Terralaboris asbl

Manœuvres frauduleuses et appel téméraire

Commentaire de C. trav. Mons, 21 février 2008, R.G. 20.264

Mis en ligne le mercredi 1er février 2012


Cour du travail de Mons, 21 février 2008, R.G. n° 20.264

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 21 février 2008, la Cour du travail de Mons retient non seulement l’existence de manœuvres frauduleuses d’un ensemble d’éléments matériellement et objectivement établis mais condamne aussi le fraudeur à une indemnité pour appel téméraire et vexatoire.

Les faits

M. D., ajusteur de profession, a été reconnu incapable de travailler par sa mutuelle depuis le 9 avril 1992 puis, par l’INAMI, invalide jusqu’au 30 novembre 1999.

Une enquête effectuée par les services de l’inspection de l’INAMI a permis d’établir qu’il avait en réalité repris une activité professionnelle du 15 janvier 1993 au 30 septembre 1993, sans en avoir informé sa mutuelle, ni sollicité l’autorisation préalable de son médecin conseil.

M. D. a été entendu par les services de l’INAMI le 10 juin 1996.

Il a été arrêté le 13 août 1996 dans le cadre d’une instruction judiciaire n’ayant rien à voir avec les faits qui nous occupent mais qui a défrayé la chronique judiciaire.

Lors de son audition, la matérialité de la reprise d’activité a été clairement établie.

Néanmoins, M. D. a introduit différents recours devant le tribunal du travail de Charleroi contre les décisions de l’INAMI et de sa mutuelle lui notifiant la fin de son incapacité de travail et la récupération des indemnités et soins de santé indûment payés.

Il n’a motivé aucun de ses recours.

De son côté, la mutuelle a déposé trois requêtes pour obtenir un titre exécutoire.

Par un jugement du 15 mai 2006, le tribunal du travail de Charleroi a déclaré seules partiellement fondées les demandes de la mutuelle.

M. D. a interjeté appel du jugement par requête du 16 juin 2006.

La position des parties en appel

M. D. soutient que :

  • son comportement au cours de l’année 1993 ne peut être examiné par référence à la loi coordonnée le 14 juillet 1994 puisqu’elle n’était pas encore entrée en vigueur ;
  • des manœuvres frauduleuses ne sont pas démontrées, s’agissant d’une simple omission de signaler l’exécution d’un ouvrage de construction en sorte que le tribunal aurait du prendre en considération la prescription de deux ans et non de cinq ans ;
  • il a sollicité l’application de l’article 101 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 en sorte qu’il reviendrait à la mutuelle de démontrer quels sont les jours précis de travail pour lesquels il devrait y avoir un remboursement ;
  • c’est à tort que le tribunal a déclaré irrecevable son recours du 9 août 1996 contre la décision de l’INAMI du 4 juillet 1996 (constatant la fin d’incapacité de travail) car il a en fait contesté la décision de la mutuelle, notifiée le 8 juillet 1008 (mettant fin à l’incapacité de travail) et qui en est la conséquence.

Quant à la mutuelle, elle demande la confirmation du jugement et la condamnation de M. D. à lui payer 2.000 € à titre de dommages et intérêts pour rappel téméraire et vexatoire.

La position de la Cour

Concernant la recevabilité du recours de M. D. contre la décision du service du contrôle médical de l’INAMI du 4 juillet 1996, la Cour du travail de Mons considère qu’il faut appliquer la théorie de la réception conformément à la méthode de calcul qui se déduit des articles 52, 53, 54, 792, alinéas 2 et 3 et 1051 du code judiciaire ainsi que de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 17 décembre 2003 consacrant cette théorie (arrêt n° 170/2003). Or, la décision ne fut notifiée que par une lettre recommandée du 8 juillet 1996 que M. D. n’a pu recevoir au plus tôt que le lendemain, 9 juillet, en sorte que le recours introduit par requête non motivée du 9 août 1996 est recevable.

La Cour du travail juge ensuite que l’argument de texte soulevé par M. D. n’a aucune pertinence. En effet, l’article 100 de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités coordonnée le 14 juillet 1994 reprend intégralement les termes de l’article 56 de la loi du 9 août 1963 qui aurait du être invoqué. Il importe peu que la décision de l’INAMI ne fasse pas référence à cet ancien texte car pour satisfaire aux exigences de la motivation formelle, il suffit que l’acte administratif renvoie à une disposition légale même si celle-ci est erronée, ce qui relève d’un examen au fond.

La Cour relève également que, à supposer que la décision de l’INAMI du 4 juillet 1996 doive être annulée pour défaut de motivation formelle, il lui appartient de toute façon de se substituer à l’INAMI, vu sa compétence de pleine juridiction. Or, M. D. n’a pas interjeté appel du jugement en ce que celui-ci a décidé sur le plan des principes que ses activités litigieuses et avérées ont bien mis fin à son incapacité de travail le 15 janvier 1993.

La Cour examine ensuite le délai de prescription applicable à l’action de la mutuelle en récupération des prestations indûment payées. Elle rappelle que les manoeuvres frauduleuses visées à l’article 175, alinéa 3 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 (délai de prescription de cinq ans) n’ont pas été définies par le législateur dans le cadre de cette réglementation. C’est dès lors la doctrine et la jurisprudence qui ont précisé les contours de la fraude ou des manœuvres frauduleuses.

Plus particulièrement, l’assuré social doit avoir eu conscience de ce que ses actes et/ou son abstention de déclaration ont pour conséquence la perception de prestations auxquelles il n’a pas droit. La Cour considère en l’espèce que l’existence de manœuvres frauduleuses ressort de manière flagrante d’un faisceau d’éléments matériellement et objectivement établis, soit :

  • la feuille de renseignements indemnités complétée et signée par M. D. le 22 avril 1992, où l’intéressé a répondu négativement à la question de savoir s’il exerçait une activité pendant son incapacité et où il a souscrit un engagement clair de signaler une reprise de travail ou de chômage à sa mutualité ;
  • la reconnaissance d’incapacité de travail du 3 mai 1993 adressée à la mutuelle et qui lui rappelle expressément de signaler toute reprise de travail ;
  • le fait qu’il était connu dans tout son voisinage comme entrepreneur ;
  • la circonstance avérée selon laquelle les travaux entrepris par l’intéressé était de grande ampleur, comme le prouvent certains achats de matériel lourd, le montant de certains devis et l’engagement de trois à quatre personnes ;
  • la propre déclaration de M. D. le 10 juin 1996 lorsqu’il décrit l’ampleur des travaux réalisés, l’utilisation de matériel lourd et son récit selon lequel un maître de l’ouvrage qui lui devait de l’argent l’avait pris en photo sur le chantier en le menaçant de le dénoncer à la mutuelle si le travail n’était pas achevé malgré l’absence de paiement.

La Cour examine ensuite la question de l’étendue de l’exclusion et de son éventuelle limitation aux seules journées travaillées. A partir du moment où l’INAMI et la mutuelle ont apporté la preuve de l’exercice d’un travail, l’intégralité des indemnités versées à la suite de cette reprise s’avère indue et ce peu importe que lesdites indemnités aient ou non été payées au cours de journées de travail qui pourraient être précisément identifiées. C’est donc à M. D. à prouver qu’il aurait introduit une demande d’application de l’article 101 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 pour obtenir une éventuelle limitation de la récupération des prestations indûment payées. Or, selon la Cour, M. D. ne rapporte pas la preuve qu’il a demandé de limiter la sanction par les conditions prévues par ladite disposition légale. De plus, comme M. D. n’a jamais précisé les dates effectives de travail, l’application de l’article 101 précité se révèlerait de toute manière impossible.

Enfin, la Cour juge téméraire et vexatoire l’appel interjeté par M. D. Elle fait sienne la jurisprudence de la Cour de cassation qui, dans son arrêt du 31 octobre 2003 considère que « celui qui, de bonne foi, exerce une action par suite d’une erreur d’appréciation à ce point évidente qu’il devait nécessairement s’en apercevoir, et partant l’éviter, excède les limites d’un droit reconnu à quiconque d’ester en justice » (J.T., 2004, p. 135 avec les observations de J.-FR. VAN DROOGENBROECK).

Selon l’arrêt de la Cour de cassation, « une procédure peut revêtir un caractère vexatoire, non seulement lorsqu’une partie est animée d’une intention de nuire mais aussi lorsqu’elle exerce son droit d’agir en justice d’une manière qui excède manifestement les limites de l’exercice normal de ce droit par une personne prudente et diligente » ;

La Cour considère donc qu’elle ne doit pas rechercher nécessairement un dol spécial dans le chef de M. D. et peut se limiter à un contrôle marginal et souverain pour déterminer si celui-ci a ou non excédé de manière manifeste ses droits de justifiable prudent et diligent. En l’espèce, elle estime que M. D. a fait preuve d’une hardiesse excessive et imprudente. Il a volontairement retardé le remboursement inéluctable d’un revenu de remplacement indûment et frauduleusement perçu, en se bornant à élever des contestations non étayées des éléments plus que probants fournis par l’INAMI. La Cour estime le préjudice subi par la mutuelle, ex aequo et bono, à la somme de 1.000 € au lieu des 2.000 € postulés par celle-ci.

De même, vu le caractère téméraire et vexatoire de l’appel interjeté, la Cour décide que l’intégralité des dépens doit rester à charge de M. D. (article 1017, alinéa 2 du code judiciaire).

L’intérêt de la décision

L’intérêt de la décision est double :

D’une part, la Cour du travail de Mons statue dans un cas avéré de fraude sociale pour retenir la prescription de cinq ans de l’action en récupération de l’indu par la mutuelle.

D’autre part, elle applique la jurisprudence de la Cour de cassation concernant le caractère téméraire et vexatoire d’une procédure qui ne vise pas uniquement l’intention de nuire mais également l’exercice du droit d’agir en justice d’une manière qui excède manifestement les limites de l’exercice normal de ce droit par une personne prudente et diligente.


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