Terralaboris asbl

Redistribution des charges sociales et application de la loi dans le temps

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 16 mars 2011, R.G. 2006/AB/48.966

Mis en ligne le jeudi 17 novembre 2011


C. trav. Bruxelles, 16 mars 2011, R.G. 2006/AB/48.966

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 16 mars 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les contours du principe de non-rétroactivité de la loi ainsi que les conditions d’application dans le temps d’une loi nouvelle.

Les faits

Une entreprise publique autonome se voit réclamer, en novembre 2003, un montant de l’ordre de 1.000.000 € au titre de redistribution des charges sociales.

Cette demande se fonde sur la loi-programme du 2 août 2002, qui a repris les entreprises publiques autonomes dans le champ d’application de la redistribution des charges sociales.

L’entreprise publique considère ne devoir cotiser qu’à dater du second semestre 2002 et verse le montant correspondant à celui-ci.

Un litige survient avec l’ONSS, qui réclame le paiement du premier semestre. Ce semestre est payé aux fins d’éviter les intérêts et majorations et obtenir les « attestations » d’absence de dettes sociales. Un recours est cependant introduit concomitamment devant le Tribunal du travail de Bruxelles.

La décision du tribunal

Le tribunal du travail a statué par jugement du 22 mars 2010, faisant droit à la demande de l’ONSS au motif que, même si la disposition légale nouvelle est entrée en vigueur le 1er juillet 2002, elle a mis en place un mécanisme impliquant que, au 1er juin 2003, une cotisation de compensation (calculée sur la base de l’ensemble des cotisations versées en 2002) devait être payée, aucune disposition n’ayant limité l’assiette de calcul de la cotisation au second semestre 2002.

Position des parties devant la cour

L’Institution publique considère que, si elle devait être redevable des cotisations pour le premier semestre, ceci reviendrait à donner un effet rétroactif à la loi, puisqu’avant le 1er juillet 2002, les dispositions légales ne lui étaient pas applicables, ce à quoi l’ONSS rétorque qu’il n’y a pas de rétroactivité, la référence à l’ensemble de l’année 2002 (soit les quatre trimestres) étant une modalité de calcul de la cotisation pour l’année suivante.

La décision de la cour

La cour pose le problème juridique en ces termes : il s’agit d’examiner les effets dans le temps de l’application à partir du 1er juillet 2002 des dispositions relatives à la redistribution des cotisations de sécurité sociale. Si la question peut paraître limitée à la loi-programme du 2 août 2002, la cour effectue cependant un examen juridique d’ensemble de la question.

La redistribution d’une partie des charges sociales des petites entreprises vers les grandes est organisée par la loi du 30 mars 1976, qui met en place un système de compensation avec les réductions dont bénéficient les petites entreprises.

La loi donne pouvoir au Roi (par arrêté délibéré en Conseil des ministres) de diminuer le montant des cotisations à charge de certains employeurs, résultant de l’application de l’article 17 de la loi du 27 juin 1969, à la condition de prévoir des ressources équivalentes à charge d’autres employeurs, également déterminés par arrêté.

Cet arrêté royal porte la date du 18 juin 1976 et vise uniquement les entreprises soumises aux législations sur les fermetures d’entreprise. Ne sont pas concernés les organismes d’intérêt public ni les entreprises publiques autonomes, du fait qu’ils ne sont pas soumis à ces législations. En 2002, le champ d’application des législations relatives aux fermetures d’entreprise a cependant été modifié et les entreprises publiques autonomes fédérales ont été incluses dans celui-ci. La date d’entrée en vigueur de la loi-programme du 2 août 2002 a été fixée au 1er juillet 2002.

Le système de compensation entre petites et grandes entreprises est fixé aux articles 2 et 4 de l’arrêté royal, que la cour rappelle. Ces dispositions prévoient notamment que tout employeur est tenu de payer annuellement à l’ONSS, pour chacun des trimestres de l’année civile écoulée, une cotisation de compensation (1,55% de la tranche de l’ensemble des cotisations dues trimestriellement, au-delà un 1.050.000 anciens BEF). Un avis est adressé par l’ONSS dans le courant du deuxième trimestre de l’année (montant à recevoir ou à payer). Le montant à payer est dû à la date du 30 juin.

La cour doit ainsi examiner ces dispositions au regard des principes généraux relatifs à l’application d’une loi nouvelle. La jurisprudence de la Cour de cassation est abondante en la matière (la cour du travail citant notamment Cass., 20 mai 2010, F.09.0055.N) et est univoque : en règle, la loi nouvelle s’applique non seulement aux situations qui naissent à partir de son entrée en vigueur, mais également aux effets futurs de situations nées sous le régime de la loi antérieure, se produisant ou se prolongeant sous l’empire de la loi nouvelle, et ce pour autant que cette application ne porte pas atteinte à des droits déjà irrévocablement fixés. Ce n’est dès lors que les situations nées et définitivement accomplies sous l’empire de la loi ancienne qui ne sont pas visées par la loi nouvelle, en application de l’article 2 du Code civil (Cass., 7 mars 2008, C.06.0299.F).

Il en résulte, dans le cas d’espèce, que l’Institution publique entre dans le champ d’application de la loi du 30 mars 1976 à dater du 1er juillet 2002, vu sa qualité d’employeur au sens de la loi sur les fermetures d’entreprise. Reste dès lors à déterminer les trimestres à prendre en compte, étant essentiellement les trimestres antérieurs à cette date.

La cour tranche dès lors la question en droit : une disposition n’a pas d’effet rétroactif par le fait que, entrée en vigueur à une date déterminée, elle prévoit le calcul d’une cotisation due à partir de cette date, sur la base d’une situation antérieure. C’est la jurisprudence abondante de la Cour de cassation (dont Cass., 17 mai 1999, Pas., 1999, I, p. 285) et également l’enseignement de la Cour constitutionnelle (C. const., 24 mars 2004, arrêt n° 46/2004 – concernant une cotisation unique à charge du secteur pétrolier).

Il faut dès lors déterminer quand est née l’obligation de verser la cotisation de compensation, soit le 30 juin de l’année suivante (2003), soit à la fin de chacun des trimestres de 2002, même si la cotisation ne doit être payée que l’année suivante.

La cour doit bien constater à cet égard que l’arrêté royal est, selon les termes qu’elle utilise, particulièrement ambigu. Elle interprète dès lors le texte et conclut que l’obligation de verser la cotisation naît à l’échéance de chaque trimestre, et ce même si elle ne doit être payée qu’une fois par an et que son exigibilité est fixée au 30 juin de l’année suivante. C’est en réalité la tranche des cotisations dues trimestriellement qui est prise en compte, en tant que montant de référence, dont il faut déduire un seuil exonéré. Il est dès lors possible, à la fin de chaque trimestre, de savoir si une cotisation de compensation est due, ce qui n’est pas susceptible d’être modifié par des circonstances ultérieures.

La cotisation étant ainsi fixée définitivement à l’échéance de chaque trimestre, l’Institution publique était ainsi assurée de ne pas payer de cotisations pour les deux trimestres de 2002, son droit étant définitivement acquis, et réclamer ces cotisations reviendrait à donner un effet rétroactif à la loi.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle les principes en matière d’application de nouvelles dispositions légales et de rétroactivité d’un texte.

La cour y fait une interprétation logique de ces principes généraux, à partir d’un texte réglementaire peu clair.


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