Terralaboris asbl

Pouvoirs du juge en référé en cas de non-reprise du personnel

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 décembre 2011, R.G. 2011/CB/17

Mis en ligne le lundi 23 avril 2012


Cour du travail de Bruxelles, 22 décembre 2011, R.G. n° 2011/CB/17

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 22 décembre 2011, la Cour du travail de Bruxelles siégeant en référé condamne, dans le cadre d’un transfert d’entreprise, le cessionnaire à reprendre une série de travailleurs et à maintenir pour ceux-ci leurs droits existants au moment du transfert, en ce compris avec la régularisation de leur situation administrative et financière.

Les faits

Dans le secteur du gardiennage (CP317), un appel d’offre est lancé par une autorité publique, en vue de la réattribution du marché à l’issue d’un contrat en cours. Une autre société que celle en charge de la surveillance de l’immeuble remporte le marché. Le contrat va prendre cours le premier jour du mois suivant la notification de l’adjudication, soit au 1er octobre 2011. Il est alors notifié par le directeur RH de la société évincée qu’un transfert de personnel doit s’effectuer avec maintien des conditions sectorielles. La convention collective de travail en cause conclue au sein du secteur en date du 8 novembre 2005 vise notamment l’hypothèse du sort du personnel en cas de perte d’un contrat commercial au profit d’une autre société. La société repreneuse accepte de conserver le personnel ouvrier mais fait état de difficultés pour le personnel employé, qu’elle propose de reprendre sous statut d’ouvrier et sur base volontaire. Les travailleurs concernés refusent et leur reprise n’a dès lors pas lieu.

Le bureau de conciliation du secteur est saisi. Il recommande à la société repreneuse de reprendre les travailleurs en respectant leur statut et recommande également que les mandats syndicaux soient repris. La société s’y refuse.

La procédure en référé

Citation est aussitôt lancée devant le Président du tribunal du travail de Bruxelles aux fins d’entendre condamner la société repreneuse à respecter la condition de secteur, c’est-à-dire à reprendre 80% du personnel qui travaillait sous statut d’employé (et dont la liste est donnée). Une demande d’astreinte y figure également, à défaut pour la société d’exécuter l’ordonnance à intervenir dans le délai requis.

La société évincée intervient volontairement dans l’instance et formule une demande de condamnation similaire, précisant celle-ci en ce qui concerne la situation financière des travailleurs, pour lesquels elle demande condamnation au paiement de la rémunération échue, dont elle a assuré des avances.

L’ordonnance du 28 novembre 2011

Le vice-président du Tribunal du travail de Bruxelles fait droit à la demande originaire ainsi qu’à celle introduite par intervention volontaire et condamne la société repreneuse à respecter la convention collective de travail de secteur, c’est-à-dire à reprendre en l’espèce 80% du personnel travaillant sous statut d’employé, ainsi qu’à les inscrire sur son payroll, à les déclarer comme salariés dans le cadre DIMONA, à payer la rémunération, ainsi que les cotisations sociales et le précompte provisionnel et encore à rembourser la société évincée, qui a fait des avances.

L’affaire est renvoyée au rôle en ce qui concerne un décompte précis.

Position des parties en appel

La société repreneuse introduit une requête d’appel demandant, à titre principal, la réformation de l’ordonnance en sa totalité et à titre subsidiaire une limitation des effets de celle-ci en ce qui concerne le personnel repris.

La société évincée précise également sa demande en ce qui concerne la liste des travailleurs en cause et formule des demandes spécifiques, vu les montants versés par elle entre-temps.

Quant aux parties demanderesses originaires, elles répètent la demande formée en début d’instance.

Décision de la cour du travail

La cour va dans un premier temps régler une question purement juridique, étant de déterminer si le juge des référés est compétent pour connaître d’une telle demande. Les demandeurs ayant invoqué l’urgence dans leur citation, la cour conclut que c’est à bon droit que le vice-président du tribunal du travail siégeant en référé s’est considéré comme compétent. Quant à l’intérêt des différentes parties demanderesses à agir, la cour l’admet, dans la mesure où elles n’ont pu obtenir à l’amiable par le biais du bureau de conciliation la reprise de leur contrat de travail.

En ce qui concerne l’urgence, la cour rappelle que les ordonnances de référé ne portent pas préjudice au principal, règle d’ordre public qui n’interdit cependant pas de prendre une mesure provisoire s’il y a des apparences de droit suffisantes pour justifier une décision.

Le juge des référés peut intervenir en matière de relations de travail en cours d’exécution du contrat de travail pour faire respecter une obligation légale ou contractuelle. Il peut ainsi intervenir pour assurer la préservation et la sauvegarde des droits menacés des travailleurs ainsi que pour réprimer les voies de fait. Si le juge (statuant en référé ou au fond) ne peut contraindre l’employeur à donner du travail ou le travailleur à travailler contre son gré, il peut cependant prendre toute mesure utile (conservatoire ou d’anticipation) consistant en une obligation de faire, dès lors que cette obligation ne présente pas un caractère définitif et irréparable.

La cour examine, ensuite, les règles de droit invoquées et retient essentiellement la Directive 2001/23/CE ainsi que la CCT 32bis (plutôt que la CCT sectorielle, dont elle considère que l’application n’est pas suffisamment évidente, dans le cadre d’un examen rapide et superficiel des droits des parties).

Par contre, l’objectif de la Directive européenne et de la CCT nationale est notamment de maintenir les droits des travailleurs transférés, et ce dans tous les cas de changement d’employeur du fait du transfert conventionnel d’une entreprise ou d’une partie d’entreprise. Ce qui est en cause est le transfert d’une unité économique, étant d’un ensemble organisé de personnes et d’éléments avec lesquels une activité économique ayant un objectif propre peut être exercée.

Il apparaît à la cour que les faits impliquent une apparence de droit suffisante permettant de conclure à l’application de ces deux textes. Constatant qu’il y a une violation apparente des droits des travailleurs employés occupés sur le site à la date du transfert et un danger immédiat si une mesure urgente n’est pas ordonnée (soit une réduction de leurs droits, soit une incertitude et une précarité administrative et financière), la cour conclut qu’il y a lieu d’enjoindre à la société de mettre en œuvre la reprise du personnel affecté aux chantiers. Elle en est en effet a priori devenue l’employeur du seul fait du transfert.

La mise en œuvre de la reprise du personnel signifiant de les inscrire sur le payroll, de le déclarer dans le cadre DIMONA et de leur payer leur rémunération, la cour condamne en conséquence la société repreneuse à ce faire.

Par contre, elle déboute la société évincée de sa demande en intervention volontaire, s’agissant d’une question de fond.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles est particulièrement important sur la mesure décidée dans le cadre des référés. La cour y a retenu une formule très subtile permettant de garantir la reprise du personnel écarté lors d’un transfert : il n’y a pas d’injonction faite à l’employeur de donner du travail mais inscription sur le payroll et condamnation à régulariser provisoirement la situation administrative et financière de chacun des intéressés.


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