Terralaboris asbl

Compatibilité des allocations de chômage avec le régime de détention limitée ?

Commentaire de C. trav. Liège, 12 septembre 2011, R.G. 2007/AL/34.690

Mis en ligne le jeudi 3 novembre 2011


Cour du travail de Liège, 12 septembre 2011, R.G. 2007/AL/34.690

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 12 septembre 2011, la Cour du travail de Liège considère qu’un régime de détention limitée n’est pas une période de privation de liberté au sens de l’article 67 de l’A.R. du 25 novembre 1991.

Les faits

Un détenu bénéficie d’un régime de mise sous surveillance électronique. Celui-ci est assorti de plusieurs conditions, dont celle d’entamer une formation professionnelle. N’ayant pas satisfait à celles-ci, l’intéressé est de nouveau emprisonné et deux mois plus tard il se voit accorder le bénéfice du régime de détention limitée, une des conditions essentielles étant de mener à bien le projet de formation professionnelle.

Un contrat de formation professionnelle en qualité de peintre en bâtiment est ainsi conclu avec l’ONEm. En vertu de celui-ci, les prestations exigées sont effectuées pendant la semaine avant 17 heures à concurrence d’un nombre d’heures égal ou supérieur à 35. Une prime de formation (1€ par heure) ainsi que le remboursement de certains frais sont également prévus. Ce contrat contient par ailleurs certaines instructions en vue de permettre la constatation du droit aux allocations de chômage et stipule notamment que le stagiaire chômeur indemnisé doit introduire au plus vite un exemplaire dudit contrat auprès de son organisme de paiement.

Etant, en vertu du régime de détention limitée appliqué, dans l’obligation de réintégrer la prison chaque soir du lundi au jeudi, l’intéressé est cependant libre pendant la journée ainsi que du vendredi matin au lundi soir.

Il sollicite le bénéfice des allocations de chômage et s’inscrit également comme demandeur d’emploi à temps plein.

Le directeur du bureau de chômage de Verviers prend alors une décision d’exclusion au motif que l’intéressé n’a pas apposé de mention relative à sa détention sur sa carte de contrôle. L’ONEm rappelle qu’il s’agit d’une obligation en vertu de l’article 71 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

Décision du tribunal du travail

Sur recours du chômeur, le Tribunal du travail de Verviers décide par jugement du 9 février 2007 que celui-ci était admissible, se fondant sur la conclusion que le régime de détention limitée appliqué n’est pas incompatible avec le bénéfice des allocations (au regard de l’article 67 de l’arrêté royal).

Position des parties en appel

L’ONEm interjette appel du jugement, demandant l’application de l’article 67, qui dispose que le chômeur ne peut bénéficier des allocations durant une période d’accomplissement d’obligations de milice, de détention préventive ou de privation de liberté.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle d’abord qu’elle a rendu un arrêt précédemment, en date du 28 février 2011, s’interrogeant notamment sur le terme « formation au sens de l’article 92 » contenu à l’article 68, alinéa 2 de l’arrêté royal. La cour constate que, dans le cadre de la réouverture des débats, l’ONEm admet qu’une formation professionnelle comme en l’espèce, était une formation visée non par l’article 92 mais par l’article 91, étant, ainsi, compatible avec le bénéfice d’allocations de chômage. La cour retient qu’il s’agit en effet d’une formation dans laquelle l’ONEm peut être dispensé (à sa demande) d’appliquer au chômeur dans cette situation les obligations habituelles relatives à la recherche d’emploi, la réponse à des convocations, ainsi que l’obligation générale de disponibilité et de recherche active d’un emploi.

Le litige se circonscrit donc, pour la cour, à la question de savoir si, bénéficiant d’allocations de chômage pendant sa formation professionnelle, l’intéressé peut être privé de celles-ci, vu les termes de l’article 67.

La cour renvoie ici à de la jurisprudence et à la doctrine récente (V. Van der Planke et G. Van Limberghen, « Le (non) droit des détenus à la sécurité sociale en Belgique », Les limitations au droit de la sécurité sociale des détenus : une double peine, La Charte, 2010, pp. 65 et 66), qui a relevé que la question est controversée : le régime de détention limitée (ou de semi-liberté) est-il visé par les termes « privation de liberté » tels que figurant à l’article 67 ?

Le commentaire administratif de l’ONEm vise sous cette notion les congés pénitentiaires, les permissions de sortie et détentions limitées ou régimes de semi-liberté, précisant que constituent une exception à l’application de la disposition la mise sous surveillance électronique, la libération conditionnelle et la mise en liberté provisoire.

La cour relève que, si dans son commentaire, l’ONEm écarte le régime de surveillance électronique du champ d’application de cette disposition, c’est notamment compte tenu de la ratio legis de la mesure, étant la (ré)intégration sociale du détenu.

La cour poursuit son examen en se référant à la loi du 17 mai 2006 (relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des modalités d’exécution de la peine), dont l’article 21 définit la détention limitée : il s’agit d’un mode d’exécution de la peine privative de liberté, qui permet au condamné de quitter, de manière régulière, l’établissement pénitentiaire afin de pouvoir défendre des intérêts d’ordre professionnel, familial ou encore de formation. Il s’agit dès lors d’une privation de liberté qui est seulement partielle et la cour constate que le texte de l’article 67 de l’arrêté royal n’est d’aucune aide lorsqu’il s’agit de définir la « privation de liberté » dont l’on ne sait s’il doit s’agir d’une privation totale ou partielle.

C’est donc la ratio legis qui va permettre de solutionner la question et il est ici renvoyé au premier juge, qui a considéré que les trois hypothèses visées par l’article 67 (accomplissement d’obligations de milice, détention préventive ou privation de liberté) ont un point en commun, qui est de rendre la personne concernée indisponible sur le marché de l’emploi, de l’empêcher d’exercer une activité ou encore de suivre une formation. Ce n’est pas le cas du régime de détention limitée, qui, lui, tend le plus souvent à encourager et à favoriser la réintégration sociale du détenu. Par ce biais, il a pu être jugé (Trib. trav. Charleroi, 6 mai 2005, Chron. D.S., 2006, p. 518) que l’on peut en déduire que l’article 67 ne concerne pas la détention limitée.

En l’occurrence, la détention est considérée comme très limitée par la cour, puisqu’elle est restreinte à quatre nuits passées en prison, le reste du temps étant libre.

La cour écarte encore d’autres arguments de l’ONEm, notamment celui tiré de l’article 50 de l’arrêté royal, qu’elle considère ne pas être applicable ici, s’agissant d’une hypothèse de suspension de l’exécution du contrat de travail, la disposition définissant le terme « privation de liberté » comme l’absence de travail sans maintien de la rémunération en raison de l’application d’une mesure de détention, d’incarcération et d’internement autre que la détention préventive. Pour la cour, cet article énumère diverses situations dans lesquelles, alors qu’il y a toujours contrat de travail, son exécution est suspendue. Cette question est indifférente en l’espèce.

En conclusion, la cour considère l’appel non fondé, considérant qu’il faut entendre par « période de privation de liberté » au sens de l’article 67 de l’arrêté royal une période de privation totale, qui va impliquer l’indisponibilité du travailleur sur le marché de l’emploi et faire obstacle à un travail ou à la poursuite d’une formation professionnelle.

Intérêt de la décision

C’est une question peu souvent débattue que cette définition des termes « privation de liberté » au sens de l’article 67 de l’arrêté royal. La cour en donne une interprétation décisive, inscrite dans la logique de la volonté du législateur, qui est de permettre la réinsertion sociale du détenu.


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