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Employeur public : quid en cas d’absence d’audition préalable à un licenciement de personnel contractuel ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 30 novembre 2011, R.G. 2010/AB/586

Mis en ligne le mardi 15 mai 2012


Cour du travail de Bruxelles, 30 novembre 2011, R.G. n° 2010/AB/586

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 30 novembre 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle l’obligation pour l’employeur public de procéder à l’audition du travailleur salarié, avant son licenciement et renvoie à la théorie de la perte d’une chance en ce qui concerne la base de la réparation.

Les faits

Un employé d’un organisme public signe avec son employeur successivement plusieurs contrats, dont l’un prévoyant une rupture sans préavis ni indemnité après un délai de deux ans au cas où l’intéressé ne serait pas en possession du brevet linguistique. Dans cette hypothèse, il est stipulé qu’il réintégrerait ses fonctions antérieures. Suite à divers avatars administratifs, l’intéressé est réaffecté dans sa fonction initiale et, ultérieurement, il est changé d’affectation vers un autre service. Il prend contact, à ce moment, avec la personne de confiance désignée dans le cadre de la législation en matière de harcèlement.

Ayant été réaffecté dans un home, il fait diverses démarches, exposant les difficultés qu’il a à travailler dans ce milieu, vu la réminiscence d’une situation personnelle.

Il tombe en incapacité de travail et, cinq mois plus tard, l’employeur lui adresse un courrier recommandé annonçant l’intention de rompre compte tenu de cette incapacité, la décision étant également prise, selon l’employeur, dans l’intérêt des services. Une indemnité de douze mois de rémunération lui est payée.

L’intéressé va lancer citation, en paiement de sommes diverses, étant des régularisations sur la rémunération payée ainsi que sur l’indemnité compensatoire de préavis. Il sollicite également des dommages et intérêts.

Sa demande est rejetée, par jugement du 11 janvier 2010 du Tribunal du travail de Bruxelles et il est condamné aux dépens.

Décision de la cour du travail

Sur appel de l’intéressé, la cour du travail constate qu’elle est saisie de l’ensemble des chefs de demande, étant une régularisation de rémunération, ainsi que de l’indemnité compensatoire de préavis, postes auxquels est ajoutée une demande de dommages et intérêts au motif de licenciement abusif.

La cour examine l’évolution des relations de travail entre parties, dans lesquelles est intervenue une autre affectation temporaire, avec de meilleures conditions de travail et de rémunération. Celles-ci ne devaient, cependant, pas être assurées à l’intéressé à partir du moment où il a réintégré ses fonctions antérieures. La cour renvoie, sur cette situation, à un arrêt de la Cour de cassation du 23 juin 1986 (J.T.T., 1987, p. 132), qui a considéré que l’article 25 de la loi du 3 juillet 1978 n’interdit pas aux parties de convenir que le travailleur recevra une nouvelle affectation temporaire avec de meilleures conditions de travail et de rémunération et qu’il puisse être décidé que l’employeur aura la possibilité de mettre fin à celle-ci, l’employé retrouvant à ce moment au minimum les conditions contractuelles antérieures.

La cour déboute dès lors l’intéressé sur les arriérés demandés, tant en ce qu’ils visent la rémunération elle-même que l’assiette de base servant au calcul de l’indemnité compensatoire de préavis.

Elle réserve, cependant, un autre sort au chef de demande relatif à la réparation du dommage consécutif à l’absence d’audition. Elle rappelle que, certes, la loi du 3 juillet 1978 ne renferme pas une obligation générale d’audition préalable au licenciement mais elle rappelle que le principe Audi alteram partem doit s’appliquer aux autorités administratives non seulement dans leurs rapports avec leur personnel statutaire mais également avec les contractuels. La cour précise que ce principe, en tant qu’il vise les contractuels, se fonde notamment sur le principe de bonne administration.

En ce qui concerne le préjudice, elle suit la thèse de l’employé, qui fait valoir qu’il y a un préjudice distinct de celui découlant directement du licenciement et réparé forfaitairement par l’indemnité compensatoire de préavis, à savoir qu’il y a eu une perte de chance de conserver son emploi. A l’employeur, qui fait valoir que le défaut d’audition est sans incidence, dès lors que la décision de licencier est clairement motivée, la cour répond qu’il y a ici deux obligations différentes et que l’on peut aisément concevoir qu’une décision de licenciement, même clairement motivée, n’aurait peut-être pas été prise si l’obligation d’audition avait été respectée. De même, elle rejette l’argument de l’employeur, qui fait valoir que le licenciement est étranger au comportement de l’intéressé et que de ce fait il n’y avait pas lieu de procéder à l’audition en question.

Pour la cour, le principe du respect dû aux droits de la défense et au principe Audi alteram partem concerne non seulement les mesures disciplinaires mais également toutes mesures graves prises en considération de la personne du travailleur. Il y a dès lors préjudice subi du fait du défaut d’audition. Celui-ci étant identifié à la perte de chance de conserver son emploi, la cour constate qu’il faut procéder à une évaluation au regard des circonstances de la cause et rejette également la position de l’employeur, qui exige du travailleur qu’il prouve qu’il aurait perdu une chance de conserver son emploi. La cour rappelle que le terme ‘chance’ implique précisément une incertitude, ou encore une hypothèse qui en soi ne permet aucune démonstration. La théorie de la perte de chance peut s’appliquer dès lors qu’existent des éléments de fait ou des indices permettant de considérer les chances invoquées comme réelles mais également comme minimes. En l’espèce, il y a eu à la base du licenciement des éléments organisationnels et, si les chances pour l’employé de conserver son emploi apparaissent maigres, elles ne sont cependant pas inexistantes.

La cour alloue, en conséquence, un dommage forfaitaire de 5.000€, considérant qu’il s’agit d’une évaluation raisonnable.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle deux principes importants, en cas de licenciement d’un travailleur contractuel par un employeur public :

  • les obligations de motivation et d’audition préalable s’appliquent au travailleur contractuel. Ces deux obligations sont distinctes ;
  • dès lors qu’il n’a pas été satisfait à l’audition préalable, le travailleur peut se référer à la théorie générale de la perte de chance pour faire valoir un préjudice distinct de celui couvert par l’indemnité compensatoire de préavis.

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