
(définition de l’aptitude à travailler), 9 (définition de l’indigence)
et 1er, paragraphes 1 et 3 (fonction et objectifs de
l’assurance de base), du SGB II, qu’elles peuvent être considérées
comme présentant le caractère d’une aide sociale justifiée par des
raisons économiques et sociales (deuxième condition) et qu’elles sont
décidées par une réglementation fixant des critères objectifs au sens de
la jurisprudence de la Cour précitée (troisième condition) (15).
52. La
première condition, c’est‑à‑dire le caractère auxiliaire de ces
prestations par rapport à l’un des risques énumérés limitativement à
l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 883/2004, paraît, par
contre, moins évident à déterminer.
53. Selon
la Commission, les prestations de l’assurance de base se rapporteraient
à des prestations de chômage au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous
h), du règlement n° 883/2004. Il s’agirait en effet, selon la
Commission, de prestations destinées à remplacer un salaire que ne
perçoit pas une personne qui est en état de chômage, tout en étant apte à
travailler, afin de subvenir à son entretien.
54. Le
gouvernement allemand estime au contraire que l’assurance de base
prévue dans le SGB II ne pourrait être classée dans l’une des
branches de sécurité sociale mentionnées à l’article 3, paragraphe 1, du
règlement n° 883/2004. Selon ce gouvernement, le régime de
l’assurance de base ne serait pas lié au risque de chômage, mais
accorderait des prestations à des personnes qui, tout en étant aptes à
travailler, se trouvent dans une situation de besoin. Cela ne l’empêche
cependant pas de les classer dans les prestations spéciales en espèces à
caractère non contributif (16).
55. Je
retiens des explications fournies par le gouvernement allemand que le
système instauré par le SGB II est issu du regroupement de deux
régimes antérieurs (l’assistance chômage, d’une part, et l’aide sociale,
d’autre part) et qu’il est destiné aux personnes aptes à travailler et
aux membres de leur famille.
56. Je
relève également que le gouvernement allemand précise qu’un autre
régime d’assistance sociale continue à subsister à côté du SGB II, à
savoir l’aide sociale au sens étroit, définie dans le SGB XII.
57. Il
ressort de ces considérations que le caractère mixte du régime instauré
par le SGB II (issu de la fusion de deux régimes antérieurs dont
l’un était exclusivement consacré à l’assistance chômage), le maintien
d’un régime d’aide sociale distinct du SGB II et l’inscription de
l’assurance de base à l’annexe X du règlement n° 883/2004 m’incitent à
voir également dans ce régime une prestation spéciale en espèces à
caractère non contributif.
2. Prestation d’assistance sociale au regard de la directive 2004/38
a) La notion théorique: indépendance par rapport au règlement n° 883/2004
58. Ce
n’est pas parce qu’une prestation n’est pas, au regard du règlement
n° 883/2004, une prestation d’assistance sociale qu’elle ne peut
pas relever du système d’assistance sociale au sens de la directive
2004/38.
59. La
possibilité qu’une prestation spéciale en espèces à caractère non
contributif au sens du règlement n° 883/2004 puisse également
relever de la notion d’«assistance sociale» au sens de la directive
2004/38 était, d’ailleurs, au cœur de l’affaire Brey (17).
60. L’avocat
général Wahl, examinant les objectifs poursuivis par les deux
instruments (dont le premier a trait, pour l’essentiel, à la sécurité
sociale et le second, globalement, aux libertés de circulation, à la
non-discrimination et à la citoyenneté de l’Union), est arrivé à la
conclusion que la notion d’«assistance sociale» pouvait ne pas être la
même dans les deux textes (18).
61. La
Cour a suivi cette approche en estimant que «la notion de ‘système
d’assistance sociale’ figurant à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de
la directive 2004/38 ne saurait être réduite [...] aux prestations
d’assistance sociale qui, en vertu de l’article 3, paragraphe 5, sous
a), du règlement n° 883/2004, ne relèvent pas du champ
d’application de ce règlement» (19).
62. Au
contraire, selon elle, la notion de «système d’assistance sociale» au
sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38 doit
être déterminée en fonction de l’objectif poursuivi par cette
disposition et non par rapport à des critères formels (20).
Elle doit dès lors s’interpréter «comme faisant référence à
l’ensemble des régimes d’aides institués par des autorités publiques,
que ce soit au niveau national, régional ou local, auxquels a recours un
individu, qui ne dispose pas de ressources suffisantes pour faire face à
des besoins élémentaires ainsi qu’à ceux de sa famille et qui risque,
de ce fait, de devenir, pendant son séjour, une charge pour les finances
publiques de l’État membre d’accueil susceptible d’avoir des
conséquences sur le niveau global de l’aide pouvant être octroyée par
cet État» (21).
63. Il résulte toutefois de l’arrêt Vatsouras et Koupatantze (22)
que des prestations de nature financière qui, indépendamment de leur
qualification dans la législation nationale, sont destinées à faciliter
l’accès au marché du travail ne sauraient, en revanche, être considérées
comme des «prestations d’assistance sociale» au sens de l’article 24,
paragraphe 2, de la directive 2004/38.
64. Cette
précision me semble importante dans la mesure où l’avocat général
Ruiz-Jarabo Colomer avait exprimé, dans ses conclusions, un avis
exactement opposé selon lequel «il [pourrait] exister des prestations
‘d’assistance sociale’ du type de celles envisagées par l’article 24,
paragraphe 2, de la directive 2004/38 qui favorisent l’intégration au
marché du travail» (23).
b) Les prestations de l’assurance de base du SGB II
65. Au point 43 de son arrêt Vatsouras et Koupatantze (24),
la Cour a émis l’hypothèse que la condition prévue à l’article 7,
paragraphe 1, du SGB II, selon laquelle une personne devait être en
mesure d’exercer une activité professionnelle pour bénéficier des
prestations de l’assurance de base du SGB II, pourrait constituer
un indice que les prestations en cause sont destinées à faciliter
l’accès à l’emploi.
66. Si
tel était le cas, les prestations de l’assurance de base du SGB II
ne pourraient pas, vu la précision rappelée au point 63 des présentes
conclusions, être considérées comme des prestations d’assistance sociale
au sens de la directive 2004/38.
67. Je
ne suis cependant pas certain que le critère de l’aptitude à exercer
une activité professionnelle doive être considéré comme déterminant, à
lui seul, la qualification des prestations au regard de cette directive.
68. En
effet, selon le critère méthodologique retenu par la Cour dans l’arrêt
Brey, la notion de «système d’assistance sociale» au sens de l’article
7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38 doit être déterminée
en fonction de l’objectif poursuivi par cette disposition et non par rapport à des critères formels (25).
69. À
ce propos, si l’article 19a du SGB I prévoit que tant des
prestations visant à assurer la subsistance que des prestations visant
l’insertion dans le travail peuvent être revendiquées au titre du droit à
l’assurance de base pour les demandeurs d’emploi, l’article 1er,
paragraphe 1, du SGB II, intitulé «Fonction et objectif de
l’assurance de base pour les demandeurs d’emploi», précise que
«l’assurance de base pour les demandeurs d’emploi vise à permettre à ses
bénéficiaires de mener une vie conforme à la dignité humaine».
70. L’article 1er,
paragraphe 3, du SGB II rappelle lui aussi que l’assurance de base
pour les demandeurs d’emploi comprend des prestations visant à mettre
fin ou à réduire l’état de besoin, en particulier moyennant l’insertion
dans le travail, et à assurer la subsistance.
71. En
outre, selon l’article 19 du SGB II, les prestations en cause
couvriraient «les besoins de base, les besoins supplémentaires et les
besoins d’hébergement et de chauffage». Les prestations d’aide à
l’insertion professionnelle dont il est question dans le cadre de
l’assurance de base pour les demandeurs d’emploi seraient par contre
essentiellement décrites dans le cadre du livre III du code social
(Sozialgesetzbuch Drittes Buch). Or, selon la juridiction de renvoi, ces
dispositions ne font pas l’objet du présent litige, les demandes des
requérants au principal ne concernant pas les prestations d’aide à
l’insertion professionnelle.
72. Les
prestations de l’assurance de base en cause dans l’affaire au principal
me paraissent donc correspondre à la définition du «système
d’assistance sociale», au sens de la directive 2004/38, retenue par la
Cour dans l’arrêt Brey, c’est‑à‑dire un régime d’aides institué par une
autorité publique et auquel a recours un individu, qui ne dispose pas de
ressources suffisantes pour faire face à des besoins élémentaires ainsi
qu’à ceux de sa famille et qui risque, de ce fait, de devenir, pendant
son séjour, une charge pour les finances publiques de l’État membre
d’accueil, susceptible d’avoir des conséquences sur le niveau global de
l’aide pouvant être octroyée par cet État (26).
3. Conclusion intermédiaire quant à la nature des prestations de l’assurance de base
73. Au
terme de cette analyse liminaire, j’arrive à la conclusion que les
prestations de l’assurance de base constituent, d’une part, des
prestations spéciales en espèces à caractère non contributif au sens du
règlement n° 883/2004 et, d’autre part, des prestations
d’assistance sociale au sens de la directive 2004/38.
74. Si
la Cour devait appréhender, au contraire, les prestations de
l’assurance de base comme des prestations d’«assistance sociale» au sens
du règlement n° 883/2004, rejetant ainsi la qualification de
prestations spéciales en espèces à caractère non contributif, il serait
alors inutile de répondre à la première question préjudicielle. En
effet, cette question ne vise que l’applicabilité de l’article 4 de
ce règlement aux prestations spéciales en espèces à caractère non
contributif. En outre, l’inutilité de la réponse s’imposerait d’autant
plus que l’article 3, paragraphe 5, dudit règlement exclut expressément
les prestations d’assistance sociale de son champ d’application.
B – Sur la première question préjudicielle
75. Par
sa première question, la juridiction de renvoi se demande si l’article
4 du règlement n° 883/2004 s’applique aux prestations spéciales en
espèces à caractère non contributif au sens des articles 3, paragraphe
3, et 70 de ce règlement.
76. L’article
3 dudit règlement définit son champ d’application matériel. Il précise
expressément, à son paragraphe 3, qu’il «s’applique également aux
prestations spéciales en espèces à caractère non contributif visées à
l’article 70».
77. Cet
article 70 comprend quatre paragraphes. Le premier définit le champ
d’application dudit article en donnant une définition des prestations
spéciales en espèces à caractère non contributif. Le deuxième précise la
définition en énumérant les éléments constitutifs requis. Le quatrième
établit le principe selon lequel ces prestations sont octroyées dans
l’État de résidence de l’intéressé et conformément à sa législation. Le
troisième énonce, enfin, que «[l]’article 7 et les autres chapitres du
présent titre ne s’appliquent pas aux prestations visées au paragraphe 2
du présent article».
78. Il
ressort donc incontestablement des articles 3, paragraphe 3, et 70,
paragraphe 3, du règlement n° 883/2004 que l’article 4 du même
règlement s’applique aux prestations spéciales en espèces à caractère
non contributif.
79. En
effet, l’article 3, paragraphe 3, du règlement n° 883/2004 édicte,
expressément et sans aucune exception, que ce règlement s’applique aux
prestations spéciales en espèces à caractère non contributif visées à
l’article 70. Or, si cet article rend inapplicable aux mêmes
prestations, par exception, certaines dispositions dudit règlement,
l’article 4 ne figure pas parmi celles-ci.
80. Cette
interprétation correspond, en outre, à la volonté du législateur telle
qu’elle est exprimée au septième considérant du règlement
n° 1247/92, lequel a, comme je l’ai expliqué précédemment, modifié
le règlement n° 1408/71 pour y insérer les dispositions relatives
aux prestations spéciales en espèces à caractère non contributif.
81. Selon
ce considérant, les prestations qui relèvent simultanément de la
sécurité sociale et de l’assistance sociale, c’est-à-dire les
prestations spéciales en espèces à caractère non contributif «devraient
être octroyées [...] uniquement en conformité avec la législation du
pays sur le territoire duquel la personne concernée, ou les membres de
sa famille résident [...] et en l’absence de toute discrimination sur le fondement de la nationalité» (27).
82. Il
serait par conséquent contraire non seulement à la lettre du règlement
n° 883/2004, mais également à la volonté du législateur d’exclure
du principe d’égalité de traitement consacré à l’article 4 dudit
règlement les prestations spéciales en espèces à caractère non
contributif.
83. Puisque,
pour reprendre les termes de l’article 4 dudit règlement, rien dans
celui-ci ne permet d’affirmer qu’il «en dispose autrement», j’estime
que, en principe, «les personnes auxquelles le présent règlement
s’applique bénéficient des mêmes prestations [spéciales en espèces à
caractère non contributif] et sont soumises aux mêmes obligations, en
vertu de la législation de tout État membre, que les ressortissants de
celui-ci».
84. Je
propose donc à la Cour de répondre à la première question posée par la
juridiction de renvoi que le champ d’application personnel de l’article 4
du règlement n° 883/2004 comprend les personnes qui revendiquent
une prestation spéciale en espèces à caractère non contributif au sens
des articles 3, paragraphe 3, et 70 du règlement n° 883/2004.
85. Toutefois,
je précise d’emblée que cette conclusion ne signifie pas nécessairement
que la discrimination invoquée dans le litige au principal est
contraire au principe d’égalité tel que prévu à l’article 4 du règlement
n° 883/2004.
86. Cette
réflexion est au centre des deuxième et troisième questions posées par
la juridiction de renvoi. Je les examinerai donc conjointement.
C – Sur les deuxième et troisième questions préjudicielles
1. L’objet des deuxième et troisième questions et les règles applicables
87. Par
ses deuxième et troisième questions, la juridiction de renvoi demande,
en substance, si le droit de l’Union s’oppose à une réglementation
nationale selon laquelle des ressortissants d’un autre État membre,
économiquement non actifs, sont exclus, totalement ou partiellement, du
bénéfice de certaines prestations spéciales en espèces à caractère non
contributif au sens du règlement n° 883/2004, alors que ces
prestations devraient être garanties aux ressortissants de l’État membre
concerné qui se trouvent dans la même situation.
88. Outre
le principe d’égalité de traitement prévu à l’article 4 du règlement
n° 883/2004, la juridiction de renvoi invoque également l’article
18 TFUE, l’article 20, paragraphe 2, sous a), et second alinéa, TFUE
ainsi que l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38.
89. L’article
18 TFUE interdit toute discrimination exercée en raison de la
nationalité «[d]ans le domaine d’application des traités, et sans
préjudice des dispositions particulières qu’ils prévoient». L’article
20, paragraphe 2, second alinéa, TFUE précise quant à lui, expressément,
que les droits que confère cet article aux citoyens de l’Union
s’exercent «dans les conditions et limites définies par les traités et
les mesures adoptées en application de ceux-ci». J’ajoute que l’article
21, paragraphe 1, TFUE subordonne, lui aussi, le droit des citoyens de
l’Union de circuler et de séjourner librement sur le territoire des
États membres au respect des «limitations et conditions prévues par les
traités et par les dispositions prises pour leur application».
90. Or,
le règlement n° 883/2004 et la directive 2004/38 constituent de
telles conditions ou limitations, adoptées en exécution des traités ou
pour assurer leur application (28).
91. Par
conséquent, ils me paraissent être les seuls instruments utiles pour
répondre aux deuxième et troisième questions, à cela près que, à mon
sens, l’article 24, paragraphe 2, de ladite directive n’est pas
pertinent dans le cas d’espèce soumis à la juridiction de renvoi.
92. En
effet, il semble ressortir du dossier que la requérante au principal
n’est pas entrée en Allemagne pour chercher du travail et qu’elle ne
s’efforce pas d’y trouver un emploi. Or, l’article 24, paragraphe 2, de
la directive 2004/38 permet aux États membres de ne pas accorder le
droit à une prestation d’assistance sociale à des personnes «autres que
les travailleurs salariés, les travailleurs non salariés, les personnes
qui gardent ce statut et les membres de leur famille», et
ce pendant les trois premiers mois de séjour ou pendant la période
de recherche d’emploi qui se prolonge au-delà de cette première
période (29). Puisque Mme
Dano est en Allemagne depuis plus de trois mois, qu’elle ne cherche pas
de travail et qu’elle n’est pas entrée dans ce pays pour en trouver,
elle ne relève pas du champ d’application personnel de cette
disposition. En revanche, sa situation est visée par l’article 7,
paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38, relatif à l’exigence de
ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système
d’assistance sociale de l’État membre d’accueil.
2. La
portée des deuxième et troisième questions préjudicielles au regard de
la jurisprudence de la Cour
a) La possibilité de restreindre la portée du principe d’égalité de traitement
93. L’existence
éventuelle d’une inégalité de traitement entre les citoyens de l’Union
ayant fait usage de leur liberté de circulation et de séjour et les
ressortissants de l’État membre d’accueil est une conséquence inévitable
de la directive 2004/38.
94. Comme
le relevait déjà l’avocat général Wahl au point 38 de ses conclusions
dans l’affaire Brey, «[a]lors que l’objectif principal de la directive
2004/38 est de simplifier et de renforcer le droit à la liberté de
circulation et de séjour de tous les citoyens de l’Union, l’objectif
particulier de l’article 7, paragraphe 1, sous b), [de cette directive]
est de garantir que les personnes exerçant leur droit de séjour ne
deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance
sociale de l’État membre d’accueil pendant une première période de
séjour. Cela indique que cette disposition cherche à empêcher que des
citoyens de l’Union économiquement inactifs utilisent le système de
protection sociale de l’État membre d’accueil pour financer leurs moyens
d’existence» (30).
95. La
Cour partage l’analyse de l’avocat général Wahl. Elle estime en effet,
au point 57 de son arrêt (31),
que, «si le règlement n° 883/2004 vise à garantir aux citoyens de
l’Union qui ont fait usage du droit à la libre circulation des
travailleurs le maintien du droit à certaines prestations de sécurité
sociale octroyées par leur État membre d’origine, la directive 2004/38
permet, pour sa part, à l’État membre d’accueil d’imposer aux citoyens
de l’Union, lorsqu’ils n’ont pas ou plus la qualité de travailleur, des
restrictions légitimes en ce qui concerne l’octroi de prestations
sociales afin que ceux-ci ne deviennent pas une charge déraisonnable
pour le système d’assistance sociale de cet État membre».
96. Dans
ce cadre, il résulte nécessairement du rapport qu’a établi le
législateur de l’Union à l’article 7 de la directive 2004/38 entre
l’exigence de ressources suffisantes comme condition de séjour, d’une
part, et le souci de ne pas créer une charge pour le système
d’assistance sociale des États membres, d’autre part, une potentialité
d’inégalité de traitement dans l’octroi des prestations d’assistance
sociale entre les ressortissants de l’État membre d’accueil et les
autres citoyens de l’Union.
97. La
question au centre de la présente affaire me semble, dès lors, être
celle de la légalité, au regard de la directive 2004/38 et du principe
de proportionnalité, d’une exclusion générale du bénéfice de
l’assistance sociale des ressortissants d’autres États membres qui sont
entrés sur le territoire de l’État membre d’accueil afin, pour reprendre
les termes de l’article 23, paragraphe 3, du SGB XII, «d’obtenir
de l’aide sociale ou dont le droit de séjour découle du seul objectif de
la recherche d’un emploi».
b) Une tentative de synthèse de la jurisprudence existante de la Cour
98. Confronté
à un problème similaire dans l’affaire Brey – la législation nationale
en cause dans cette affaire subordonnait le droit à une prestation
d’assistance sociale à un séjour régulier sur le territoire de cet État
membre – l’avocat général Wahl s’est montré catégorique, en affirmant
que, «[a]ux termes de la directive 2004/38, il pourrait sembler justifié
qu’un État membre protège son système d’assistance sociale en ce qui
concerne les citoyens de l’Union inactifs qui n’ont pas encore obtenu le
droit de séjour permanent. Néanmoins, [...] des dispositions qui font
dépendre le droit de séjour du fait de ne pas avoir recours au système
d’assistance sociale de l’État membre d’accueil et qui ne prévoient pas
une appréciation individuelle des capacités économiques d’un citoyen de
l’Union ne sont pas compatibles avec les articles 8, paragraphe 4, et
14, paragraphe 3, de la directive 2004/38» (32).
99. Force
est de constater que la Cour suit cette interprétation de la directive
2004/38 lorsqu’elle décide, au point 77 de l’arrêt Brey (33),
qu’une «exclusion automatique par l’État membre d’accueil des
ressortissants d’autres États membres économiquement non actifs du
bénéfice d’une prestation sociale donnée [...] ne permet pas aux
autorités compétentes de l’État membre d’accueil, lorsque les ressources
de l’intéressé sont inférieures au montant de référence pour l’octroi
de cette prestation, de procéder, conformément aux exigences découlant,
notamment, des articles 7, paragraphe 1, sous b), et 8, paragraphe 4, de
cette directive, ainsi que du principe de proportionnalité, à une
appréciation globale de la charge que représenterait concrètement
l’octroi de cette prestation sur l’ensemble du système d’assistance
sociale en fonction des circonstances individuelles caractérisant la
situation de l’intéressé».
100. La
conclusion à laquelle l’arrêt Brey aboutit s’inscrit dans la continuité
de la jurisprudence antérieure de la Cour relative à la question des
prestations d’assistance sociale.
101. Dans l’arrêt Grzelczyk (34),
la Cour a notamment décidé que les articles 6 CE et 8 CE (devenus
articles 18 TFUE et 20 TFUE) s’opposaient à ce qu’une prestation sociale
d’un régime non contributif soit subordonnée, en ce qui concerne les
ressortissants d’États membres autres que l’État membre d’accueil sur le
territoire duquel lesdits ressortissants séjournent légalement, à la
condition que ces derniers entrent dans le champ d’application du
règlement relatif à la libre circulation des travailleurs, alors même
qu’aucune condition de cette nature ne s’applique aux ressortissants de
l’État membre d’accueil.
102. L’aboutissement le plus extrême de cette jurisprudence se trouve sans doute dans l’arrêt Trojani (35)
où la Cour, après avoir affirmé qu’un citoyen de l’Union qui ne
bénéficie pas dans l’État membre d’accueil d’un droit de séjour au titre
des articles 45 TFUE, 49 TFUE ou 56 TFUE peut, en sa seule qualité de
citoyen de l’Union, y bénéficier d’un droit de séjour par application
directe de l’article 20, paragraphe 1, TFUE, a ajouté «[qu’]une fois
vérifié qu’une personne se trouvant dans une situation telle que celle
du requérant au principal dispose d’une carte de séjour, cette personne
peut se prévaloir de l’article [18 TFUE] afin de se voir accorder le
bénéfice d’une prestation d’assistance sociale».
c) Confrontation
de la jurisprudence au cas d’espèce, à la ratio legis et au texte de la
directive 2004/38
103. La
confrontation de la jurisprudence de la Cour au cas d’espèce ainsi qu’à
la ratio legis et au texte de la directive 2004/38 m’interpelle (36).
104. La
directive 2004/38 subordonne expressément le droit de séjour de plus de
trois mois d’un citoyen de l’Union qui n’est pas un travailleur
(salarié ou non salarié) à la double condition qu’il dispose, pour lui
et pour les membres de sa famille, de ressources suffisantes afin de ne
pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État
membre d’accueil au cours de son séjour ainsi que d’une assurance
maladie complète dans l’État membre d’accueil (37).
105. Sauf
à mettre en cause la validité de ladite directive au regard des
articles 18 TFUE, 20 TFUE et 21 TFUE, il me semble donc légitime qu’un
État membre puisse refuser l’octroi de prestations d’assistance sociale à
des citoyens qui exercent leur liberté de circulation dans le seul but
d’obtenir le bénéfice de l’aide sociale d’un autre État membre alors
même qu’ils ne disposent pas des ressources suffisantes pour prétendre
au bénéfice d’un droit de séjour de plus de trois mois.
106. Leur
refuser ce droit entraînerait la conséquence qu’un ressortissant d’un
État membre qui n’a pas, lors de son arrivée sur le territoire d’un
autre État membre, les ressources suffisantes pour subvenir à ses
besoins, en disposerait, automatiquement et de facto, par
l’octroi d’une prestation spéciale en espèces à caractère non
contributif dont le but est d’assurer la subsistance du bénéficiaire en
lui permettant de mener une vie conforme à la dignité humaine.
107. L’application
cumulée des deux normes de droit dérivé que sont le règlement
n° 883/2004 et la directive 2004/38 aboutirait, s’ils étaient
interprétés comme empêchant l’exclusion générale des ressortissants des
États membres autres que l’État membre d’accueil du bénéfice d’une
prestation d’assistance sociale de ce type, à annihiler la volonté
manifestée par le législateur dans ladite directive.
108. En
effet, selon le considérant 10 de la directive 2004/38, il convient
d’éviter que les personnes exerçant leur droit de séjour ne deviennent
une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État
membre d’accueil, ce qui implique que «[l]’exercice du droit de séjour
des citoyens de l’Union et des membres de leur famille, pour des
périodes supérieures à trois mois, devrait, dès lors, rester soumis à
des conditions». Le considérant 21 ajoute que l’État membre d’accueil
«devrait [par conséquent] être libre de déterminer s’il entend accorder
aux personnes autres que celles qui exercent une activité salariée ou
non salariée, celles qui conservent ce statut et les membres de leur
famille[,] des prestations d’assistance sociale au cours des trois
premiers mois de séjour, ou de périodes plus longues en faveur des
demandeurs d’emploi».
109. J’ajoute
que, si l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2004/38 autorise le
droit de séjour des citoyens de l’Union et des membres de leur famille
pendant les trois premiers mois (38),
«tant qu’ils ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système
d’assistance sociale de l’État membre d’accueil», son article 7,
paragraphe 1, sous b), impose, quant à lui, au citoyen de l’Union, qui a
exercé sa liberté de circulation et qui souhaite rester sur le
territoire de l’État d’accueil plus de trois mois, de disposer de
ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système
d’assistance sociale de l’État membre d’accueil sans exiger que
celle-ci soit «déraisonnable».
110. Le
considérant 16 de la directive 2004/38, qui explicite l’idée
sous-jacente à la condition de ressources suffisantes nécessaires au
maintien du droit de séjour, associe d’ailleurs l’expression «charge
déraisonnable» à l’ensemble des «bénéficiaires du droit de séjour». Ces
derniers sont donc envisagés collectivement.
111. À
ce propos, je partage l’opinion de l’avocat général Wahl lorsqu’il
constate qu’«[u]ne simple demande d’assistance sociale ne peut pas en elle-même constituer
une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État
membre d’accueil et provoquer une perte du droit de séjour» (39). Il est, en effet, difficilement concevable que l’aide accordée à un seul
demandeur puisse être insupportable pour un État membre, si petit
soit-il. C’est donc nécessairement la conséquence globale éventuelle de
toutes les demandes individuelles que le législateur avait à l’esprit en
permettant aux États membres d’exiger de chaque demandeur de
séjour qu’il établisse qu’il dispose de ressources suffisantes et d’une
assurance maladie complète pour séjourner plus de trois mois sur le
territoire d’un État membre autre que celui dont il est le
ressortissant.
112. J’éprouve
par conséquent certaines difficultés à concilier ces considérations
avec l’idée, développée dans le même point des conclusions rendues dans
l’affaire Brey, selon laquelle, «des dispositions qui font dépendre le
droit de séjour du fait de ne pas avoir recours au système d’assistance
sociale de l’État membre d’accueil et qui ne prévoient pas une
appréciation individuelle des capacités économiques d’un citoyen de
l’Union ne sont pas compatibles avec [...] la directive 2004/38».
113. En
effet, ce raisonnement me paraît susceptible de conduire à une impasse.
La directive 2004/38 subordonne le droit de séjour à la double
condition objective de disposer de ressources suffisantes et d’une
assurance maladie complète. De deux choses l’une: soit le citoyen de
l’Union dispose de ressources suffisantes et il peut alors séjourner sur
le territoire de l’État membre de son choix et n’aura pas besoin, par
le fait même de disposer de ressources suffisantes, de recourir à des
prestations d’assistance sociale dont l’objet est d’assurer un minimum
vital, soit il ne dispose pas de ressources suffisantes et il remplit
alors théoriquement les conditions pour obtenir le bénéfice de ce type
de prestations d’assistance sociale, mais il ne peut alors séjourner
dans un État membre autre que celui dont il est le ressortissant au
regard de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38.
Empêcher les États membres d’exclure ce type de situations du bénéfice
de l’assistance sociale conduit à ce que la condition de ressources
suffisantes soit artificiellement remplie dans le chef du citoyen de
l’Union qui se déplace dans le seul but d’obtenir l’aide sociale d’un
État membre autre que celui dont il est le ressortissant.
114. Une interprétation du règlement n° 883/2004 et de la directive 2004/38 dans la ligne de la jurisprudence de la Cour (40)
me paraît également susceptible de conduire à une situation paradoxale
au regard de l’article 24, paragraphe 2, de cette directive.
115. Si
l’article 24, paragraphe 1, de ladite directive proclame le principe de
l’égalité de traitement, le paragraphe 2 y déroge en autorisant,
expressément, l’État membre d’accueil à refuser le droit à une
prestation d’assistance sociale aux chercheurs d’emploi.
116. Par
conséquent, si la Cour devait considérer une réglementation telle celle
en cause au principal contraire au droit de l’Union, nous aboutirions à
une situation où le ressortissant d’un État membre ayant utilisé son
droit à la libre circulation en tant que citoyen de l’Union, sans
volonté de s’intégrer dans le marché du travail de l’État membre
d’accueil, se trouverait dans une situation plus favorable que le
ressortissant d’un État membre ayant quitté son pays d’origine pour
rechercher un emploi dans un autre État membre. En effet, le second
pourrait se voir refuser l’octroi d’une prestation d’assistance sociale
sur la base d’une réglementation adoptée conformément à l’article 24,
paragraphe 2, de la directive 2004/38, alors que le premier ne le
pourrait que sur la base d’un examen approfondi de sa situation
personnelle (41).
117. Je
terminerai ces réflexions relatives à la cohérence du système mis en
place par la directive 2004/38 en évoquant l’idée selon laquelle
l’octroi d’une prestation d’assistance sociale pèse nécessairement sur
le système d’assistance sociale. En effet, cette conséquence découle de
la définition même du système d’assistance sociale retenue par la Cour,
celle-ci l’appréhendant comme «l’ensemble des régimes d’aides institués
par des autorités publiques, que ce soit au niveau national, régional ou
local, auxquels a recours un individu, qui ne dispose pas de ressources
suffisantes pour faire face à des besoins élémentaires ainsi qu’à ceux
de sa famille et qui risque, de ce fait, de devenir, pendant son
séjour, une charge pour les finances publiques de l’État membre
d’accueil susceptible d’avoir des conséquences sur le niveau global de
l’aide pouvant être octroyée par cet État» (42).
118. Au
vu de ces considérations, la réglementation d’un État membre, telle que
celle en cause au principal, qui exclut du bénéfice d’une prestation
spéciale en espèces à caractère non contributif, au sens du règlement
n° 883/2004 (par ailleurs constitutive d’une prestation
d’assistance sociale au sens de la directive 2004/38), les personnes qui
se rendent sur le territoire dudit État membre dans le seul but de
bénéficier de cette mesure ou de rechercher un emploi, ne me paraît pas
aller à l’encontre de l’article 4 du règlement n° 883/2004, ni du
système mis en place par la directive 2004/38.
119. Elle
permet, au contraire, d’éviter, comme le prescrit l’article 7,
paragraphe 1, sous b), de la directive 2004/38, qu’un citoyen de l’Union
devienne «une charge pour le système d’assistance sociale» dans la
mesure où il ne dispose pas de ressources suffisantes pour subvenir, par
ses propres moyens, à ses besoins.
3. Est-il possible de distinguer l’affaire Brey de l’affaire au principal?
120. Dans
la présente affaire, les débats se sont centrés sur les conséquences de
l’arrêt Brey. Au vu des réflexions qui précèdent, ne conviendrait-il
pas de distinguer les deux affaires?
121. Dans
l’affaire Brey, la loi autrichienne subordonnait l’octroi de la
prestation d’assistance sociale à la régularité du séjour, laquelle
impose au-delà des trois premiers mois, comme je l’ai déjà rappelé, soit
d’être un travailleur salarié ou non salarié dans l’État membre
d’accueil, soit de disposer de ressources suffisantes pour ne pas
devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre
d’accueil au cours de son séjour, ainsi que d’une assurance maladie
complète dans l’État membre d’accueil (43).
122. Dans
une telle hypothèse, l’exigence d’un examen individuel s’imposait au
regard de l’économie générale de la directive 2004/38. Il serait en
effet contraire à celle-ci d’autoriser une exclusion automatique du
bénéfice d’une prestation sociale par une référence générale et
abstraite à la régularité du séjour alors que, pour apprécier cette
régularité, l’article 8 de ladite directive interdit expressément aux
États membres de fixer le montant des ressources qu’ils considèrent
comme suffisantes et leur impose de tenir compte de la situation personnelle de
la personne concernée, et que l’article 14, paragraphe 3, de celle-ci
précise que le recours au système d’assistance sociale par un citoyen de
l’Union ne peut entraîner une mesure d’éloignement automatique.
123. À
l’inverse, l’article 7, paragraphe 1, point 2 de la deuxième phrase, du
SGB II et l’article 23, paragraphe 3, du SGB XII ne font pas
référence à la régularité du séjour du demandeur mais refusent l’octroi
de prestations d’assistance sociale aux personnes dont le droit de
séjour découlerait du seul objectif de la recherche d’un emploi ou de
l’obtention de l’aide sociale.
124. L’octroi
de la prestation d’assistance sociale est, avec une telle
réglementation, indépendante de la régularité du séjour du demandeur au
regard de la directive 2004/38. Pour reprendre les termes de l’arrêt
Grzelczyk (44), il ne dépend pas, stricto sensu, de la condition d’entrer dans le «champ d’application» de la directive 2004/38.
125. Cette
distinction me paraît toutefois, si ce n’est artificielle, à tout le
moins ténue. En effet, si, comme le représentant du gouvernement
allemand l’a confirmé lors de l’audience, la réglementation allemande ne
lie pas formellement la régularité du séjour et le bénéfice des
prestations de subsistance, il est toutefois probable que le séjour des
requérants au principal soit précarisé en cas d’exclusion du bénéfice
des prestations de subsistance.
4. L’exigence légitime d’un lien réel avec l’État membre d’accueil
126. Une
dernière analyse me semble toutefois devoir être effectuée au regard du
principe de proportionnalité. Il faut en effet s’interroger sur la
relation qui unit le critère général utilisé par la législation
allemande et l’existence d’un lien «réel» entre les personnes visées par
son champ d’application et l’État membre d’accueil.
127. Je
constate que, en matière de frais d’entretien d’étudiants par exemple,
la Cour a admis, à plusieurs reprises, que, si les États membres
devaient faire preuve, dans l’organisation et l’application de leur
système d’assistance sociale, d’une certaine solidarité financière avec
les ressortissants d’autres États membres, il leur était permis de
veiller à ce que l’octroi de telles aides à des étudiants provenant
d’autres États membres ne devienne pas une charge déraisonnable qui
pourrait avoir des conséquences sur le niveau global de l’aide pouvant
être octroyée par cet État. Dans cette optique, la Cour a estimé qu’il
était légitime pour un État membre de n’octroyer ce type d’aides qu’aux
étudiants qui ont démontré un certain degré d’intégration dans la société de cet État (45).
128. La
Cour a adopté une attitude similaire en ce qui concerne des allocations
d’attente accordées aux jeunes à la recherche d’un premier emploi ou
d’une allocation de recherche d’emploi. Dans ces hypothèses, la Cour a
en effet également jugé légitime pour le législateur national de vouloir
s’assurer de l’existence d’un lien réel entre le demandeur d’allocations et le marché géographique du travail en cause (46).
129. Il
découle de cette jurisprudence que le droit aux prestations
d’assistance sociale des citoyens de l’Union, économiquement non actifs,
requiert en général une certaine exigence d’intégration dans l’État
membre d’accueil.
130. Ces
préoccupations légitimes se reflètent dans les considérants 10 et 21 de
la directive 2004/38, rappelés précédemment, selon lesquels il
convient, d’une part, «d’éviter que les personnes exerçant leur droit de
séjour ne deviennent une charge déraisonnable pour le système
d’assistance sociale de l’État membre d’accueil pendant une première
période de séjour» et, d’autre part, de laisser l’État membre d’accueil
«libre de déterminer s’il entend accorder aux personnes autres que
celles qui exercent une activité salariée ou non salariée, celles qui
conservent ce statut et les membres de leur famille des prestations
d’assistance sociale au cours des trois premiers mois de séjour, ou de
périodes plus longues en faveur des demandeurs d’emploi».
131. En
l’espèce, en refusant les prestations de l’assurance de base à des
personnes qui viennent en Allemagne dans le seul but de bénéficier du
régime d’assistance sociale de cet État membre et qui ne cherchent
nullement à s’intégrer sur le marché de l’emploi, la réglementation
nationale me paraît s’inscrire dans la volonté du législateur de
l’Union. Elle permet d’éviter que les personnes qui exercent leur
liberté de circulation sans volonté d’intégration ne deviennent une
charge pour le système d’assistance sociale. Elle est en outre conforme à
la marge de manœuvre laissée aux États membres en la matière. En
d’autres termes, elle permet d’éviter les abus et une certaine forme de
«tourisme social» (47).
132. Je
relève également que la Cour, il est vrai dans un domaine différent, a
jugé qu’«il ne saurait, en règle générale, être requis qu’une mesure
[...] impose de procéder à un examen individuel de chaque cas
particulier [...], dans la mesure où la gestion du régime concerné doit
rester viable d’un point de vue technique et économique» (48).
Elle a également admis qu’un risque d’atteinte grave à l’équilibre
financier d’un système de sécurité sociale puisse constituer une raison
impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier certaines entraves
aux libertés fondamentales (49).
C’est également cette idée qui se trouve derrière la possibilité
laissée aux États membres de veiller à ce que l’octroi d’aides visant à
couvrir les frais d’entretien d’étudiants provenant d’autres États
membres ne devienne une charge déraisonnable qui pourrait avoir des
conséquences sur le niveau global de l’aide pouvant être octroyée par
cet État (50).
133. Si
la juridiction de renvoi ne nous donne pas d’informations précises sur
l’existence d’un tel risque, elle invoque néanmoins les limites des
systèmes d’assurance de base financés par les contributions fiscales au
regard des montants en jeu, lesquels pourraient constituer une
incitation à l’immigration pour des citoyens de l’Union dont le revenu
moyen est largement inférieur.
134. Il
est en outre probable que, dans des circonstances comme celles de
l’affaire au principal, le recours au régime d’assistance sociale ne
soit pas temporaire mais se prolonge de façon indéterminée au vu de
l’absence totale de recherche d’emploi.
135. En
conclusion, le critère choisi par la législation en cause dans
l’affaire au principal – à savoir se rendre sur le territoire allemand
dans le seul but de chercher un emploi ou de bénéficier de l’aide
sociale – est de nature à démontrer l’absence de lien réel avec le
territoire de l’État membre d’accueil et d’intégration dans celui-ci. Il
permet d’assurer la viabilité économique du régime et de ne pas mettre
en danger son équilibre financier. La législation poursuit donc un
objectif légitime au sens de la jurisprudence précitée.
136. La condition choisie me paraît, de plus, proportionnée à l’objectif légitimement poursuivi par le droit national.
137. Pour
refuser l’octroi des prestations de l’assurance de base, les autorités
de l’État membre devront nécessairement, dans une certaine mesure,
examiner la situation personnelle du demandeur afin de déterminer s’il
entre dans l’exception prévue à l’article 7, paragraphe 1, point 2 de la
deuxième phrase, du SGB II ou à l’article 23, paragraphe 3, du
SGB XII.
138. Le
champ d’application limité de cette exception écarte également le
risque d’une mesure d’éloignement automatique en raison de la seule
demande d’une prestation d’assistance sociale, mesure proscrite par
l’article 14, paragraphe 3, de la directive 2004/38.
139. Par
conséquent, au vu de ce qui précède, j’estime qu’il y a lieu de
répondre aux deuxième et troisième questions préjudicielles que le
règlement n° 883/2004 et la directive 2004/38 ne s’opposent pas au
choix d’un législateur national d’exclure du bénéfice d’une prestation
spéciale en espèces à caractère non contributif les ressortissants des
autres États membres sur la base d’un critère général, comme le motif de
l’arrivée sur le territoire de l’État membre d’accueil, susceptible de
démontrer l’absence de lien réel avec cet État, et ce afin d’éviter une
charge déraisonnable pour son système d’assistance sociale.
140. Je
précise encore, à toutes fins utiles, que cette constatation n’affecte
pas la faculté des États membres d’octroyer, s’ils le souhaitent, des
prestations telles que celles prévues par l’assurance de base en cause
au principal, dans des conditions plus favorables.
D – Sur la quatrième question préjudicielle
141. Par sa quatrième et dernière question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 1er,
20 et 51 de la Charte imposent aux États membres d’octroyer aux
citoyens de l’Union des prestations en espèces à caractère non
contributif de nature à rendre possible un séjour permanent.
142. L’article 1er de la Charte proclame l’inviolabilité de la dignité humaine, et l’article 20 l’égalité en droit.
143. Il
convient de rappeler que, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel au
titre de l’article 267 TFUE, la Cour peut uniquement interpréter le
droit de l’Union dans les limites des compétences attribuées à l’Union
européenne (51).
144. Or,
selon l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, les dispositions de
celle-ci s’adressent «aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en
œuvre le droit de l’Union». De plus, en vertu de l’article 6,
paragraphe 1, TUE, qui attribue une valeur contraignante à la Charte,
celle-ci ne crée aucune compétence nouvelle pour l’Union et ne modifie
pas les compétences de cette dernière (52).
145. En
l’espèce, comme l’a confirmé la Cour dans l’arrêt Brey, l’article 70 du
règlement n° 883/2004, qui définit la notion de prestation
spéciale en espèces à caractère non contributif, «n’a pas pour objet de
déterminer les conditions de fond de l’existence du droit [à de telles
prestations]. Il appartient [au contraire] en principe à la législation
de chaque État membre de déterminer ces conditions» (53). L’article 70, paragraphe 4, du règlement n° 883/2004 énonce uniquement «une règle de conflit» (54).
146. Si
les États membres sont compétents pour fixer les conditions d’octroi
des prestations spéciales en espèces à caractère non contributif, il
m’apparaît qu’ils le sont également pour définir l’étendue de la
couverture sociale assurée par ce type de prestations.
147. Par
conséquent, lorsque les États membres déterminent les conditions et
l’étendue de prestations spéciales en espèce à caractère non
contributifs, ils ne mettent pas en œuvre le droit de l’Union.
148. Il s’ensuit que la compétence de la Cour pour répondre à la quatrième question n’est pas établie.
149. En
outre, le principe d’égalité de traitement visé à l’article 20 de la
Charte est également énoncé aux articles 20 TFUE et 21 TFUE. Comme je
l’ai écrit au point 90 des présentes conclusions, le règlement
n° 883/2004 et la directive 2004/38 précisent le sens et la portée
du principe d’égalité consacré par ces dispositions.
150. En
vertu de l’article 52, paragraphe 2, de la Charte, les droits qu’elle
reconnaît et qui font l’objet de dispositions dans les traités
s’exercent dans les conditions et les limites définies par ceux-ci.
151. Puisque
les deuxième et troisième questions préjudicielles ont trait aux normes
de droit dérivé qui définissent les conditions et les limites des
droits protégés par les articles 20 TFUE et 21 TFUE, leur analyse me
semble suffisante pour apporter une réponse utile à la juridiction de
renvoi (55).
V – Conclusion
152. Eu
égard aux considérations qui précèdent, j’invite la Cour à répondre aux
questions posées à titre préjudiciel par le Sozialgericht Leipzig de la
manière suivante:
1) Le
champ d’application personnel de l’article 4 du règlement (CE)
n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril
2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que
modifié par le règlement (CE) n° 988/2009 du Parlement européen et
du Conseil, du 16 septembre 2009, comprend les personnes qui
revendiquent une prestation spéciale en espèces à caractère non
contributif au sens des articles 3, paragraphe 3, et 70 dudit règlement.
2) Le
règlement n° 883/2004, tel que modifié par le règlement
n° 988/2009, et la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du
Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de
l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner
librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement
(CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE,
68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE,
90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, ne s’opposent pas au choix du
législateur national d’exclure du bénéfice d’une prestation spéciale en
espèces à caractère non contributif les ressortissants des autres États
membres sur la base d’un critère général, comme le motif de l’arrivée
sur le territoire de l’État membre d’accueil, susceptible de démontrer
l’absence de lien réel avec cet État, et ce afin d’éviter une charge
déraisonnable pour son système d’assistance sociale.
3) La
Cour de justice de l’Union européenne n’est pas compétente pour
répondre à la quatrième question préjudicielle.