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Licenciement abusif de l’ouvrier : qu’en est-il en cas de motif grave non prouvé ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 17 octobre 2011, R.G. 2009/AB/52.224

Mis en ligne le vendredi 13 janvier 2012


Cour du travail de Bruxelles, 17 octobre 2011, R.G. 2009/AB/52.224

Dans un arrêt du 17 octobre 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la jurisprudence récente de la Cour de cassation, relative à l’application de l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978.

Les faits

Un ouvrier est engagé par une société de nettoyage.

Celle-ci le licencie pour motif grave, étant qu’il aurait dérobé une bouteille de champagne dans une caisse de la réserve où étaient rangés de cadeaux-clients. Dans le courrier de licenciement, l’employeur constate que le travailleur refuse d’admettre les faits, et ce alors qu’il aurait été formellement vu par un membre du personnel.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles.

Le jugement du Tribunal

Par jugement du 2 avril 2009, le Tribunal du travail de Bruxelles condamne la société au paiement de l’indemnité de rupture, sans admettre le caractère abusif du licenciement. Le travailleur interjette appel.

Positon des parties devant la cour

L’appel du travailleur est limité à la demande d’indemnité pour licenciement abusif, étant les 6 mois de rémunération prévus par l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978.

Quant à la société, elle interjette appel incident en ce qui concerne l’indemnité compensatoire de préavis.

La décision de la cour du travail

La cour du travail rappelle, dans un premier temps, les principes en matière de motif grave, essentiellement sur le plan de la preuve. Il incombe à l’employeur d’établir le fait invoqué, à savoir en l’occurrence le vol d’une bouteille de champagne, fait nié par le travailleur.

La cour rappelle que des enquêtes ont été tenues devant le premier juge et que le travailleur a été entendu sous serment. Il en est résulté des déclarations contradictoires. Reste au dossier une déclaration écrite, mais la cour retient que l’auteur de celle-ci n’a pas été entendu sous serment et que sa déclaration a elle-même été contredite.

La cour rejette également dans son appréciation des faits des déductions quant à l’emploi du temps du travailleur, déductions dont elle retient qu’elles conduisent à des conclusions hasardeuses et ne constituant nullement un élément de preuve. L’absence d’explication du travailleur sur un retard ne peut suffire à présumer un vol.

De la contradiction entre les témoignages faits, contradiction dont elle retient qu’elle est interpellante, la cour déclare qu’elle ne peut dès lors conclure autrement qu’à l’existence d’un doute sérieux quant à la réalité des faits.

Vu l’absence de preuve certaine dans le chef de la société, le motif n’est pas établi et l’indemnité de rupture est due.

En ce qui concerne le licenciement abusif, la cour rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 22 novembre 2010 (Cass., 22 novembre 2010, J.T.T., 2011, p. 3). En cas de licenciement pour un motif lié à l’aptitude ou à la conduite de l’ouvrier, il faut vérifier si le motif est réel et s’il est légitime. Le motif qui sera sanctionné est celui qui est manifestement déraisonnable. La cour rappelle qu’il s’agit d’interdire le licenciement manifestement déraisonnable de l’ouvrier.

Elle passe, en conséquence, aux règles de preuve, à charge ici également de l’employeur, qui doit établir que le motif de licenciement n’est pas manifestement déraisonnable. S’il n’est pas établi que le licenciement est intervenu pour des motifs conformes à l’article 63, tels que précisés ci-dessus, l’indemnité est due.

A l’appui de sa thèse, la société fait ici également valoir le vol. Dans la mesure où ce vol n’est pas établi, la cour le rejette en tant que motif de licenciement en rapport avec la conduite.

La société invoque encore, à titre subsidiaire, d’autres éléments (retard du travailleur à suivre une instruction, le fait d’avoir nié le vol sans donner la moindre explication,…). La cour conclut, à partir des éléments de fait, qu’il ne peut pas être fait reproche au travailleur d’avoir obtempéré trop lentement et que les explications données à propos d’un vol dont le travailleur ne serait pas l’auteur ne peuvent constituer un manquement de sa part. En conséquence, en l’absence de preuve du motif grave, le même fait ne peut constituer un motif légitime de licenciement et les griefs annexes liés aux circonstances entourant le prétendu vol (non établi) ne peuvent davantage être retenus.

La cour conclut dès lors qu’en l’absence de preuve d’un motif de licenciement répondant aux exigences légales, l’indemnité est due.

Intérêt de la décision

Ce cas d’espèce est l’occasion d’illustrer, une nouvelle fois, le rapport entre le licenciement pour motif grave et le licenciement abusif de l’ouvrier, et ce eu égard aux exigences en matière de preuve : dès lors que le même fait est invoqué dans les deux motifs (article 35 et article 63), il y a lieu tout d’abord d’examiner si le fait existe et, à défaut de preuve, la réalité du fait n’étant pas acquise, il ne peut constituer ni un motif grave ni un motif licite. Autre serait la situation où le fait serait établi, mais jugé non suffisamment grave pour constituer un motif grave. Il pourrait, bien sûr, dans cette hypothèse, être retenu comme motif de licenciement au sens de l’article 63.

La cour rappelle ici également l’arrêt déterminant, en matière d’article 63, rendu par la Cour de cassation le 22 novembre 2010, étant que, dans celui-ci, la Cour a affirmé les critères à retenir en ce qui concerne le motif lié à l’aptitude ou à la conduite de l’ouvrier : le motif de licenciement doit être légitime et le juge doit sanctionner le motif manifestement déraisonnable.


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