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Licenciement avec indemnité : évaluation des avantages contractuels

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 15 septembre 2011, R.G. 2008/AB/51.360

Mis en ligne le vendredi 30 décembre 2011


Cour du travail de Bruxelles, 15 septembre 2011, R.G. 2008/AB/51.360

Dans un arrêt du 15 septembre 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle, en des termes clairs, les critères d’évaluation de certains avantages contractuels en cas de licenciement.

Les faits

Un litige survient suite à la rupture d’un contrat de travail et, dans le cadre de celui-ci, se posent les questions habituelles de fixation du délai de préavis convenable de l’employé (employé supérieur) et, particulièrement, de l’assiette de base.

Deux questions essentielles restent litigieuses, étant l’évaluation de l’avantage voiture, ainsi que la cotisation patronale à l’assurance de groupe.

La décision du tribunal du travail

Le tribunal du travail a rendu un jugement, dans lequel il demande, notamment, à la société de s’expliquer à propos de l’application de la loi du 23 avril 2003 relative aux pensions complémentaires et de déposer le règlement d’assurance de groupe.

La décision de la cour du travail du 13 août 2010

La cour du travail rend un premier arrêt en date du 13 août 2010, ordonnant à la société de produire des éléments permettant de déterminer le droit de l’employé à un bénéfice dans le cadre du règlement d’assurance de groupe. Le dépôt de ce règlement est demandé. En outre, se pose une question très spécifique à l’affaire, étant l’octroi d’une possible indemnité en cas de changement d’actionnariat et la société est tenue de produire diverses pièces à cet égard également.

La décision de la cour du travail du 15 septembre 2011

La cour va, dans cet arrêt, constater en premier lieu que restent en litige devant elle la question des contributions patronales à l’assurance de groupe et celle de l’évaluation de l’avantage voiture.

Elle fait sur ce deuxième point des développements très structurés. Reprenant un arrêt de la Cour du travail de Liège du 12 mai 2005 (J.T.T., 2006), elle rappelle que l’utilisation d’un véhicule de société à des fins privées est un avantage acquis, dont l’évaluation doit se faire à concurrence de la valeur réelle et non de la valeur convenue ou encore de la valeur fiscale. Il faut prendre en considération l’avantage matériel qu’il y a pour le travailleur à disposer d’un véhicule (qu’il n’a pas dû acheter) pour des déplacements privés et, dans le cadre de cette évaluation, le type de véhicule entre en considération. Le mode de fixation de cet avantage est nécessairement forfaitaire mais, s’il y a une quote-part personnelle du travailleur, l’avantage à retenir est la différence entre le bénéfice de l’usage et le montant de l’intervention en cause. En l’espèce, la cour retient qu’il s’agit d’un véhicule BMW, pour lequel le travailleur intervenait forfaitairement à concurrence d’environ 170 €.

La cour confirme l’évaluation du premier juge, qui est un montant de 500 € par mois, dont il faut déduire l’intervention personnelle. Il en découle que, tenant encore compte de l’essence pour usage privé, accordée dans le cadre de cet avantage du contrat, celui-ci peut être évalué à 2.000 € par an.

Sur la cotisation patronale à l’assurance de groupe, la cour est cependant saisie d’une difficulté particulière, étant que la société est restée en défaut de satisfaire à la demande de production de documents, ainsi que d’explications à propos de l’application de la loi du 28 avril 2003.

En l’occurrence, le travailleur produit en effet des courriers électroniques, dans lesquels il est question de l’affilier au plan d’assurance de groupe de la société, ce qui n’a cependant pas été fait. Pour la société, il ne s’agissait que de simples discussions dans le cadre de négociations contractuelles, mais qui n’ont pas abouti.

La cour doit bien considérer que le contrat de travail est muet à cet égard. Cependant, elle ne tire pas de cet état de fait les mêmes conclusions que la société, constatant que, s’il y a des différences entre des éléments de négociation précontractuels et le contrat de travail lui-même, les modifications portent essentiellement soit sur des avantages plus favorables à l’employé, soit sur d’autres avantages que l’employeur n’avait aucune obligation d’accorder. Il n’en va cependant pas de même de l’avantage lié au plan d’assurance de groupe. En effet, rappelant les dispositions de la loi du 23 avril 2003 (articles 13 et 14), la cour rappelle que

  • l’affiliation à un régime de pension est immédiate pour les travailleurs âgés de 25 ans,
  • l’octroi et l’engagement de pension ne peuvent être subordonnés à une décision complémentaire de l’organisateur, de l’employeur ou de l’organisme de pension,
  • toute distinction entre les travailleurs est illicite.

Ainsi que le relève la cour, l’intéressé est a priori visé par cette législation et il ne pouvait dès lors être exclu du bénéfice du plan d’entreprise.

Vu l’abstention de l’employeur de produire les éléments demandés, la cour renvoie à son arrêt interlocutoire, dans lequel elle avait déjà retenu le refus persistant de la société de collaborer à la mise en état de la cause en produisant aux débats les pièces indispensables réclamées par le premier juge afin de permettre de déterminer les droits de l’employé. Pour la cour, il n’y a pas de motif légitime de déposer ces documents et, en conséquence, la société ne s’est pas comportée comme l’aurait fait tout justiciable normalement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances (la cour rappelant l’arrêt de la Cour de cassation du 13 novembre 2009, n° C.07.0242.F). En conséquence, elle estime qu’il y a lieu à octroi de dommages et intérêts, ceux-ci pouvant être fixés au montant des cotisations patronales à l’assurance de groupe, telles qu’elles auraient été payées si l’employeur avait exécuté correctement l’engagement d’affiliation.

Reste un point tout à fait spécifique, étant que le contrat de travail prévoit le paiement d’une indemnité forfaitaire égale à 2 ans de rémunération en cas de licenciement consécutif à un changement de contrôle de la société-mère de l’employeur. Cette indemnité a été allouée par le tribunal du travail et la cour confirme le jugement sur cette question, constatant qu’il y a eu changement de contrôle et acquisition par un tiers. Le tribunal a précisé que, par tierce partie, il faut viser ici une situation où, même si plusieurs personnes physiques se retrouvaient déjà dans l’actionnariat initial, ce n’est pas elle qu’il faut prendre en compte, mais bien la personne morale qui a acquis les actions, puisqu’elle a une personnalité juridique distincte et doit dès lors être considérée comme un tiers. Enfin, la cour retient ici que, même si le licenciement est antérieur au changement d’actionnariat, il apparaît clairement lié à celui-ci. Elle fait dès lors droit à l’indemnité spécifique prévue contractuellement, fixée à 2 années de rémunération.

Quant aux indemnités de procédure des deux instances, la cour les fixe à… 22.000 €.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles présente un double intérêt, dans une espèce où doivent être déterminés les avantages contractuels consécutifs à une rupture de contrat de travail. Le mode d’évaluation de l’usage d’un véhicule de société à des fins privées est défini de manière très claire. Par ailleurs, la cour rappelle les droits en matière de pension complémentaire telle qu’encadrée par la loi du 22 avril 2003. En l’occurrence, s’agissant d’un engagement qui n’a pas été respecté, l’employeur est tenu de verser des dommages et intérêts. L’on constate que l’équivalent de la quote-part patronale n’est cependant pas pris en compte dans la rémunération de base, préjudice consécutif au non-respect des pourparlers contractuels.


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