Terralaboris asbl

Contrôle des prestations des travailleurs à temps partiel : quid en l’absence de registre des dérogations ?

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Namur, 22 novembre 2011, R.G. 2011/AN/48

Mis en ligne le mardi 6 mars 2012


Cour du travail de Liège, section de Namur, 22 novembre 2011, R.G. n° 2011/AN/48

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 22 novembre, la Cour du travail de Liège, section de Namur, rappelle l’objet de la preuve à rapporter par l’employeur qui veut renverser la présomption légale d’occupation à temps plein contenue à l’article 22ter de la loi du 27 juin 1969.

Les faits

A la demande de l’auditeur du travail de Namur, le respect des mesures de publicité des horaires pour les travailleurs à temps partiel est vérifié dans une entreprise de la région. Deux infractions sont constatées, étant d’une part la non-inscription d’un travailleur au registre du personnel et d’autre part le non-respect de la publicité des horaires pour une travailleuse à temps partiel (horaire variable). Son horaire n’a jamais été affiché (ni même établi). Les mentions du contrat de travail, faisant état d’un horaire fixe repris au règlement de travail, ne sont pas conformes aux prestations. Il se confirme que les horaires varient selon la présence des clients et qu’ils ne sont pas affichés. A l’issue de l’enquête, l’ONSS adresse à la société une notification en vue de la régularisation sur la base d’une occupation à temps plein vu l’absence d’affichage. Il s’agit d’un montant de l’ordre de 13.500 €, pour lequel l’ONSS lance citation.

Décision du tribunal

Le Tribunal du travail de Namur considère que le contrat prévoit un horaire fixe et renvoie au règlement de travail (non produit). Examinant les conditions de prestations d’un autre collègue, il conclut à l’existence d’un horaire fixe et non variable, assorti de dérogations faisant l’objet de récupérations. Le tribunal considère que, en l’absence de mentions dans le document de dérogations, la preuve peut être apportée par l’employeur qu’il y a eu occupation à temps partiel et non à temps plein, et ce au motif du caractère réfragable de la présomption. En l’espèce, le tribunal constate que l’ensemble des déclarations concordent pour retenir un travail à temps partiel.

Décision de la Cour

Sur appel de l’ONSS, qui fait valoir que la preuve contraire ne peut être apportée, la cour reprend les textes applicables.

En vertu de l’article 22ter de la loi du 27 juin 1969 (en vigueur à l’époque des faits, soit avant le 1er janvier 2005), sauf preuve contraire, il y a présomption de prestation aux horaires qui ont fait l’objet de mesures de publicité telles qu’exigées par la loi. A défaut de publicité des horaires, les travailleurs à temps partiel sont présumés avoir effectué leurs prestations dans le cadre d’un temps plein.

Le contrôle des prestations des travailleurs à temps partiel est organisé par la loi-programme du 22 décembre 1989, étant que (i) une copie du contrat visé à l’article 11bis de la loi du 3 juillet 1978 doit être conservée à l’endroit où le contrôle peut avoir lieu (article 157), (ii) si l’horaire est variable, celui-ci doit faire l’objet d’une publicité par la voie d’un avis affiché au moins 5 jours à l’avance dans les locaux de l’entreprise et daté par l’employeur ; celui-ci doit fixer l’horaire individuellement par travailleur et être conservé pendant un an et doit être affiché avant le commencement de la journée de travail (article 159), (iii) l’employeur doit disposer d’un document dans lequel sont reprises les dérogations aux horaires de travail pour les travailleurs à temps partiel (article 160) et (iv) la dérogation doit être mentionnée au plus tard au moment du début des prestations (en cas de début avant l’heure normale ou en- dehors de celle-ci) ou à la fin de celles-ci (en cas de poursuite au-delà ou de prestations en-dehors de l’horaire normal) (article 161).

Pour la cour, l’hypothèse visée par l’article 22ter vise de la même manière les travailleurs à temps partiel à horaire variable et ceux à horaire fixe. Pour les deux catégories, les dérogations aux horaires doivent être faites. La cour examine les conséquences de manquements éventuels sur les deux types de travailleurs et constate que celles-ci ne sont pas identiques. En l’absence de registre de dérogations (ou de non-respect des obligations liées), les sanctions ne sont pas les mêmes qu’en cas d’absence d’affichage puisque la seule conséquence est que le travailleur concerné est présumé avoir travaillé conformément aux horaires affichés. Dès lors, un travailleur à temps partiel qui a un horaire fixe mais pour qui l’employeur n’a pas tenu correctement le registre des dérogations n’est pas présumé avoir été occupé à temps plein mais conformément aux horaires qui ont fait l’objet de mesures de publicité. S’il a y défaut d’affichage pour le travailleur à temps partiel prestant selon un horaire variable, il y a ici présomption d’occupation à temps plein. Cette présomption a un caractère réfragable et la cour se penche ici sur l’objet de la preuve à rapporter par l’employeur qui veut la renverser.

Se référant à sa propre jurisprudence (voir notamment C. trav. Liège, sect. Namur, 24 juin 2003, R.G. 7208/2002), la cour considère qu’il n’y a pas lieu d’établir que le travailleur respecte un horaire fixe mais qu’il avait un horaire à temps partiel correspondant au nombre d’heures déclarées. L’employeur ne peut se limiter à établir qu’il y avait prestations à temps partiel (et non à temps plein) mais le nombre exact d’heures de travail effectuées doit être prouvé. Si celui-ci correspond au nombre d’heures déclarées, il n’y a pas de régularisation mais bien s’il est supérieur. A défaut de pouvoir établir de manière suffisamment probante le nombre d’heures de travail prestées, la preuve contraire n’est pas établie : la présomption d’occupation à temps plein s’applique intégralement, et ce même si des éléments permettent de comprendre qu’il y avait occupation à temps partiel dans lequel le nombre d’heures prestées reste toutefois imprécis.

La cour souligne ici que la Cour de cassation ne partage pas cette interprétation du texte puisque, dans un arrêt du 3 février 2003 (Chron. D.S., 2003, p. 538), elle a considéré que l’objet de la preuve contraire est d’établir que les travailleurs à temps partiel n’ont pas travaillé à temps plein et non de prouver l’importance des prestations effectives dans le cadre de ce contrat de travail à temps partiel.

Aussi, la cour du travail précise-t-elle à ce stade de ce raisonnement qu’elle s’est ralliée à l’interprétation donnée par la Cour de cassation et qu’il faut donc vérifier travailleur par travailleur les informations données et permettant de déterminer si le travailleur a ou non travaillé dans le cadre d’un travail à temps partiel.

La cour souligne encore que cette disposition, modifiée par la loi-programme du 27 décembre 2004, rend actuellement plus compliquée la preuve contraire.

Appliquant ces principes au cas d’espèce, la cour constate des aménagements de l’horaire mais l’existence de prestations à temps partiel. Elle estime dès lors que la preuve contraire est rapportée à suffisance de droit.

Intérêt de la décision

Cette espèce tranchée par la Cour du travail de Liège, section Namur, porte sur la mouture de l’article 22ter de la loi du 27 juin 1969 avant sa modification par la loi-programme du 27 décembre 2004 (entrée en vigueur le 1er janvier 2005), qui a remplacé cet article et prévoit actuellement que sauf dans les cas d’impossibilité matérielle d’effectuer les prestations de travail à temps plein (cas constatés par les services d’inspection), les travailleurs à temps partiel sont présumés avoir effectué leur travail effectif normal conformément aux horaires de travail normaux des travailleurs concernés qui ont fait l’objet de mesures de publicité légale, dès lors que ne sont pas respectées les articles 160, 162, 163 et 165 de la loi-programme du 22 décembre 1989 (document de dérogations et autres mesures voisines). Actuellement, il est également prévu qu’à défaut de publicité des horaires de travail normaux des travailleurs concernés, les travailleurs à temps partiel sont présumés avoir effectué leurs prestations à temps plein sauf dans les cas d’impossibilité matérielle (cas également constatés par les services d’inspection).

La cour rappelle également l’évolution de sa propre jurisprudence, eu égard à l’arrêt de la Cour de cassation du 3 février 2003, qui s’est prononcé sur l’objet de la preuve à apporter par l’employeur dans le cadre du renversement de la présomption légale.


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