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Personnes handicapées : quelle est l’année de référence pour les revenus à prendre en compte en cas de modification de la situation familiale ?

Commentaire de C. trav. Liège, 13 février 2012, R.G. 2011/AL/598

Mis en ligne le mardi 8 mai 2012


Cour du travail de Liège, 13 février 2012, R.G. n° 2011/AL/598

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 13 février 2012, la Cour du travail de Liège conclut au caractère discriminatoire de l’article 9 § 3 de l’arrêté royal du 8 juillet 1987 et en écarte l’application au profit de la règle de base : les revenus à prendre en considération en cas de modification de la situation familiale sont ceux de l’année -2 ou -1 si celle-ci est intervenue avant l’introduction de la demande.

Les faits

Monsieur B. introduit une demande d’allocations en 2006, demande qui fait l’objet d’une décision de rejet.

En 2010, il réintroduit celle-ci. Entre-temps, il s’est marié. Son épouse n’a pas de revenus.

Le Service rejette cette seconde demande, en ce qu’elle vise l’A.R.R. au motif que les revenus y font obstacle. Il accorde cependant l’allocation d’intégration (partiellement) en 3e catégorie.

Un recours est introduit contre cette décision.

Décision du tribunal du travail

Le tribunal du travail de Liège fait droit à la demande, par jugement du 2 novembre 2011. La décision médicale, ainsi que la catégorie de bénéficiaire (C) sont ainsi confirmées, l’allocation étant cependant limitée, vu les revenus de l’année pris en compte, étant les revenus 2008.

Décision de la cour du travail

La cour est saisie d’un appel du Service, qui considère que les revenus à prendre en compte doivent être ceux de 2010, et ce vu la mise en ménage intervenue au cours de cette année, le mois précédant la demande.

Elle reprend, dès lors, les dispositions légales, étant l’article 7, § 1er de la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées, qui contient la condition d’octroi relative à la prise en compte des revenus de la personne qui constitue un ménage avec le demandeur et renvoie à des mesures d’exécution en ce qui concerne la définition du terme ’revenus’. Celui-ci est défini aux articles 8, § 1er et 9 de l’arrêté royal du 6 juillet 1987. Selon ces dispositions, les revenus annuels devant être retenus pour une année sont les revenus imposables globalement et distinctement au sens de la loi fiscale. De façon générale, l’année de référence est l’année - 2, c’est-à-dire celle qui précède la date de prise d’effet de la demande ou le mois calendrier qui suit le fait ayant donné lieu à une revision d’office. Au cas où la personne handicapée ne formait pas, pendant l’année -2, un ménage alors que tel est le cas au moment de la demande, les revenus de cette personne doivent être pris en compte. Si elle a cessé de faire partie du ménage, depuis l’année -2, ils ne le sont plus.

En vertu de l’article 9 de l’arrêté royal, en cas de modification des données relatives à l’état civil, au ménage de la personne, à la composition de famille, charge d’enfant ou cohabitation qui ont servi de base pour la fixation du montant du revenu, il y a lieu de tenir compte de la nouvelle situation.

La cour se penche, ensuite, longuement sur l’interprétation à donner de cette disposition, qui impose de tenir compte de la situation nouvelle. Elle rappelle que cette formulation est sibylline et qu’elle a donné lieu à d’importantes discussions. Si la jurisprudence considérait que seules devaient être prises en compte les modifications dans la situation familiale qui impliquaient par exemple de retenir les revenus d’un nouveau membre du ménage, la Cour de cassation a considéré dans un arrêt du 15 novembre 2004 (J.T.T., 2005, p. 82) que la disposition en cause déroge aux autres dispositions du texte en ce qui concerne notamment la période de référence des revenus à prendre en considération. La Cour suprême a ainsi retenu dans cet arrêt que, pour déterminer dans cette nouvelle situation le montant du revenu de la personne handicapée qui vient en diminution du montant de l’allocation (en l’occurrence d’intégration), il y a lieu de se placer au premier jour du mois qui suit celui au cours duquel elle se trouve dans la situation consistant en une modification de son état civil. La cour du travail souligne les difficultés qui découlent de cette interprétation, étant que les revenus de la personne handicapée (et le cas échéant de la personne avec laquelle elle forme un ménage) devant être pris en compte sont non pas ceux de l’année de référence classique (année -2 ou -1) mais ceux qui existent au jour du changement survenu dans la composition de famille.

Se tournant vers la doctrine (J.-F-. NEVEN, « Allocations aux personnes handicapées : modification de la situation familiale et année des revenus », obs. sous C. trav. Mons, 15 mars 2006, Chron. D.S., 2007, p.89), la cour retient avec elle que, s’il s’agit de tenir compte des revenus ’actualisés’, cette règle peut être source de discrimination vis-à-vis des bénéficiaires dont la situation a été modifiée alors qu’un ménage (dont la situation est inchangée) se verra appliquer la règle classique de la référence aux années -2 ou -1 : il y a application de critères distincts dans l’un et l’autre cas. La cour souligne encore les difficultés à déterminer les revenus à prendre en compte, dans la mesure où ils n’auront pas encore été fixés par l’administration fiscale. La cour renvoie, en jurisprudence, à diverses décisions dont certaines s’écartent résolument de l’enseignement de la Cour de cassation vu les difficultés induites sur le plan de sa mise en œuvre. Elle relève également que d’autres juridictions ont opté pour une solution intermédiaire en vue de limiter les effets d’un traitement discriminatoire.

La cour relève particulièrement qu’une personne dont la situation familiale évolue serait traitée différemment selon le moment où est intervenue la modification de la composition de famille : avant la demande ou en cours d’octroi dans le cadre d’une revision. L’article 9, § 3 vise, pour la cour, une modification qui ne peut être que postérieure à la demande, en telle sorte qu’il ne peut s’appliquer lorsqu’il s’agit de fixer le droit à la date de celle-ci.

Elle rappelle encore que, s’agissant d’une situation discriminatoire, il n’appartient pas au pouvoir judiciaire de modifier la règle mais d’écarter purement et simplement la norme source de discrimination, sous peine de violer l’article 159 de la Constitution. Pour la cour du travail, il faut s’en tenir à la règle de l’article 8, § 1er pour déterminer l’année des revenus de référence et il faut écarter l’article 9, § 3.

La cour va ainsi appliquer cette règle en l’espèce, considérant que le changement de la situation familiale est antérieur à l’introduction de la demande d’allocations et qu’il faut tenir compte des revenus au cours de l’année -2, soit 2008, et ce afin de calculer l’ A.R.R. due à partir du 1er mai 2010. La cour relève encore qu’elle s’en tient à l’examen de celle-ci uniquement, vu qu’elle n’est pas saisie d’une demande relative à l’A.I.

Le jugement est dès lors confirmé, en ce qui concerne le montant à prendre en compte.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, la Cour du travail de Liège écarte l’article 9, § 3 de l’arrêté royal du 6 juillet 1987, disposition considérée comme discriminatoire. Elle rappelle les difficultés induites de l’interprétation donnée des règles applicables par la Cour de cassation.

Affaire à suivre ?


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