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Pension anticipée : exigence d’une activité assujettie à un régime légal de pension

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 5 janvier 2012, R.G. 2009/AB/52.042

Mis en ligne le jeudi 12 avril 2012


Cour du travail de Bruxelles, 5 janvier 2012, R.G. n° 2009/AB/52.042

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 5 janvier 2012, la Cour du travail de Bruxelles, statuant dans le cadre de la convention belgo-marocaine de sécurité sociale, rappelle que seules peuvent être prises en compte au titre d’années civiles ouvrant le droit à la pension de retraite anticipée celles couvertes par une activité assujettie à la sécurité sociale dans un régime légal de pension.

Les faits

Un citoyen marocain, ayant presté sa carrière (41 ans entre 1965 et 2006) pour le compte de la Compagnie nationale des transports aériens – Royal Air Maroc, introduit par l’intermédiaire de la caisse marocaine de sécurité sociale une demande de retraite anticipée auprès de l’ONP en juillet 2006. Cette demande est refusée, au motif que l’intéressé n’établit pas au moins 35 années civiles au regard des règlements et conventions applicables. Un recours est introduit devant le tribunal du travail.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 24 mars 2009, sur avis conforme du ministère public, le tribunal fait droit à la demande, disant pour droit que 8 années (1966 à 1973) doivent être prises en compte pour le calcul de la carrière professionnelle, de telle sorte que l’intéressé réunit les conditions pour bénéficier de la pension de retraite anticipée.

Position des parties en appel

L’ONP, appelant, fait valoir les dispositions de la Convention de sécurité sociale entre le Royaume de Belgique et le Royaume du Maroc (articles 2, 19 et 38, § 1er) ainsi que l’Arrangement administratif relatif aux modalités d’application de cette Convention (articles 23 et 37). Sur la base de ces dispositions, il soutient que seule la caisse marocaine est compétente pour déterminer les périodes d’assurance valables au regard de la législation marocaine et de la Convention bilatérale : cette caisse a attesté que la période d’assurance au Maroc s’étend du 1er janvier 1987 au 30 juin 2005 et si cette période est additionnée à la carrière en Belgique, la période d’assurance marocaine ne permet pas de remplir les conditions de l’article 4, § 2 de l’arrêté royal du 23 décembre 1996 (qui permet d’obtenir une pension de retraite anticipée à des conditions de durée de carrière qu’il précise).

L’intimé, qui tente de valoriser les années 1966 à 1973, fait valoir qu’elles ont été l’objet d’une affiliation auprès de la Caisse interprofessionnelle marocaine de retraite (CIMR). Il considère que la Caisse nationale de sécurité sociale marocaine est l’autorité visée par la Convention pour centraliser les données, celle-ci n’ayant cependant pas de compétence exclusive pour déterminer les périodes d’assurance et assimilées. Ayant produit un extrait de compte de la CIMR, qui indique une activité comme employé pendant les années 1974 à 1989, il estime répondre aux conditions légales et compare sa situation à celle d’un chômeur pour qui existent des périodes assimilées, malgré l’absence de cotisations.

Décision de la cour du travail

La cour constate que depuis la demande de pension anticipée introduite, l’intéressé a atteint l’âge de la pension légale et qu’il a d’ailleurs pris celle-ci à la date du 1er juillet 2008, la discussion ne portant dès lors que pour deux années (1er juillet 2006 – 30 juin 2008).

Elle rappelle que la demande doit être examinée dans le cadre de l’arrêté royal du 23 décembre 1996 portant exécution des articles 15, 16 et 17 de la loi du 26 juillet 1996 portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux de pensions. Dans les conditions mises par celui-ci, figure la preuve, à charge du demandeur, d’une carrière d’au moins 35 années civiles susceptibles d’ouvrir le droit à la pension, et ce soit pour un régime légal belge ou pour un régime étranger relevant du champ d’application des règlements européens de sécurité sociale ou d’une convention internationale.

En l’espèce, l’intéressé veut faire valoir une carrière de 39 années (du 15 novembre 1965 au 1er juillet 2005) et établit, pour celle-ci, une occupation pour compte de la RAM. La cour constate que, pendant 15 ans (1974 à 1989), il a représenté cette compagnie en Belgique et que son activité a été assujettie à la sécurité sociale belge : elle ouvre dès lors des droits à la pension.

Pour les années ultérieures, soit 16 ans (dont 3 figurent déjà dans le décompte ci-dessus), il y a assujettissement à la sécurité sociale marocaine, de telle sorte que l’intéressé totalise ainsi 32 ans.

Reste dès lors en litige la période antérieure, qui permettrait d’arriver à 35 années de carrière. Pendant celle-ci, il y a eu assujettissement à une caisse spéciale au Maroc, étant la Caisse interprofessionnelle marocaine des retraites (CIMR), caisse qui existait avant la création de la Caisse nationale de sécurité sociale.

La cour rappelle qu’en vertu de l’article 4, § 2 de l’arrêté royal, l’occupation professionnelle visée doit avoir été exercée dans un régime légal belge ou dans un régime visé dans la convention internationale. La question est dès lors de savoir si le régime des pensions de la Caisse interprofessionnelle marocaine des retraites peut être visée. En vertu de l’article 19, § 1er de la Convention, les périodes à prendre en considération sont, dans chaque pays, celles considérées comme telles par la législation du pays en cause et la cour constate que l’Arrangement administratif prévoit que pour le Maroc il s’agit de la Caisse nationale de sécurité sociale. Celle-ci, compétente pour recevoir et instruire les demandes, a également pour mission de transmettre les formulaires de liaison et de notifier les décisions rendues. Or, elle n’a repris comme période d’assurance ou assimilée que la partie de la carrière assujettie à la CNSS elle-même.

La cour constate que l’ONP l’a interpellée, précisément sur la prise en compte de la période de travail litigieuse, pendant laquelle des droits ont été constitués uniquement à charge de la Caisse interprofessionnelle marocaine de retraite et il en ressort que la Caisse nationale ne considère pas le régime géré par la CIMR comme entrant dans le champ de la Convention belgo-marocaine. La cour conclut que, selon les documents produits par l’ONP, cette caisse ne serait pas un régime légal de pension au sens de la Convention internationale mais un régime privé comparable à une institution de retraite professionnelle - la cour renvoyant à un fonds de pension -, qui ne semble pas avoir été créé par ou en vertu d’une loi ni avoir le statut d’organisme public. Dès lors, la cour considère qu’elle ne semble pas avoir été agréée par l’autorité publique à cette fin.

L’affiliation à cette caisse ne peut dès lors être assimilée à un régime de pension.

Intérêt de la décision

Cette décision de la Cour du travail de Bruxelles rappelle, à l’occasion de l’application de la Convention belgo-marocaine de sécurité sociale,
que celle-ci renvoie aux régimes légaux de pension, étant ceux institués par ou en vertu de la loi. En l’occurrence, même si une caisse a pallié l’absence d’assujettissement de l’employeur au régime légal, elle ne se substitue pas à celui-ci dans les effets visés par la Convention internationale.


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