Terralaboris asbl

Réparation d’un accident du travail : faut-il tenir compte des possibilités de reclassement en atelier protégé ?

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Liège, 27 janvier 2012, R.G. 2011/AL/168

Mis en ligne le mardi 8 mai 2012


Cour du travail de Liège, sect. de Liège, 27 janvier 2012, R.G. n° 2011/AL/168

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 27 janvier 2012, la Cour du travail de Liège rappelle les principes en matière de réparation de l’incapacité permanente consécutive à un accident du travail, particulièrement eu égard à la possibilité pour la victime d’être reclassée en atelier protégé : l’emploi protégé ne fait pas partie du marché général du travail.

Les faits

Un travailleur manuel, du secteur de la construction, fait une chute d’une hauteur de plusieurs mètres, alors qu’il travaillait sur un échafaudage.

Suite à cet accident du travail, l’entreprise d’assurances fat une proposition d’indemnisation, dans laquelle elle estime l’incapacité permanente équivalente à 65%.

Cette proposition n’est pas acceptée par l’intéressé, qui introduit une procédure devant le Tribunal du travail de Huy.

Le jugement du tribunal du travail

Le tribunal désigne un expert, par jugement du 19 avril 2006. Dans son rapport, déposé au greffe du tribunal en novembre 2009, l’expert arrive à un taux de 80%. Il envisage une option, dans laquelle il intègre, dans le marché général du travail de la victime, l’emploi en atelier protégé et fixe le taux, dans cette hypothèse, à 60%.

Il conclut également à la nécessité d’une aide de tiers.

Par jugement du 8 décembre 2010, le tribunal condamne l’entreprise d’assurances à indemniser, dans le cadre de l’incapacité permanente, à concurrence de 80%, excluant le travail en atelier protégé.

L’objet de l’appel

L’assurance interjette appel essentiellement sur le taux de 80%. Pour l’assureur, il faut inclure les ateliers protégés dans le circuit du travail, ainsi d’ailleurs que l’expert l’avait abordé dans ses conclusions, hypothèse dans laquelle le taux d’incapacité permanente était de 60%.

Décision de la cour du travail

La cour du travail reprend les principes relatifs à l’indemnisation suite à une perte ou une diminution de la valeur économique de la victime sur le marché général de l’emploi. Les critères ne sont pas uniquement l’évaluation de l’incapacité mais également la prise en compte d’autres facteurs : âge, qualification professionnelle, faculté de réadaptation, possibilité de rééducation professionnelle et capacité de concurrence de la victime sur le marché général de l’emploi. Rappelant la doctrine (A. CHERON, « Marché général du travail, et facteurs socio-économiques » in « L’accident du travail en l’an 2000 », p.63), la cour rappelle qu’il faut entendre par là le recensement des professions existantes, parmi lesquelles il faut retenir celles accessibles à la victime en fonction des critères personnels, c’est-à-dire du critère médical et des caractères propres à celle-ci. Il faut dès lors comparer ce qui est comparable dans la détermination du groupe de professions à retenir.

La cour précise dès lors qu’il faut apprécier l’incapacité permanente par rapport à l’importance de la diminution de la valeur économique et que, s’agissant de déterminer les facteurs propres à la victime, il s’agit d’une réparation in concreto, dans la mesure où ceux-ci influencent directement l’évaluation de la perte de potentiel économique.

Dans cette appréciation, la cour rappelle que jurisprudence, doctrine et loi écartent le travail en atelier protégé de la définition du marché général de l’emploi, à la condition, bien sûr, que cet atelier protégé n’ait pas fait partie du cadre professionnel de la victime avant l’accident du travail.

En effet, il ne s’agit pas d’un travail dans le circuit économique, de telle sorte que ce type d’occupation ne peut faire partie du marché général de l’emploi.

La cour renvoie également à l’enseignement de P. PALSTERMAN (« L’incapacité de travail des travailleurs salariés dans le droit belge de la sécurité sociale, approche transversale », Chron. D.S., 2004, p. 317), selon lequel il faut retenir les emplois concrètement accessibles au travailleur et, même s’il faut prendre en compte la nécessaire mobilité professionnelle, l’on ne peut tenir compte que des emplois d’un niveau globalement équivalent à ceux qui ont été occupés par la victime, parmi lesquels n’entre pas l’emploi protégé.

La cour renvoie également à la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées, dont l’article 2 exclut de manière expresse les entreprises de travail adapté du marché général du travail.

En l’espèce, elle constate que la victime (âgée de 27 ans au moment de l’accident) a une faible scolarité et que, ensuite, après avoir travaillé dans la ferme de ses parents et suivi un contrat d’apprentissage pendant deux ans, elle a commencé à travailler à l’âge de 21 ans comme maçon. Elle n’a pas d’autres qualifications professionnelles ni expérience.

Par conséquent, le marché du travail, avant l’accident en cause, est celui d’ouvrier peu qualifié pour des postes de travail où la charge physique était lourde (port de charges, positions fatigantes, travail en hauteur). Toutes ces contraintes sont exclues depuis l’accident. Eu égard par ailleurs à l’absence de capacité de formation potentielle et d’acquisition de qualifications nouvelles lui permettant d’ouvrir un nouveau marché du travail, la cour confirme le taux de 80% préconisé par l’expert, excluant le travail en E.T.A., l’intéressé n’ayant jamais travaillé dans le cadre d’un emploi protégé.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle un principe important dans le cadre de l’évaluation de l’incapacité permanente consécutive à un accident du travail, étant que, si la victime n’a pas travaillé, avant l’accident, dans un établissement de travail adapté, ce type d’emploi ne fait pas partie de son marché du travail et la possibilité d’y être affectée ne peut dès lors intervenir dans l’évaluation du taux d’incapacité permanente.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be